La Comtesse de Yarmin

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La planète Yarmin gravitait autour d'un des soleils de la constellation du chasseur. Son étoile était celle qui formait la pointe de l'arc. C'était ici qu'avait été construite la tour de la Comtesse. Cette femme dirigeait d'une main de fer toutes les entreprises des planètes alentour. Du sommet de sa tour, elle avait une vue grandiose sur les déserts de Yarmin. De toutes les planètes sur lesquelles elle régnait, elle avait choisi la moins peuplée. Elle aimait la sérénité que lui apportait cette solitude.


Ce jour-là, cependant, elle n'était pas dans son état normal. Elle tapotait frénétiquement des doigts sur la rambarde du garde-fou du balcon en soupirant. Son front transpirait à grosses gouttes et une pointe d'angoisse lui saisissait la gorge. Une sensation qu'elle n'avait pas ressentie depuis de très longues années. Quand sa nouvelle servante, une jeune humaine, entra dans son bureau derrière elle, la Comtesse se précipita vers elle et l'empoigna par les épaules.

– Je me sens si fatiguée, lança-t-elle, si lasse et si... incertaine.

La servante tressaillit en apercevant pour la première fois le visage de sa maîtresse de près. Elle n'avait rien de la femme qui paraissait dans les médias. Les holo-projections montraient une femme grande et longiligne d'une beauté exceptionnelle, mais la réalité était tout autre. Elle était voûtée, osseuse et son visage était hideux. Ses yeux étaient jaunes, ses dents noircies, ses veines faisaient d'étranges reliefs verts sur sa peau grisâtre, ses cheveux épars sur sa tête avaient perdu leur éclat doré et laissaient apparaître un crâne usé et pelé. Il n'y avait plus rien chez la Comtesse qui pouvait rappeler la femme qu'elle avait pu être autrefois. L'opium noir l'avait réduite à l'état de carcasse ambulante.

– Tu sais comment je suis arrivée à un poste si haut, la nouvelle ?

– Non madame, dit la servante d'une voix hésitante et pleine d'angoisse.

La Comtesse sourit comme une démente.

– J'ai commencé dans les bas-fonds de notre société, comme la plupart des humains finalement. J'ai été achetée par un Klorgax, ces abominations tentaculaires qui contrôlent le système de Lorkan. J'avais été choisie comme animal de compagnie alors que j'étais toute petite. Ils m'ont appris des tours, et me faisaient vivre dans un chenil parmi des centaines de créatures toutes plus misérables les unes que les autres.

Elle attrapa son crachoir pour se dégager la gorge d'un mollard sombre. La servante essaya au mieux de cacher son dégoût. Une tâche complexe. La Comtesse apprécia l'effort de cette dernière. Les gens de son entourage ne prenaient plus la peine de mentir sur leurs sentiments.

– Bien sûr, je n'étais pas dépourvue de bon sens, reprit-elle, et j'apprenais plus que les tours qu'on m'enseignait. À terme, j'ai fini par maîtriser leur langue. Lorsque j'en eus insulté un qui me fouettait, ils comprirent que j'étais plus qu'une simple bête sauvage. Ils reconnurent un peu ma valeur et me donnèrent ce qu'ils considéraient comme une promotion : je suis devenue une esclave. C'était leur façon de prouver qu'ils considéraient mon intelligence : des chaînes autour des poignets et des corvées à longueur de journée. À l'époque, je ne connaissais rien de l'univers, rien des mondes extérieurs à ce foutu système. Je ne savais même pas s'il y avait quelque part d'autres personnes comme moi. Qu'était-il advenu de l'humanité depuis mon enfermement ? Le monde extérieur n'était qu'à quelques pas de moi, mais pourtant, je me refusais de les franchir, craignant le courroux de mes maîtres. Finalement, un beau jour, mon maître m'emmena avec lui à un congrès galactique. J'étais devenue une de ses esclaves favorites, je n'échouais jamais dans aucune de mes tâches. Bien sûr, je l'écœurais par mon aspect humain et il avait un peu honte de m'afficher. Pour ces choses à tentacules, des êtres qui se meuvent avec des bras et des jambes semblent bien laides. Il me faisait couvrir d'une tenue intégrale de sorte à ce que personne ne sache ce que j'étais vraiment. Pour la première fois de ma vie, je montai à bord d'un vaisseau. Ce qu'il ne savait pas, c'est que j'étais bien plus intelligente même qu'un humain normal et en un seul voyage, j'avais compris comment piloter l'engin. Quand j'ai découvert le congrès galactique, j'ai alors aperçu pour la première fois le Comte de Yarmin. Un humain, comme moi, mais sans chaînes. Il avait à ses pieds des dizaines de serviteurs d'espèces différentes qui obéissaient à ses moindres demandes. C'était à la fois surprenant et formidable. Je découvris que je n'étais pas seule, mais aussi que l'humanité pouvait aspirer à autre chose que d'être esclave. Sur certaines planètes les humains pouvaient être les maîtres. J'obéis à mon Klorgax de maître pendant tout le voyage, et de retour sur notre planète, je continuai à accomplir mes devoirs de sorte qu'il me fasse de plus en plus confiance. Mais au fond de moi, je n'aspirais plus qu'à une chose : devenir comme le Comte de Yarmin.

La Comtesse de YarminWhere stories live. Discover now