Tome 2 - Chapitre 9

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William empoche le fric et respecte son engagement, mon frère sort blanc comme neige de sa garde à vue. Je me promets de nouer davantage le contact avec le patron de la boîte de nuit. Il semblerait qu'il ait les bras longs et à l'avenir, je pourrais en avoir besoin.

Bastian n'a pas la chance de Tito. Après sa garde à vue, il est condamné à deux mois de prison pour avoir pointé son arme et menacé de tirer dans un lieu contenant du public. Je me dis que ça lui fera les pieds, mais d'un autre côté je rage, car il a attiré l'attention sur notre camp. Ne voulant prendre aucun risque, je reporte de quelques semaines l'opération qui devait démarrer et préfère laisser les choses se tasser.

En attendant, les journées sont longues, il pleut sans cesse et l'hiver est rude et froid. Cloîtré dans ma caravane, je rêve d'action et de nouveaux challenges. Tandis que l'eau tombée du ciel défile sur le Plexiglas de ma fenêtre, je réfléchis devant mon plan parfaitement finalisé.

L'heure du déjeuner est largement passée et malgré la faim, je n'ai pas envie de me retrouver au milieu de la grande salle à manger et des vannes lourdes de mes cousins avinés. Je préfère éviter les repas de famille au profit de ce qui sera le coup du siècle s'il fonctionne à merveille. Je devrais récupérer suffisamment de fric pour pouvoir me mettre au vert pendant quelques années.

Cannibale aboie le premier, puis rapidement Tenia le rejoint devant la porte. Ils grandissent bien et le temps que je passe avec eux est propice à leur dressage. Quelqu'un frappe avec assurance et tourne la poignée.

— Picouly m'envoie pour te porter ton repas, me lance Lucinda, une assiette fumante à la main.

L'odeur alléchante de la sauce qu'elle tient précieusement contre elle m'ouvre l'appétit. Je ne perds pas mon air rabougri pour autant et lâche :

— Tu pourrais attendre que je te donne l'autorisation pour entrer !

La jeune fille me dévisage, mais ne semble pas impressionnée par mon ton froid et déplaisant. Les chiens se calment sous mes caresses, ils aiment bien l'adolescente. Cette dernière pose l'assiette bien chaude de pot au feu sur la table, devant moi.

— Cuisiné avec amour, ajoute-t-elle en se retenant de rire.

Je lève les yeux au ciel et cherche une fourchette dans le tiroir derrière moi pour commencer à avaler le plat envoyé par Picouly.

— Tu comptes me regarder manger ? lui demandé-je la bouche pleine.

— Tu fais du bruit quand tu manges, c'est drôle !

— Laisse-moi !

Au lieu de partir, elle s'assoit en face de moi sur la banquette et joue avec les chiots. Lorsqu'elle se penche en avant pour les caresser, j'observe son décolleté qui me confirme ce que je savais depuis longtemps : la petite fille a définitivement disparu. Lucinda est réellement devenue un joli brin de femme. Son visage s'est affiné et son nez est plutôt délicat en comparaison avec celui de son frère, ingrat et pointu. Les grands yeux noirs de la jeune fille ont sans cesse été aimables et vifs. Même si je ne lui ai jamais montré, j'ai toujours eu de l'affection pour elle. Aujourd'hui encore, je n'arrive pas à la renvoyer en cuisine, j'apprécie sa présence face à moi.

Je chasse toutes les pensées à son sujet, me convainquant qu'elle est naïve et que je ne dois pas la considérer comme les femmes de passage dans mon lit. Je détourne mon regard pour me concentrer sur un vol d'oiseaux dans le ciel.

Lorsque j'ai terminé mon assiette, elle se redresse et plante ses grands yeux dans les miens.

— Scar, il faut qu'on parle tous les deux !

— À propos de quoi ?

— De l'avenir du camp ! Mon frère est en prison au cas où tu l'aurais pas remarqué !

— Et alors, il va sortir...

Elle soupire et lisse une mèche de cheveux blonds avec ses doigts fins avant de les coincer derrière ses oreilles. Puis elle s'immobilise et me murmure, comme si quelqu'un pouvait nous entendre :

— Demain, au petit lac à quinze heures ! Je t'attendrai !

— Je ne viendrai pas ! répliqué-je illico.

— Si tu viendras parce que, ce que j'ai à dire, te concerne !

Elle se lève avec grâce puis me sourit pendant que je m'autorise à la trouver jolie avec ses fossettes et ses yeux noirs trop maquillés. Elle récupère l'assiette vide et pivote sur elle-même, j'en profite pour détailler sa silhouette et la cambrure de son dos. Elle m'abandonne ainsi : le bec cloué et ma curiosité piquée à vif.

Le lendemain, avec un peu de retard et emmitouflé dans le dernier manteau en velours que je viens de m'acheter, je descends le sentier qui mène au lac. Il ne pleut pas, mais le ciel est couvert et menaçant. J'ai terriblement envie de savoir ce qu'elle va me dire, peut-être a-t-elle des révélations à me faire sur ma famille.

Les chênes ont perdu leurs feuilles et le lac est tapissé d'une brume hivernale. Quelques oiseaux chantent, mais leurs cris sont cachés par des bourrasques de vent frais. Je ferme le dernier bouton de mon col et cherche Lucinda autour de moi.

Sa silhouette délicate finit par apparaître, ses cheveux blonds volant autour d'elle tandis que ses yeux noirs déterminés me fixent. Elle s'avance vers moi dans sa robe en laine, enfonçant ses sabots en cuir dans la boue du sol mouillé. Lucinda possède une beauté sauvage et naturelle, seuls au milieu de la forêt, je me sens comme ensorcelé par la jeune fille. Je me resaisis et romps le charme.

— Tu voulais me dire quoi ?

Désormais face à moi, elle frissonne à cause du vent glacé.

— Tu vas avoir froid, bougonné-je en déboutonnant mon grand manteau pour le lui mettre sur les épaules. C'est pas un jour pour traîner dehors...

Elle me sourit et se hisse sur la pointe des pieds, malgré cela, elle est encore bien plus petite que moi.

— Épouse-moi !

— Tu m'as pas fait venir pour ça, j'espère !

Je commence à reculer d'un pas, mais elle se pend à mon cou.

— Scar, réfléchis ! Tu es le fils de l'ancien chef, je suis la fille du chef actuel et mon frère est en prison. Profitons de son absence. De toute manière Bastian est un bon à rien alcoolique !

Je secoue la tête, un peu énervé qu'elle m'ait fait venir pour une absurdité pareille.

— Il n'en est pas question !

Encore accrochée à moi, elle prend une mine déçue et me supplie :

— Mais pourquoi ? Je t'aime depuis le premier jour où tu es arrivé et derrière ton air toujours en colère, je sais que tu m'aimes bien aussi !

— Je ne t'épouserai pas, Lucinda ! Lâche-moi !

— Non !

— Lucinda, s'il te plaît !

— Scar, ils vont arranger mon mariage avec un homme que je n'aime pas, si tu ne m'épouses pas !

— N'importe quoi ! Arrête ce cinéma !

— Mais tu crois que ça se fait pas ? Chez nous, il y a encore plein de mariages arrangés et je te dis que mon sort est déjà scellé, alors si tu refuses, je me tue !

Elle me lâche enfin et laisse glisser mon manteau sur le sol, puis elle recule d'un pas et me défie du regard.

— Je suis très sérieuse, Scar !

Elle soulève sa robe rouge et la retire, puis elle s'échappe en courant vers le lac.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant