Tome 2 - Chapitre 14 (suite)

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Hors de question pour moi de passer une nuit de plus à entendre chouiner ! Je n'ai pas souhaité ce gosse et bien que je doive admettre qu'il me ressemble, je ne veux pas de lui chez moi.

Aussi, à peine quelques heures plus tard, en fin de matinée, j'installe une nouvelle caravane sur mon terrain. Un peu plus petite et bien moins luxueuse que la mienne, mais tout de même neuve et avec tous les différents gadgets à la mode, l'habitation que j'ai choisie pour Belinda devrait lui plaire.

— Je la colle à ta terrasse pour que vous preniez vos petits déjeuners en tête à tête ? m'interroge Tito en affichant un sourire moqueur.

Ce dernier m'a accompagné avec son fourgon pour tracter l'habitacle. Je n'ai pas l'habitude de conduire en tirant un engin pareil, j'ai pensé qu'à deux ce serait plus simple de manœuvrer.

— Je n'ai pas prévu de partager quoique ce soit avec elle ! Mets-la à proximité du chalet, pour qu'ils aient accès aux commodités, ça fera l'affaire ! Je leur monterai une terrasse si vraiment Belinda y tient.

J'indique l'endroit exact, suffisamment loin de moi et pas non plus trop près du chalet, pour que je puisse y réunir mon clan lorsque j'en ai besoin sans que Belinda écoute nos conversations. Dans le champ qui a été fauché, je guide Tito tout en maintenant mes chiens à l'écart afin d'éviter qu'ils le gênent. La fenêtre grande ouverte pour entendre mes conseils, il avance puis recule sur le terrain raisonnablement sec pour ne pas que le véhicule se plante.

Cannibale se met soudainement à aboyer, rapidement suivi de Tennia et lorsque je lève les yeux dans la direction qu'ils me signalent, j'aperçois Picouly qui vient me rendre visite.

— Je comprends que t'es pas voulu garder Lucinda ici, tu te serais retrouvé avec tout un harem... commente mon frère en claquant la portière du fourgon.

— Tito, ferme-la ! râlé-je en haussant les épaules.

Je ne souhaite pas ajouter de poudre sur le feu avec Picouly. J'imagine qu'elle va encore voir d'un très mauvais œil le fait que j'éloigne Belinda et son gosse. Ma sœur avait probablement espoir que je forme avec la jeune maman le foyer dont elle rêve pour moi. J'ai beau lui répéter que je ne songe qu'à une chose rester seul et être libre, elle ne comprend pas et jure que la famille est ce qu'il y a de plus admirable et de plus important dans la vie.

Après nous avoir tous les deux salué, elle m'indique sur un ton solennel qu'elle doit nous parler.

Je prie intérieurement pour qu'elle ne remette pas sur le tapis l'histoire de Lucinda. Je ne suis pas d'humeur à supporter de nouvelles remontrances avec la nuit que je viens de passer...

— On dételle la caravane, on a presque fini ! explique Tito en s'agenouillant dans un angle pour regarder dessous. Je dois la caler, j'en ai pour quelques minutes...

— Tu gardes pas Belinda, si je comprends bien ? demande Picouly du bout des lèvres.

Je jette un coup d'œil vers mon habitation qui est enfin silencieuse. Je suis presque surpris qu'aucun cri aigu de marmot ne s'échappe de chez moi.

Je hausse les épaules en guise de réponse, je n'ai vraiment pas envie de me justifier une nouvelle fois sur que je fais. À plat ventre, Tito qui a entendu la question de Picouly me fait signe que je vais encore me prendre une leçon de morale, mais lorsqu'elle le voit se moquer, Picouly se fâche :

— Arrête de faire l'imbécile dans mon dos, toi ! Je ne viens pas pour ça, de toute façon, dit-elle en se détournant.

Elle marque un moment d'hésitation et caresse mes chiens, puis elle touche l'ample collier à la pointe conique en étain doré de ma grand-mère attaché à sa chaîne qu'elle porte à son cou avant de lâcher avec inquiétude :

— Y a vraiment un truc qui cloche dans vos affaires. Je passais juste vous mettre en garde. Yankee ne me prend pas au sérieux quand je lui dis qu'un traître se cache parmi vous...

Tito se relève et s'active dans l'angle opposé de la caravane pendant que je tente de rassurer Picouly tant bien que mal.

— Tout va bien, on en a déjà parlé... Tu vas pas recommencer avec cette histoire !

Mais cette dernière est convaincue de contraire.

— J'y peux rien, j'ai vraiment un très mauvais pressentiment. Je n'arrive pas à le définir, mais je le sens au plus profond de moi.

— C'est bon, c'est calé, ça bougera pas ! annonce Tito.

— Super, merci ! T'en penses quoi des prémonitions de Picouly ? lui demandé-je sur un ton un ironique.

Il ne met pas longtemps à répondre et sa réflexion est celle que j'attendais :

— C'est des histoires de bonnes femmes, ça !

Comme moi, il n'est pas le moins du monde superstitieux, contrairement aux gitans qui ont des croyances et des convictions religieuses, plus ou moins arrangées à leur sauce, d'ailleurs.

Tito et moi sommes passés par le catéchisme au haras et les pratiques des Botchecampo ne sont pas du tout les mêmes que celles du terrain, pourtant, il s'agit de la même religion : catholique.

Tout comme moi, Tito a pris parti d'en rire et de laisser tout ça pour les autres. Nous ne croyons ni en Dieu ni au « Schpouk »*. Cependant, même si je ne l'avouerai jamais en public, je garde un avis réservé sur le don de voyance de Picouly. Je souhaite juste des preuves, pour vérifier si elle a réellement hérité de celui de ma grand-mère qui de son côté était plutôt douée sur le sujet. Jusqu'à ce jour, je n'en ai eu aucune...

Tito quant à lui se moque de ce que peut prédire Picouly et surtout, il a beaucoup de mal à comprendre comment une femme peut bouleverser une vie au point de nous influencer. Paco est au petit soin de la sienne, il en est un peu ridicule tant il se plie en quatre pour elle et lui obéit au doigt et à l'œil.

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant