L'apprenti - partie 2 (VERSION 2)

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Je saluai à mon tour le roi et suivis le magicien. Nous traversâmes les corridors sans un mot jusqu'à l'entrée du château. Il contourna l'un des majestueux griffons de pierre à l'extérieur et s'élança sur la large rue qui longeait les hauts murs de la demeure de son altesse. Nous croisâmes nombre de citadins. Beaucoup étaient humains, mais une minorité affichait des oreilles et queues bestiales. Plus rarement, je devinais des museaux reptiliens, sous de fins capuchons de cotons, typiques des sarpïeins. Ces lézards bipèdes n'avaient de cesse de se vanter d'être les cousins des dragons... mais hormis leur tête et queue écailleuses, nous n'avions guère de similitudes. Leur vie restait aussi courte que celle des autres peuples, et ces êtres, au don magique acquis de naissance, étaient bien trop imbus de leur personne pour que j'accepte de les voir comme des proches. Nous autres, les dragons, étions puissants, mais notre ligne de conduite nous imposait de rester courtois et respectueux envers ceux que la nature avait bien moins gâtés.

Au premier croisement, le vieux magicien bifurqua subitement vers l'ouest. Je contournai la charrette d'un marchand et le rattrapai de larges enjambées. Ce sale bougre me coula un regard en coin, bien amusé de me faire trottiner.

— Vous avez l'âme taquine, lâchai-je une fois à ses côtés.

Il haussa les sourcils, surpris de mes mots.

— Tu as un vocabulaire profond pour un enfant de ton âge. D'autant plus pour un fils de paysan.

— Tout le monde naît avec un cerveau, qu'il soit pauvre ou riche.

— Mais les riches ont plus de facilités, insista Ennris dans un sourire malin.

Je l'observai un instant. Certes, en tant que dragon, je restais loin d'être un expert sur la vie des peuples terrestres, mais quelle que fût la race, je savais sans en douter que le statut social n'influençait en rien sur la capacité intellectuelle d'un enfant. Ce vieil homme clamait des préjugés frustrants...

— Cela dépend de ce à quoi vous pensez en parlant de facilités, crachai-je finalement d'un air mauvais.

Ennris ne prit pas mouche. Au contraire, mon répondant semblait le satisfaire.

— Les familles aux grandes richesses ont plus de facilités à accéder à l'apprentissage.

— Alors nous sommes d'accord, tranchai-je, peu enclin à débattre davantage sur le sujet.

Un sourire léger aux lèvres, le vieil homme s'arrêta devant la porte d'entrée d'une maison. Bâties dans la pierre, de nombreuses poutres de bois venaient soutenir les angles du bâtiment et les contours des ouvertures. Les planches verticales voyaient leur tête et leur pied sculptés d'étranges symboles, tandis que le corps des horizontales l'était entièrement. Ils me rappelaient les runes des chamanes des tribus sauvages du continent Est. Terres que les peuples de Dorsük ne connaissaient pas, si ma mémoire ne me faisait pas défaut. L'océan qui les en séparait était trop vaste pour leurs navires de bois et de métal. Pourtant, une chevelure d'îles rapprochait Dorsük du continent, mais aucun Dorsükien n'avait encore pris la peine d'explorer ces îlots sauvages... probablement à cause de leur faune et de leur flore des plus hostiles. Mais l'instant n'était guère à comparer mon savoir du monde à celui de ce peuple humanoïde.

— Voici ta nouvelle demeure, déclara Ennris en ouvrant la porte de bois d'un bras.

Il me fit signe d'entrer, puis referma derrière nous. L'intérieur était chaleureux et s'étirait sur six bons mètres. D'imposantes tentures au rouge bordeaux coloraient le gris sombre des pierres murales, quand une étagère bourrée de livres ne les dissimulait pas. Leurs espaces étaient si insuffisants que des piles d'ouvrages s'entassaient à leur pied et sur les deux longues tables de travail qui découpaient la pièce en deux. Au fond de la salle, un escalier grimpait à l'étage, tandis que non loin, une nouvelle porte de bois brut donnait sur l'aile droite du bâtiment.

Prince et Dragon - Tome 1 : Ixen [EN COURS - publication réécriture]Where stories live. Discover now