L'homme que l'alcool menait

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Dans la nuit noire, un cauchemar dont elle ne se souvient pas la réveilla. Étrangement, elle entendait des voix provenant du salon. Elle y entra, la télé allumée sur film entamé, les bouteilles et cannettes éparpillées, un chat léchant une assiette sale laissée là et un homme endormi, étendu et à la ramasse sur le canapé, son père. Elle se demandait si elle devait le réveiller pour qu'il puisse dormir dans son lit, il serait certainement plus confortable.

-Papa, papa, tu dors, viens dormir dans ton lit, papa, chuchota-t'elle doucement, tout en le secouant. Il grogna. Papa, allez, réveille-toi, insista la petite fille.

Il se leva dans un grand mouvement brusque à deux doigts de pousser sa fille qui s'était écartée rapidement. Les paupières collantes mais retrouvant néanmoins peu à peu ses esprits, plusieurs questions fusèrent dans sa tête. Quelle heure était-il ? Que ce passait-il ? Sa fille ! Il avança vers elle, mais trébucha, perdit l'équilibre et tomba et brisa une bouteille. Elle lui donna de l'eau. Il la recracha, la Voix, elle lui avait ordonné. Ne bois pas ça, disait-t'elle ! Ça nous sépare, ça nous aime pas, ça nous fait mal.

- Papa, disait-elle, je pense que tu as assez bu, tu es bizarre.

La Voix, Elle lui chuchotait à l'homme, elle veut nous séparer, elle te veux pour elle seule ! Ne la laisse pas nous séparer. Nous sommes faits pour être ensemble. Nous sommes un tout, seul tu es faible. Tu as besoin de moi. Avec moi tu es plus fort et invulnérable. Tu as besoin de moi, disait la Voix, tu me veux, tu m'aimes. Elle ne peut pas l'accepter, elle me rejette cette petite fille sournoise et méchante ! Elle nous rejette, elle ne nous aime pas. Mais il répondit et davantage pour se convaincre :

- Non, elle m'aime, je l'aime ne parle pas d'elle comme ça !

La Voix répondit furibonde, regarde là, elle et ses yeux remplis de dégoût, elle nous hait, elle nous déteste et ne nous comprend pas, elle n'est pas comme nous, elle ne peut être avec nous, elle est inconciliable. Dis-lui ! Elle partira, elle nous laissera vivre et nous serons heureux, pour toujours. Avec elle, ce n'est que malheur. Elle est incompatible avec nous, dis-lui ! Le pantin parla comme contrôlé par une marionnettiste :

- Nous sommes incompatibles, et demain je ne veux plus jamais te voir, va-t'en de chez moi et ne reviens pas.

Il aurait élevé la main sur son enfant, elle aurait eu moins mal. Elle aurait voulu s'enfoncer dans le mur, devenir le mur et le rester. Ses oreilles sifflaient, le temps s'arrêta comme une horloge anesthésiée. Elle était là face à lui, figée sur place, telle une poupée dans un sac de moleskine. À se répéter lentement ces mots traitres. Sa douleur était telle, en une fraction de seconde, elle était devenue aussi fragile qu'un papier de soie. Mais elle parla avec toute la force qu'il lui restait, une boule dans la gorge qu'on appelle la souffrance:

- Penses-tu vraiment ce que tu viens de dire papa, chuchotait-elle, au bord des larmes. As-tu entendu ce que tu viens de dire, à moi ? Papa, je veux rester avec toi, je t'aime !

Menteuse, cria la Voix, menteuse ! Le combat qui se déroulait au sein de l'homme était si fort mais La Voix, elle hurlait, elle ne voulait pas qu'il craque, elle le voulait pour lui, comme Anakin est à Palpatine. Elle ne sera jamais heureuse si Je suis là, clamait-elle, c'est elle ou moi, tu ne peux m'avoir si elle est là, à me contester, choisis ! Lentement, il referma la main sur un morceau de verre qui traînait par terre. C'était Elle ou elle, il choisit la Voix, la seule et l'unique. Soumis à cette chose, pantin de cette Voix, comme manipulé par des désirs créés et incontrôlables, dans cette spirale interminable, il commit l'irréparable. 

L'homme que l'alcool menaitWhere stories live. Discover now