Le garçon de l'épicerie

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Je passe tous les soirs à l'épicerie de son père. Juste après les cours. Pour le voir, évidement. Il a toujours le sourire aux lèvres, toujours une histoire à raconter. Et ce depuis que nous sommes enfants. Il me prend toujours la main, me regarde toujours dans les yeux. Je ne lui ai jamais rien dit, mais je pense qu'il sait. Parce que je serre toujours sa main fort avec la mienne.

C'est une épicerie modeste tenue par un modeste monsieur. L'intérieur est étroit, les rayons sont surchargés de produits colorés. Zeff fait en sorte de toujours garder le carrelage aussi propre qu'il puisse l'être. Devant le bâtiment, ils ont installé quelques tables et chaises, afin de servir des boissons. La rue est calme, fleuries, chaude, en ce mois de juillet.

J'entre.

"Sanji est là ?" je demande, connaissant bien sur la réponse : j'envoie toujours un SMS avant de venir.

-Tu pourrais dire bonjour, tête d'algue, me répond Zeff. Assis toi sur une table, il range l'arrière boutique."

Sanji aide son père, parce qu'il ne va pas à l'école. Il n'y va plus. Nous avions toujours été dans la même classe, jusqu'à ce que je parte à l'université, et qu'il se déscolarise. Je continue à venir le voir tous les jours, quand il est là.

"Zoro !"

Il sort de l'épicerie pour se rapprocher. Son petit sourire gonflant ses joues, le soleil dans ses yeux bleus. Je souris.

"Assieds toi. Qu'est ce que tu veux boire ?"

-Grenadine."

Il s'assoit doucement en face de moi, puis pousse un soupir.

"Les rangements de rayon m'épuisent. Mais le vieux est toujours soulagé une fois que c'est terminé. Il a beaucoup de travail. Ta journée ?

-Les examens approchent, 'me sens pas prêt."

Zeff nous sert le verre de grenadine.

"J'ai claqué mon argent dans des cours particuliers, je reprends une fois le vieux partis. Ça ne m'arrangerait pas de foirer.

-Continue de travailler dur et tout ira bien, me répond-t-il. Et je répète que ma proposition pour t'aider tient toujours."

Je n'ose pas lui dire que je ne veux pas le fatiguer, plus qu'il ne l'est déjà. Il serait en colère. A la place, je prends ma paille, et commence à siroter. Je sens Sanji me regarder, mais mes yeux sont rivés sur la paille. Il soupire. Me prend la main. Enlace mes doigts.

"Ça te dit d'aller à la plage demain soir ?" lance-t-il.

-Mes révisions.

-Est ce qu'une soirée va te tuer ?"

Je presse mes doigts.

"Non, je suppose que non. Comment on y va ?"

Je lève les yeux de ma paille, après ma question. Il me regarde avec malice.

"J'ai récupéré mon permis hier !"

Je souris, et mon souffle fait quelques bulles dans la grenadine.

"Je vois. Dans ce cas parfait, je n'aurais qu'à réviser sur le trajet.

-Si tu ne t'endors pas."

Zeff rappelle Sanji, et il se lève pour rentrer à nouveau. Je tourne la tête vers la rue. Les oiseaux sont perchés sur les fils électriques. Les cigales font un vacarme presque assourdissant. La chaleur m'assomme. Cela reste ma période de l'année préférée. On se voit beaucoup en ces temps là, Sanji et moi. Il y a toujours une semaine où l'on part en vacances ensemble, lorsque les cours sont finis.

"Zoro !"

Je tourne la tête.

"Il faut que je compte le total de la caisse, j'arrive au plus vite !"

Sanji disparaît dans l'épicerie à nouveau. Zeff nous a adoptés, de familles différentes. Nous avons le même âge, bien qu'il me rabâche être plus vieux de quelques mois. J'ai mon propre appartement en ville, depuis que je suis à l'université. Cela fait cinq ans que Sanji et moi ne vivons plus sous le même toit. Mais on fait toujours tout ensemble. Le blondinet ressort.

"Le vieux me lâche plus tôt. Il m'a même donné un peu d'argent de poche pour qu'on aille en ville. Ils lâchent des ballons ce soir pour fêter l'été.

'Mes révis-"

Il prend ma main, et me tire vers lui.

"Allons-y !"

Je laisse quelques pièces sur la table, à la hâte. Nous empruntons une rue en descente, qui mène au centre ville. Notre ville n'est pas bien grande, juste assez pour y vivre. Le soleil commence déjà à se coucher, le ciel vire orangé, nos ombres s'étirent sur les pavés.

"Est ce qu'on va au coin habituel pour voir les ballons ?" me demande-t-il.

"Si tu me pose cette question, je réponds, c'est que tu as une meilleure idée."

Je l'entends glousser. Un soupir d'exaspération m'échappe, mais je le suis. Nous traversons les rues commençant à se remplir de monde. Nous nous achetons de quoi manger sur le chemin, puis Sanji désigne le haut d'une petite colline.

"Récemment, ils ont installé des éoliennes là haut, m'explique-t-il. Du coup les broussailles sont dégagées, et on peut s'y asseoir."

Cela semble effectivement l'endroit parfait pour regarder les ballons. Mes yeux se posent sur ses jambes fatiguées.

"Tu as déjà grimpé là haut ?

-Je peux pas tout seul" me répond-t-il.

Je m'accroupis.

"Alors monte, je vais nous y emmener."

Il hésite un quart de seconde, mais finit par me chevaucher, et accroche ses bras autour de mes épaules.

"T'as pas intérêt à nous faire tomber, face de cactus" susurre-t-il.

J'ignore sa remarque et monte doucement. J'ai l'impression qu'il pèse moins lourd, à chaque fois que je le porte. Ça ne pourrait être que mon imagination, mais il suffit de comparer des photos pour me donner raison.

Arrivés au sommet, je le pose au sol, et m'assois à ses côtés.

"Combien de temps reste-t-il avant qu'ils ne soient lâchés ?

-Encore cinq petites minutes" me répond-t-il, soufflant sur les takoyaki qu'il a acheté sur le chemin.

Ses joues se gonflent tandis qu'il souffle. Surement le trait de son visage que je préfère. Je me rapproche doucement, pour déposer un baiser sur celle ci. Il me repousse d'un coup d'épaule, en riant.

"Tiens."

Il me tend un takoyaki, sa main juste au dessous pour ne pas le faire tomber dans l'herbe.

Les ballons s'envolent.

La chaleur de son épaule contre la mienne.

Les palpitations de ses doigts enlacés aux miens.

L'impression que ces instants ne s'arrêteront jamais.

Souvenirs D'été [Zosan]Où les histoires vivent. Découvrez maintenant