Les derniers mots Printaniers

19 3 4
                                    

Mes premiers maux printaniers, ces marques ancrées en moi, indélébiles, telles des cicatrices fluorescentes. Tu me manques, mon frère. Depuis notre tendre enfance, je t'ai toujours considéré comme mon frère. Comme le super héros qui viendrait me sauver en cas de problème. Tu es mon super-héros pour toujours, rassure-toi.

Je n'ai pas pu l'être pour toi, malgré tout ce que j'ai pu tenter, il n'existait pas de super-héros, de super-miracle, super-remède pouvant te sauver. Ça m'a pris du temps. Un an. Mais avec le temps, on finit par se rendre à l'évidence et comprendre. Comprendre qu'on n'est pas impuissants, il n'y a juste pas d'autre issue.

Des fois, je me rappelle de ces après-midi qu'on passait à regarder les étoiles phosphorescentes en plastique accrochées sur ton plafond. Je ne sais pas pourquoi on passait autant de temps scotchés sous ce ciel de chambre, mais c'était apaisant. Tu me disais que tu aurais aimé vivre dans les étoiles. Qu'un jour tu voudrais bâtir ta maison sur la plus belle étoile de la galaxie. On ignorait tous les deux que les étoiles finissaient par s'éteindre, et j'ignore si c'est pour ça que tu es parti. Je ne t'en veux plus, tu as tout de même fini par les rejoindre, tu as réalisé ton rêve.

Mais tu sais, des fois je t'en voulais. Je t'en voulais d'être parti. Je me disais « Tu ne devais pas me laisser » « Tu n'avais pas le droit de m'abandonner » « Pourquoi tu es parti, tu n'es qu'un traître ». J'avais sûrement peur d'affronter le monde par moi-même, seul, sans mon super-héros pour me protéger. Peut-être qu'on se couvait trop l'un l'autre, mais j'aimais me sentir en sécurité de la sorte.

Tu as toujours été mon remède, et j'avais la sensation d'en être aussi un pour toi. Mais je n'étais qu'un placebo. Je t'apportai un soulagement passager, mais ce n'était jamais rien de concret, en profondeur. Et après t'en avoir voulu, je m'en suis voulu à moi-même. Me reprochant que tout était de ma faute. Que je n'étais qu'un bon à rien qui n'arrivait même pas à aider l'être le plus cher à ses yeux.

Si j'avais seulement remarqué à ce moment-là, que plus rien ne brillait dans tes yeux, que ton âme s'était déjà envolée, aurais-je réagi à temps ? Avec des si, on referait le monde, je sais. Tu me disais souvent ça. Affronter les défis de la vie, j'en avais peur alors que toi tu le faisais avec courage. C'est sûrement pour ça que c'est injuste que ce soit toi qui es parti en premier. Mais c'est comme ça. J'ai appris à faire comme toi, à affronter avec courage. Tu m'as appris tant de choses, tout est compliqué mais si on essaye, si on se bat, on s'en sort toujours.

Merci de m'avoir énormément apporté, lors de ton séjour sur Terre. Tu sais, faire le deuil est très compliqué. Je n'ai jamais autant éprouvé de souffrance, lorsque ce jour-là, ma mère en pleurs m'a annoncé la nouvelle. Je suis reconnaissant de m'être réveillé en retard ce jour-là. Je n'aurais jamais été assez courageux pour me remettre de cette vision à laquelle ta mère a dû faire face à ma place. Et même s'ils t'ont emmené aux urgences pour tenter de te sauver, c'était trop tard. Je suis passé par toutes les étapes du deuil. Le choc, le déni, le marchandage, la colère, la tristesse, la résignation, l'acceptation et vient la reconstruction. La souffrance de ton départ, la tristesse, cette étape a été la plus dure pour moi. J'ai jamais autant eu mal, on aurait pu me casser chaque membre de mon corps, je n'en aurais pas autant souffert. Cette solitude à laquelle j'ai dû faire face. Le pire, n'a pas été l'enterrement. Non. C'est quand je suis allé dans ta chambre, chercher tes étoiles et les accrocher sur mon plafond. Chaque soir, j'avais espoir de te voir souriant, me disant : « J'ai réussi TaeHyung ! Je vis sur la plus belle étoile de la galaxie ». T'imaginer comme ça, sur ces étoiles, dansant, sautant, virevoltant tout heureux. Ta galaxie rêvée. Cette vision berçant mes nuits tout en les rendant plus difficiles. Maintenant ce n'est plus une vision, c'est une certitude. Tu existes parmi les étoiles, et pas n'importe lesquelles. Les étoiles éternelles.

