La Fin de l'Été

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"Tu es prête ?"

Appuyée contre la colonne en marbre blanc, la mère dévisageait sa fille, les bras croisés. Ses ongles s'enfonçaient vicieusement dans sa peau, alors que Perséphone rassemblait ses dernières affaires. Chaque année était une même épreuve, et chaque année devenait plus dure. On aurait pu croire que Déméter s'habituerait à voir son unique enfant dire au revoir aux nymphes, prendre quelques vêtements chauds sur ordre de sa mère - les Enfers étaient si lugubres, Déméter était sûre que le froid finirait par l'emporter, et jouer une dernière fois pieds nus dans les champs fertiles. Mais c'était impossible, pour la déesse mère nourricière. Laisser partir sa petite, pour qu'elle retrouve ce monstre qui l'avait enlevée et cachée au reste des dieux, même à Zeus lui-même... C'était une infâme épreuve, qui ne prendrait fin que des mois plus tard.

Et c'était si injuste. Tout ça à cause de ces misérables pépins de grenade.

Déméter détestait les grenades.

"Oui, c'est bon."

La déesse de l'agriculture sortit de ses songes fruités haineux, et regarda le visage de Perséphone. Malgré son chagrin, elle posa une main sur la joue de sa fille. Cette dernière ferma les yeux, et répondit par sa main sur la sienne. Sa coiffe frisée retenue en chignon laissait échapper quelques cheveux, se glissant dans les plis de sa péplos en laine. Déméter détestait la voir se faire belle pour son mari :

"Maman...

- Je sais, je sais, soupira-t-elle, tu n'as pas le choix.

- Si je pouvais rester auprès de toi, auprès des nymphes...

- Mais tu ne peux pas."

Déméter se mordit la lèvre, comme si ces mots quittaient ses lèvres avec une partie de son cœur. Pourquoi chaque année devenait-elle de plus en plus difficile ?

"Est-ce que je peux avoir mon épi de blé ?"

Et voilà la question qu'elle redoutait. Celle qui annonçait le départ imminent de Perséphone pour les Enfers. La chose la plus précieuse qu'elle pouvait emporter, pour ses prochaines semaines loin de la terre des mortels. Il aurait été inconcevable pour la déesse de l'agriculture de laisser sa fille partir sans. Mais elle ne pouvait s'empêcher de repousser l'inévitable :

"Tu ne veux pas boire une dernière chope d'ambroisie avant de partir ? Ou prendre un peu de pain. Qui sait ce que ce mufle te donne à manger...

- Maman arrête. Ce mufle est mon mari, que tu le veuilles ou non.

- Un mari qui te garde prisonnière et loin de moi.

- On en déjà parlé, soupira Perséphone. S'il-te-plaît, ne rends pas les choses plus difficiles."

La dernière chose qu'elle souhaitait, c'était se disputer avec sa propre fille, avant de lui dire au revoir. Aussi, Déméter n'insista pas. Elle tendit à Perséphone l'épi de blé qui l'accompagnerait durant tout son séjour, et lui rappellerait son lien à la terre fertile, à Gaïa, et à sa mère. La jeune femme eut un grand sourire, et déposa un baiser sur la joue de sa mère :

"Au revoir maman. Prends soin de toi et des nymphes."

Déméter resta les bras ballants, alors que l'écho des sandales de Perséphone se faisait de plus en plus lointain. Ses mains agrippèrent les bords de sa tunique, s'accrochant du mieux qu'elle le pouvait pour ne pas que sa fille entende ses larmes. La première fois, son chagrin avait été si insupportable, que la nature avait dépéri d'un seul coup. Zeus lui-même avait dû se déplacer, mais sa capacité émotionnelle inexistante n'avait pas permis le moindre progrès. Ce ne fut qu'au long de discussions interminables avec Hestia et Héra que Déméter avait pu surmonter sa peine.

La Fin de l'ÉtéWhere stories live. Discover now