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Léna trébuche en entrant dans le bar, sa tête tourne après une soirée bien trop alcoolisée avec ses collègues de l'hôtel.
Lorsqu'elle reprend un semblant de conscience, elle a le front posé sur une des tables collantes du vieux pub. Death to capitalism est gravé sur le bois près de son oreille, l'odeur de l'alcool lui donne la nausée. Elle redresse doucement la tête.

"T'es vivante" lui dit le barman quelques mètres plus loin et lui glisse un verre d'eau sur le bar. Pendant un instant, elle oublie presque que les gens autour d'elle ne parle pas sa langue. Léna se redresse difficilement et s'installe sur un des tabourets pour prendre le verre. Le barman se retourne pour nettoyer un bout du comptoir sale avec un chiffon qui a l'air encore plus sale.
Sa peau est bronzée et quelques tatouages sont visibles de là où elle se trouve. Elle se laisse le temps de le regarder jusqu'à ce que son verre soit vide, gorgée par gorgée.
Elle finit par trouver son téléphone et commande un Uber.

Une fois dehors, elle regarde la porte du bar derrière elle, l'alcool toujours très présent dans son corps. Les lettres se mélangent et elle a du mal à se concentrer, elle abandonne.
Le Uber lui coûte 46$, parce qu'il pleut.

*

Les jours qui suivent s'enchaînent rapidement, le travail lui prenant une grande partie de son temps.
Ses collègues ne semblaient pas plus inquiets que ça de sa disparition soudaine et Léna était reconnaissante de ne pas avoir eu à se justifier.
Elle se tient debout derrière le bureau de la réception de l'hôtel, appuyée contre le comptoir. Les rayons de soleil timides traversent les nuages un instant avant de disparaître, le hall s'assombrit instantanément. Malgré la fraîcheur de ces premiers jours d'octobre, la climatisation est toujours présente dans l'hôtel et Léna frissonne. Ces américains.
Les portes automatiques s'ouvrent et une famille de touristes entre dans le bâtiment. Léna se redresse et tire sur sa chemise pour en élever les plis.
Leur excitation résonnent dans le hall spacieux, les roues de leurs valises sur le carrelage brisent le silence.
Elle se souvient elle aussi de son arrivée à New York, l'adrénaline, la peur de l'inconnue, l'envie de découvrir chaque parcel de cette ville immense et la promesse d'une nouvelle vie. Puis la routine s'installe, la masse de monde le matin dans le métro, l'odeur des rues, les souris dans l'appartement, les mac&cheeses industriels de Betty, sa colocataire. Une vie comme les autres à 6000km.
Le père de famille s'approche, luisant de sueur. Léna a presque de la peine pour lui mais lui sort son plus beau sourire, c'est repartit.

*

Il fait beaucoup trop chaud, les draps lui collent à la peau et ses jambes commencent à lui faire mal. Chad, si elle se rappelle bien de son prénom, continue ses allers retours entre ses jambes, son souffle chaud contre son oreille.
Son regard se perd sur le plafond au dessus d'elle et sur les vêtements posés un peu partout dans la pièce. On dirait une chambre d'adolescent. Sur un des murs, un poster du Seigneur des Anneaux est fièrement affiché a coté d'un drapeau d'une équipe de football américains ou de baseball, Léna n'en a aucune idée.

« T'as fini ? » lui demande Carl essoufflé. Elle sort de ses pensées.
« Hm ? »
« T'as fini ? »
Une voix lui dit de répondre oui pour qu'elle puisse rentrer chez elle.
« Non, non continue »
Chace reprend son rythme et Léna pose une main hésitante sur son dos couvert de sueur. C'est degueu. Elle aurait pu se douter que ça n'allait pas être le meilleur coup de sa vie lorsqu'elle lui a dit qu'elle venait du Connecticut et qu'il n'avait pas bronché malgré son fort accent français. Encore une fois, ces américains.
Elle savait aussi qu'aller à la soirée chez Tom était une mauvaise idée mais tout était mieux que de rester enfermer dans sa chambre à regarder des séries Netflix qui montrent New York comme elle ne le verra jamais. Putain de rêves nuls.
Chuck accélère son va et viens, il est proche, enfin.
Lorsqu'il termine avec un grognement proche du chaton et de l'ours, Célia le laisse se retirer, s'étire et se lève avant qu'il ne puisse poser plus de questions.
Elle peine à trouver sa culotte dans la masse de vêtements qui jonchent le sol mais parvient à regrouper une grande partie de ses affaires.
« Tu restes pas ? » lui demande Carl
« Non, ma coloc m'attend à la maison »
Si seulement c'était vrai, la seule chose qui l'attend c'est que le regard de jugement de Betty, déjà en pyjama.
Une fois habillée, elle se dirige vers la porte.
« Bye Chad »
« C'est James »
Ah.

*

Le froid entre dans son manteau lorsqu'elle rejoint les rues bruyantes. Elle marche quelques minutes pour se dégourdir les jambes. Le trottoir est mouillé et les passants sont encore nombreux. Elle sort son téléphone, il est minuit. Léna se demande ce que sa sœur et sa mère sont en train de faire, dormir sûrement ou peut être qu'elles se réveillent doucement, prêtent pour reprendre leur routine à elles. Elle soupire.
Léna décide d'acheter une canette de bière dans l'épicerie en face de la rue pour le retour, dépitée à l'idée de rentrer. Une fois devant la caisse, l'homme lui demande sa carte d'identité, les américains. Elle cherche dans son sac mais ne la trouve pas. Elle plonge la main dans sa poche en espérant sentir le rectangle en plastique mais rien. Son ventre se sert. Elle l'a peut être laissé à l'appartement mais pourtant elle ne se souvient pas l'avoir sortit de son sac. Elle cherche une dernière fois, toujours rien.
Elle s'excuse auprès du caissier et sors de l'épicerie. Son cœur accélère et Léna prend une grande inspiration. Elle essaye de se remémorer la dernière fois qu'elle a pu l'utiliser et rien ne vient.
Un vague souvenir lui traverse l'esprit, le verre d'eau, les tatouages.
Elle peine à se souvenir de l'endroit du bar et sort son téléphone. Elle réussi à trouver son dernier trajet en Uber.
Une partie d'elle lui dit d'aller se coucher que ce n'est pas important après tout elle a encore son passeport et elle doit travailler demain mais une autre voix lui dit qu'elle n'a rien à perdre et qu'il vaut mieux en avoir le cœur net.
Et puis à New York dans les films Netflix, personne ne rentre à minuit parce qu'ils travaillent. Tant pis.
Léna s'engouffre dans le métro.

The Last Call / Daniel Ricciardo Where stories live. Discover now