Un soir, tu pleurais. De toutes tes forces. Je t'ai rejoint dans ce vieil espace vert, avec la balançoire rouillée comme bruit de fond. Tu m'as conté tes douleurs, tes problèmes, tes hantises. J'ai tout de suite essayé de les régler, les panser. J'aurais dû me la fermer, t'écouter et essayer de comprendre. On agit souvent comme ça, idiots d'humains que nous sommes. À tenter de trouver l'issue d'un danger inconnu. Si on ne connaît pas le mal, comment seulement pouvoir trouver le chemin du rétablissement ? J'ai été bête, et je l'ai vite compris. Alors à chaque fois que tu me contais ton mal-être, je t'écoutais, je te montrais que tu n'étais pas seul. Et je sais que je suis la seule personne qui aimait cette partie de toi. Celle que tu tentais de cacher. Celle dont tu avais honte. Celle que les autres essayaient de renier pour en créer une plus belle. J'ai aimé ton toi souffrant. Ton toi malade. Ton toi désespéré. Je t'ai aimé tout entier. Et je t'aimerais toujours entièrement. J'espère tout de même, avoir été le meilleur ami qui soit, la meilleure épaule sur laquelle t'appuyer, le meilleur frère.

Tu sais, et ce depuis longtemps, que je crois au destin. Je continue de croire que le destin nous a réunis. Qu'il nous a liés l'un à l'autre exprès. Et même si ce lien aurait pu s'effriter lors de ton départ, il est resté intact. Ta présence sur cette Terre ne sera jamais vaine. Je sais que notre lien est indestructible, éternel, comme ton étoile.

J'adore les saisons, et tu trouvais ça intéressant d'en parler pendant des après-midi entiers bien que le sujet n'était pas si attrayant pour toi finalement. Ta saison préférée était l'automne, et moi le printemps. Un automne, où le paysage était magnifique, rouge orangé étaient les feuilles échouées. Tu m'as emmené sur ton super VTT voir un lac. Et c'était très beau. Il y avait une forêt, et on avait fait un cache-cache là-bas. J'avais eu très peur de me perdre alors tu avais fait exprès de faire du bruit, pour que je puisse te trouver facilement. Tu m'avais dis :« Quitte à ce qu'on se perde, autant être ensemble ». Ensemble, en toutes circonstances, sauf maintenant. Tu m'avais offert une feuille morte très belle. Je l'ai encadrée car ça représentait un des plus beaux souvenirs de ma vie, bien que ce soit banal.

On vivait banalement. Seuls tes maux rendaient cette vie moins banale. Mais ce n'était pas une vie, un mal comme celui-ci est invivable. Et je suis désolé que tu aies enduré tout ça. Maintenant que tu es en paix, tu dois ne plus rien trouver banal n'est-ce pas ?

Des fois, j'espère t'entendre me dire : « Je n'ai plus mal, rassure-toi. » car ce n'était pas juste. Mais ne t'en fais pas, je sais que tu n'as plus mal. Mais peut-être qu'inconsciemment je te demande de revenir. Je ne devrais pas te retenir comme ça. Je suis sensé te laisser partir. Et c'est ce que je fais, mais te lâcher la main peut s'avérer compliqué tout de même.

J'aimais tant tes cheveux, ils sentaient bon, étaient doux, beaux et se mêlaient au vent avec tant d'élégance. Et j'aimais beaucoup tes chaussures aussi. Je les aimais tellement que tu m'en avais acheté une paire de ma couleur préférée le Noël de mes 16 ans. J'avais des Vans vertes, tu en avais des jaunes. Jaune étoile.

Je m'égare peut-être un peu, j'essaye peut-être de repousser les aux revoirs. Toi et moi, on n'a jamais aimé ça. Ça me rappelle d'ailleurs, ce fameux jour de printemps, pas longtemps avant l'événement. On était allé sur un petite colline, il y avait un joli arbre là-bas. Tu avais enlevé tes Vans et tu m'as demandé d'enlever les miennes. On faisait la même pointure. Alors tu avais gardé ma Vans gauche, et j'ai gardé la tienne. C'était désaccordé, mais c'était encore plus beau comme ça. Ce jour-là je m'en souviendrais pour toujours. Je porte le plus souvent nos Vans.

Enfin bon, il est tout de même temps de dire au revoir. Tu vas continuer de me manquer, mais je ne te retiens plus. Et c'est en ce jour de printemps, ma saison préférée, mais aussi celle que je hais pour t'avoir enlevé loin de moi, la saison de la renaissance, que je te dis et ce pour de bon, adieu JiMin.

TaeHyung déposa la lettre, se releva après une prière, et s'en alla. Ses Vans, une verte et une jaune aux pieds. Il regarda le ciel, le salua en souriant, lui souhaitant bonne journée pour la dernière fois. Il était enfin prêt à avancer sans se retourner, et ce définitivement.

𝐿𝑒𝑠 𝑑𝑒𝑟𝑛𝑖𝑒𝑟𝑠 𝑚𝑜𝑡𝑠 𝑃𝑟𝑖𝑛𝑡𝑎𝑛𝑖𝑒𝑟𝑠 Место, где живут истории. Откройте их для себя