Acte III, 11e Épître - Les tourments des mortels

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Ben était inquiet. Il n'avait plus de nouvelles de son frère depuis qu'il avait quitté son domicile en furie, peu ravi d'avoir été laissé dans l'ignorance par son frère aîné. Ça n'était pas faute de lui avoir laissé moult messages, se confondant à chaque fois en excuses, lui jurant qu'il n'aurait plus de secrets pour lui et qu'il lui révèlerait tout ce qu'il savait, mais en vain. Son cadet restait désespérément silencieux, et ce mutisme le minait au plus haut point. Dès l'instant où ils s'étaient retrouvés orphelins, ils avaient comme lié un pacte silencieux, du genre « nous contre le reste du monde ». Leur oncle et leur tante pouvaient être aussi aimants que faire se peut, ils demeuraient des étrangers au serment des frères Maners. Mais à présent, c'était comme si leur contrat tacite était rompu, et il en était le seul responsable...

Bien sûr, il avait songé à entrer en contact avec sa femme, pour lui demander des nouvelles ou requérir son aide pour qu'elle plaide en sa faveur. Mais ses relations avec elle s'étaient toujours limitées au strict minimum, et il se voyait donc mal l'appeler la bouche en cœur pour quémander son soutien... Il ne lui restait donc qu'à attendre le bon vouloir de Chris, quitte à devoir attendre longtemps... Mais le silence de son frère n'était pas son seul sujet d'inquiétude. Il redoutait les intentions cachées de son mystérieux bienfaiteur, Charles Dewitts, et de l'organisation qu'il représentait.

Le trajet en voiture les ramenant, lui et Kim, jusqu'à sa maison de Williamsburg, avait été assez étrange et surréaliste. La conductrice, Siobhan, les avait battus froid tout du long, tandis que l'ancien procureur s'était contenté de se retourner de temps à autre pour jeter des regards en direction de Kim, comme s'il cherchait à s'assurer qu'elle allait bien. Mais avec sa cécité, cela n'était pas possible, n'est-ce pas ? Ce silence pesant ne plaisait guère à Ben, encore sous le coup des événements s'étant déroulés au commissariat. Leur arrivée à point-nommé lui paraissait trop bien à propos, et il craignait que Dewitts ne profite de la situation pour prendre l'ascendant sur lui. Mais contre toute attente, il demeurait mutique, comme s'il respectait la douleur de la jeune Moissonneuse, et Maners se sentait d'autant plus mal de douter de ses bonnes intentions. Cela lui donnait l'impression d'être à l'affut, vulnérable, et il détestait ce sentiment.

« -Vous semblez nerveux, monsieur Maners, finit-il par dire, brisant le silence. Quelque chose ne va pas ?

- Qu'est-ce qui m'a trahi ? Mon visage ? plaisanta Ben.

- Il y a bien des façons de déceler le trouble chez l'être humain, mon ami. Les expressions du visage n'en sont qu'une parmi d'autres... J'espère seulement que Siobhan et moi n'en sommes pas la cause.

- Tout dépend de ce qui découlera de votre intervention providentielle.

- Je pense qu'il y a méprise, monsieur Maners, le contredit l'aveugle. Si vous imaginez que j'avais dans l'idée de monnayer mes services, je crains de n'avoir pas été assez clair sur mes intentions. Vous étiez dans le besoin, vous m'avez contacté pour solliciter mon aide, et fort heureusement, j'avais les moyens de vous la fournir. C'est aussi simple que cela.

- Donc pas de contreparties ? On se sert la main et on en reste là ? questionna Ben, dubitatif.

- Je n'irai peut-être pas jusque-là. Ma proposition tient toujours, et j'espère bien que vous finirez par l'accepter. Mais ce n'est pas le sujet, aujourd'hui. Votre amie a besoin de repos, et nous entendre nous quereller n'y contribuera sûrement pas. »

Le calme et l'apparente sincérité que dégageait Charles désarçonnèrent Maners. Il n'arrivait pas à cerner le personnage, et l'avocat en lui était admiratif face à cet ancien ténor du barreau. Il se surprit même à penser qu'il aurait aimé l'entendre plaider. Le trajet se termina comme il avait commencé, dans le silence. Dewitts se contenta de souhaiter un bon rétablissement à Kim avant de partir, promettant d'appeler d'ici quelques jours pour prendre des nouvelles.

DIES IRAE - Cycle I : L'AngicideOù les histoires vivent. Découvrez maintenant