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22 : 33

"Fêter le réveillon du Nouvel an seule n'est pas une fatalité."

Pendant une poignée de secondes, les doigts de Mai-Lan restèrent suspendus à quelques centimètres de son clavier. Son index hésita à tout effacer, fermer la page et éteindre son ordinateur.

— Oh, et puis merde.

"Ce n'est pas une fatalité parce que c'est un jour comme un autre. Alors, oui, quelqu'un a décidé un jour — sûrement le 31 décembre — que le lendemain serait le signe d'un passage à une nouvelle ère. On oublie les problèmes des mois précédents et on prend de bonnes résolutions avec l'espoir désespéré qu'un changement soudain survienne dans notre vie. Mais, en réalité, rien ne se passe. Vous êtes toujours vous, vous avez perdu dix minutes de votre existence à gerber aux toilettes et vous continuez à dire 'Vous m'avez trop manqué les gars, je vous avais plus vus depuis l'année passée !'"

Elle relut son dernier paragraphe, échangea quelques mots pour leurs synonymes et prit une gorgée de son café glacé contenant pas moins de trois carrés de sucre. Une goutte coula le long des commissures de ses lèvres et sa langue la rattrapa avant qu'elle ne souille son pyjama à pois. Elle exhala. Longuement. Très longuement.

"Vous voyez, mes cousines passent leur soirée avec leurs potes ou leur copain et l'une d'elle m'a même invitée — par pitié —, mais j'ai décliné pour garder un semblant de dignité. De toute façon, ça ne m'intéresse pas, parce que je hais le contact physique avec des inconnus dégoulinant de sueur et les chansons trop fortes, mais c'est comme si le monde voulait se venger sur moi, parce que je vis dans une ville qui ne dort littéralement jamais.

Bref, vous l'aurez compris, mes parents ont vraiment choisi le pire environnement pour moi. En parlant d'eux, ils m'ont abandonnée pour rejoindre des amis et ne rentreront que demain. Ça signifie que j'ai la maison entière à disposition, mais je ne vais rien faire. Je n'avais déjà pas prévu comment aller se dérouler ma soirée en dehors du fait que je serai affalée sur mon lit à m'adresser à des fantômes. Parce que oui, vous n'existez tout simplement pas et personne ne lira tous ces messages ; plus j'y pense, plus je trouve ça vraiment pathétique. Et par « ça », je parle de moi.

C'est comme si les Misérables avait été écrit pour moi — je ne sais pas ce que ce livre raconte puisque je ne l'ai pas lu, mais je me reconnais dans le titre donc j'espère que les fans de Victor Hugo me pardonneront pour ma possible ignorance. Je suis misérable, parce que comment peux-tu avoir 21 ans, avoir un logement étudiant dans une ville nationalement réputée pour son caractère estudiantin, et quand même rentrer chez tes darons un 31 décembre, faute de plan ?"

Mai-Lan palpa sa couette à l'aveugle pour retrouver son téléphone. Les applications défilèrent devant ses yeux légèrement injectés de sang et son doigt en sélectionna une en particulier. Cinq minutes d'intrusion dans la vie des autres n'allaient pas lui saper le moral, n'est-ce pas ? Diner aux chandelles pour les uns, alcool à profusion pour les autres, les individus apparaissant tour à tour sur son écran paraissaient vivre leur meilleure soirée. Les images parfois instables et saturées de couleur contrastaient avec son immobilité et la quiétude de sa chambre. Son ventre émit soudain un gargouillement semblable à un râle de créature maléfique.

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⏰ Last updated: May 30, 2023 ⏰

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AstéroïdeWhere stories live. Discover now