37 | GABRIELLE

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La lame des ciseaux passait dans mes cheveux au rythme effréné des mèches qui tombaient au sol. J'avais les yeux plongés dans mon reflet mais j'étais incapable de m'arrêter. Je laissais mes cheveux devenir un vieux souvenir à mesure que je scrutais ces yeux verts qui ne voulaient pas redevenir noirs.

Couper ma chevelure était un moyen facile d'oublier la pathétique Gabrielle que j'avais été en me cachant derrière mes mensonges et de donner une autre allure à cette nouvelle femme que j'allais être. J'avais besoin d'oublier cette image de nous deux, enlacés sous l'auspice de la lune, où mes cheveux caressaient ses joues et cette bouche au goût enivrant.

L'idée venait d'Amaris et avait scellé cet accord entre nous deux. Elle avait compris sans même que je lui dise qu'il était nécessaire que je devienne quelqu'un d'autre, quelque chose de différent de cette illusion que j'avais entretenu trop longtemps. La Gabrielle que j'avais inventée de toutes pièces n'avait jamais été un monstre mais désormais, il était temps de réveiller les démons qui sommeillaient en moi.

Il était parti depuis deux semaines et j'en avais assez de m'appesantir sur mon sort en rêvant chaque nuit à ses mains qui caressaient mon corps. Quinze jours que j'attendais son retour dans le secret de mon esprit et quinze jours qu'il ne revenait pas : je ne pouvais pas en supporter plus. Je n'avais pas su résister à la tentation d'envoyer des démons à sa recherche mais je savais que leurs enquêtes ne donneraient rien. Il avait disparu et dans son sillage, je voulais que la Gabrielle qu'il avait connu disparaisse aussi.

Plus personne ne me regarderait comme il m'avait regardé ce jour-là, je m'en faisais la promesse.

Je reposai les ciseaux sur le meuble de la salle de bain et contemplai mon reflet dans le miroir qui me faisait face. De celle que j'avais été, il ne restait plus que ce regard féroce qui ne se laisserait plus jamais assujettir. J'avais l'air terriblement forte et les mèches courtes qui entouraient mon visage me donnaient l'impression d'être une guerrière s'apprêtant à mener le dernier combat de sa vie.

J'aimais celle que je voyais dans le miroir.

— Bienvenue en Enfer, mon ange.

Tout, jusqu'ici, n'avait été qu'un échauffement et la véritable bataille commençait maintenant, dans cette maison qui portait encore son odeur. Pour être reine, il fallait être prête à détruire le souvenir de leur roi, se montrer plus cruelle encore que ce qu'ils avaient pu être, refouler tout ce que j'avais connu et devenir l'incarnation du vice. Mes robes blanches avaient brûlés dans le feu que j'avais allumé dans la nuit sur la terrasse et à chaque pas, le tissu de la robe qu'Amaris m'avait offert bruissait et me rappelait que j'étais différente de la femme qui pleurait hier encore. Le satin noir me donnait l'assurance de la femme fatale que j'aspirais à être.

Le salon n'était plus qu'un vaste champ de bataille mais mes pas me menèrent vers la porte d'entrée sans laisser le temps à mes yeux de constater l'étendue des dégâts de ma crise de la veille. Le vent vicié me fouetta le visage de plein fouet quand je descendis les premières marches mais il me donna au moins l'impression d'être vivante.

En entendant le cri d'un corbeau loin dans les montagnes escarpées des Enfers, je levai la tête vers ce ciel qui se refusait à laisser passer le moindre rayon de soleil et le contemplai en espérant qu'Il me regardait en retour.

— Merci de m'avoir laissé vivre.

Il ne répondait jamais mais j'avais l'intime conviction qu'il entendait tout. J'avais besoin qu'il sache que je n'oubliais pas, que je n'oublierais jamais. Un jour, ma vengeance viendrait. Et ce jour allait peut-être survenir plus vite que prévu.

— Ainsi, vous verrez de vos propres yeux le monde sombrer dans les ténèbres.

Je lui souris avec toute l'arrogance dont j'étais capable et laissai l'attrait du pouvoir me galvaniser. Dieu l'Hypocrite allait bientôt devoir faire face à la Reine pécheresse et j'espérais pour lui qu'il était prêt à tout perdre dans le combat qui nous opposerait. Il avait truqué les dés, m'avait désigné comme seule participante de ce tirage pour me faire payer le prix de mes crimes.

LE PÉCHÉ INFERNAL | RomanceWhere stories live. Discover now