REDRUM

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Auparavant toi qui prônais brûler pour moi,

par quel blâme céleste m'avoir ensevelie sous tant d'émois ?

Je croulais, je fléchissais moi si petite, si ébranlable, 

et toi tu restais là, ou bien là-bas,

mais trop souvent loin de moi.

Tes bras devenaient linceul,

ton coeur en étau,

et moi si seule, 

quand tu partais naviguer sur de lointaines eaux.

Tes élans abjects, lorsque tu te jetais corps et âme dans nos étreintes insipides, triviales.
Tu t'en souviens, de cette nuit-là ?

Les effluves que tu dégageais n'étaient plus du tout cet alliage d'essence et de tabac. Tu embaumas l'étroit caveau qu'était notre chambre d'émanations avilissantes toutes droites sorties du fond d'un médiocre bourbon. Vulgaires fragrances d'une nuit de dépravations, occultations des plus sinistres perfidies.

Ta traîtrise était sans limite, et tu te tenais si droit, si hanté d'arrogance lorsque par dénégation je te refusais. C'est avec un port altier que ton visage s'embrasa pour que finalement, tu fondes sur une dépouille déjà annihilée, pensant sottement que tu l'éteindrais enfin.

Plus grand chose ne m'animait alors, si ce n'est la terrible revendication de respirer. Dernière lueur qui vacillait mais subsistait, malgré d'acharnées tentatives pour la balayer. Je ne demandais qu'à fuir, et toi me faire subir ta passion dévorante. Me punir de t'avoir trop aimé, plus fort que ce que je ne devrais.

Tant de cicatrices infligées, sentiers enneigés sinuant le long de mes bras, sur lesquels tantôt tu déposais de tendres baisers, tantôt tu t'agrippais pour dans ta chute m'emporter. Mon abnégation pour ta rédemption. Mon entité sur un plateau orné dans le maigre espoir de te sauver, voilà tout ce que je me damnais à te donner.

Et moi cette nuit-là, comme finalement tant d'autres, je la percevais, la destruction de tout ce qui avait pu exister de beau, de toutes les étincelles qui brillaient encore pour nous. Plus de nous, plus de toi, plus de moi. Comme l'écho de tes cris, mes élans adorateurs s'évaporèrent dans l'éther.

Je m'élance et tu me retiens, tu me susurres que tout va bien. A ma rébellion tu rétorques que sans toi je ne suis rien. Tu avais raison, tu t'imposais telle une goule aspirant goûte après goûte le peu d'hémoglobine qui me permettait encore de subsister. Lentement je me vidais et tu contemplais le délectable spectacle d'une étoile qui s'éteignait.

Je sens encore la chaleur étouffante de tes doigts se resserrant inexorablement sur mon cou. Et pourtant, tes mots aiguisés, c'était eux qui m'assenaient les plus terribles coups. Comment m'en échapper, de cette prison inepte à toute douceur ?

Douleur, rancoeur, ardeur rythmaient désormais nos pas en ce monde au sein duquel je ne décelais plus nulle beauté. Toi, mon être de hauteur, de grandeur, toi que je voyais comme mon sauveur. Je t'adulais avec tant de véhémence qu'aucune croyance ne saurait ébranler ma funeste admirance.

Et néanmoins vint un tendre matin où je sus que tout était fini. Des branches étaient tombés les bourgeons, dans un dernier élan de fureur tu abats le tronc chétif de cet être en devenir si allégorique. Et là, alors, je sais. La sève s'est figée, plus rien à espérer. C'est ainsi le coeur un peu plus léger que j'abdiquais, t'abandonnant dans ce funèbre logement dont les murs ont recueilli tant de cris, étouffé trop de pleurs.

C'est avec mes ecchymoses et mon coeur entouré de bandages bariolés que je refermais la trappe de ma tombe, sans même consentir à t'offrir un réconfortant regard d'adieu.


REDRUMWhere stories live. Discover now