Tome 2 - Chapitre 17

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Quelques jours après cette épopée, nous avons pu livrer au requin la voiture, réparée entre temps. Dans la foulée, il me demande de rester tranquille quelques semaines afin de me faire oublier, ma bande et moi. Il a compris les risques que nous avions pris et la galère dans laquelle nous nous étions fourrés. Si les flics remontent jusqu'à nous, ils pourront facilement démanteler tout le réseau et ce ne sera certes pas bon ni pour nous ni pour lui.

Ce n'est pas la première fois que cela arrive, il faut de temps en temps savoir faire preuve de patience, le temps que le requin règle les affaires et nous permette de repartir sur nouvelles bases.

Pendant ce temps, nous nous sommes tous retrouvés au terrain pour profiter des jours qui défilent. Tito a entamé sa convalescence avec sérénité, il a l'air aller de mieux en mieux, surtout depuis qu'une fille s'occupe de lui. Il s'agit d'une gitane, et même s'il n'y a pas eu de mariage, la belle-famille semble ne pas faire d'histoire. Notre réputation nous précède un peu partout dans le canton.

De mon côté, je me remets totalement en question. Après coup, je réalise que Tito aurait pu perdre la vie. Que serai-je devenu sans mon frère et surtout aurais-je réussi à vivre avec le poids de la culpabilité ? Non, bien sûr que non, c'est évident. Je ne peux pas continuer ainsi, la direction que j'ai adoptée n'est pas la bonne. Pourtant je me sens aspiré dans la spirale infernale dans laquelle j'ai plongé. Comment en sortir désormais ? Mon ambition démesurée m'a entraîné sur la mauvaise pente. Je suis pris au piège, entre le requin qui guide ma vie et mes cousins qui en veulent toujours plus.

Je dois statuer sur mon avenir. Aujourd'hui, je ne manque pas d'argent, à un peu plus de vingt ans, je détiens tout le confort que je souhaitais. J'ai acquis l'admiration de mon clan et même celui des familles gitanes de la région. Les gars veulent travailler pour moi, je traite toutes les affaires courantes de l'nsemble du terrain. Lorsque je me déplace en boîte de nuit, les gens se retournent sur mon passage, le patron me réserve sa plus belle table, les filles me tournent autour et se pâment devant moi. Elles semblent hypnotisées dès que je pose les yeux sur elles.

Je jouis de ces quelques semaines de répit pour en profiter et malgré le choix plutôt large que j'ai, il n'est toujours pas question que je m'établisse avec qui que ce soit. Lorsqu'il m'arrive de voir plusieurs fois une même femme, je m'arrange pour que cela ne dure pas.

J'ai enfin acquis tout ce que je désirais, pourtant tout ce que j'ai accompli me paraît vide de sens parce que je ne peux pas le partager avec celle que je n'ai jamais cessé d'aimer. Tout ce que j'ai acquis ne signifiera rien pour elle et pour son monde. Je demeure tout en bas de l'échelle sociale, dans la case des gens malhonnête, impuissant, non fréquentables.

Nous passons notre temps libre reclus sur le camp, à partager de grand repas auxquels je n'aime pas m'éterniser, bien que Loran et Bastian ne soit plus là. Je n'ai pas de plan à échafauder et je dois bien admettre que je tourne plus ou moins en rond.

Tandis que je m'apprête à disparaître dans ma caravane pour lire un bon bouquin pendant que les hommes vont démarrer une partie de pétanque, Karlo demande à me parler.

Nous nous installons sur ma terrasse, pour boire un café. Je redoute un peu ce qu'il va me dire, je m'attends à ce qu'il se résolve à décrocher. La dernière mission a ébranlé tout le monde, et comme moi, il a dû se remettre en question. Bien entendu, je ne lui en voudrais pas qu'il prenne une telle décision.

— On se connaît depuis des années maintenant et je me dois d'être honnête avec toi ! lance-t-il avant de s'interrompre pour se racler la gorge.

Je lui tends mon paquet de cigarettes pour qu'il se serve et nous allumons nos clopes en même temps. Face à nous, à une trentaine de mètres, les hommes commencent à jouer sous l'œil amusé des gosses. Pendant ce temps, les femmes finissent de ranger le chalet, sauf Belinda qui regarde dans notre direction. Elle berce son marmot dans sa poussette pour l'endormir. L'enfant doit avoir quelques mois maintenant, mais depuis qu'elle a quitté ma caravane, je ne m'en soucie guère. Je n'ai pas d'avenir avec eux, je préfère me consacrer à mes projets.

— T'as toujours été réglo avec moi durant toutes ces années. Et je dois t'avouer que tu m'impressionnes beaucoup par tout le chemin que tu as parcouru ces derniers temps...

J'hausse les épaules et tandis qu'il marque un instant de silence, je lui dis que je n'aurai rien pu accomplir sans lui et les autres.

— C'est quand même toi qui as toujours les bonnes idées ! Bref, aujourd'hui, c'est pas des affaires que je souhaite te parler !

Ses yeux noirs en amande fixent ses chaussures tandis qu'il passe sa main dans ses cheveux ébène pour se recoiffer avec nervosité.

— D'accord, je t'écoute ! dis-je, intrigué.

— C'est délicat et je ne veux pas que l'on se fâche tous les deux.

Il m'interroge du regard, l'air inquiet.

— Il n'y a aucune raison pour ça... le rassuré-je en lui mettant une tape sur l'épaule.

— Je ferai ce que tu m'ordonneras, Scar ! Je n'irai pas dans la direction opposée de ton choix, je te le jure !

Il m'intrigue de plus en plus, je ne comprends pas où le grand brun au type hispanique désire en venir.

— Je voudrais te demander la permission d'épouser une fille de ton camp !

Je suis surpris, je n'ai jamais vu Karlo prêter une quelconque attention à qui que ce soit ici. Il n'a jamais évoqué non plus son intention de se marier. Je n'ai d'attaches pour personne et je lui accorde avec plaisir sa volonté.

— Pas de soucis !

— Tu ne me demandes pas de qui il s'agit ?

— Si, bien entendu...

— C'est Belinda !

Je jette un œil vers le chalet. La jeune femme est toujours là, elle n'a pas bougé et regarde dans notre direction. Elle sait que nous parlons d'elle, peut-être est-elle même au courant que Karlo me fait sa demande.

— En tant que chef, il fallait que j'ai ton approbation, tu comprends. Et puis elle dit que le petit est de toi, alors ça t'implique d'autant plus. Si on vit ensemble, ton fils...

— Ce n'est pas mon fils ! le coupé-je accompagnant mes paroles d'un revers de la main.

— D'accord ! Nous comptons nous installer chez moi. M'autorises-tu à emmener Belinda et son enfant ce soir ?

— Aucun souci, si elle est d'accord, bien entendu.

— Bien sûr ! Je vais de ce pas lui annoncer la nouvelle.

Au moment où Karlo enlace Belinda pour la serrer contre lui, Picouly sort du chalet. Aussi surprise que moi, elle se tourne dans ma direction. Et si c'était cela qu'elle avait pris pour une trahison ?

SCAR - Pour le plus grand malOù les histoires vivent. Découvrez maintenant