Chapitre 17

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Quand j'étais petit, je me disais souvent que la maison de mon grand-père était la chose la plus proche d'une représentation réelle du tartare. Les murs me dégoutaient, la poussière sur le sol me brûlait les pieds, et une impression horrible d'enfermement me terrorisait. Je faisais des cauchemars où mon grand-père ou ma mère me pourchassait. Je faisais en sorte d'avoir des heures de colle pour rentrer plus tard et y passer le moins de temps possible. En fait, le simple fait d'y perdre ne serait-ce qu'une seconde de mon temps m'horripilait. Cette maison reflétait un peu trop bien le vide à l'intérieur de moi. Celui que papa avait laissé.

Je soupire et toque à la porte. Mon grand-père m'ouvre. Il avance sa main pour que je la lui serre, mais je reste immobile.

-Salut.

-Bonjour William ! Ça fait plaisir de te voi...

Je le coupe dans sa phrase.

-Aristide m'a envoyé un message. Où est-il ?

-Là-haut, mais il n'est pas au meilleur de sa forme.

-Je le verrais par moi même.

J'entre dans le salon et emprunte l'escalier - ses marches grincent au rythme de mes pas. Cette maison est vraiment en miettes...

Il y a trois chambres ici. Celle de mon grand-père, celle d'Aristide et celle que dois désormais utiliser Edern - qui se trouve avoir été la mienne il y a quelques années, et celle de ma mère il y a encore plus longtemps. Je vais dans celle de mon cousin.

J'ai cru qu'Edern y serait, mais j'avais tort. J'y trouve juste Aristide, la mine sombre, recroquevillée dans un coin. Il lit un livre à la couverture trempée.

-Salut.

Il lève la tête et murmure quelque chose - bonjour, je suppose, mais sa voix est trop inaudible pour que j'en sois sûr.

-Ça va ?

-Ça pourrait aller mieux.

-Qu'est-ce qu'il c'est passé ?

-Rien d'important.

Sa voix est éraillée. Il parle très vite, comme si c'était douloureux.

-Je vois...

-Est-ce que tu pourrais aider papi avec le nettoyage et tout... ? Je pense pas en être capable, là...

Je reste immobile. Aristide semble prendre ça comme une confirmation - alors que ce n'en est clairement pas une. Il déglutis et baisse la tête, et me sentant de trop, je pars.

Je n'ai absolument pas envie de nettoyer quoi que ce soit. Je l'ai déjà trop fait. Mais tant pis...

J'attrape un balais et commence à enlever la poussière dans le couloir. Il y en a tellement que je ne peux m'empêcher de tousser. Depuis quand cet endroit n'a pas été nettoyé ?

C'est évident, en fait. Depuis que je suis parti... C'est-à-dire 9 ans. Les habitants de cet endroit sont vraiment des gros fainéants...

Je trouve ça marrant, quand même. Grand père tient si peu compte de ses responsabilités qu'Aristide est obligé de m'appeler pour que je range les choses par moi même... Ça me rappelle mon adolescence. Tout le monde prenait tout le temps la défense de mon ancêtre... "oh le pauvre ! Sa femme s'est fait tué, sa fille est en asile et son beau-fils est décédé ! Quel homme courageux !"... C'était ce qu'ils disaient tous. Seulement, il est loin d'être courageux que ce qu'ils disaient. C'est un homme insouciant, stupide, narcissique et méchant, et ça l'a toujours été. Mais les gens croyaient dur comme fer que c'était lui la victime, et que j'étais juste un enfant odieux qui ne savait pas apprécier quoi que ce soit. Ils le croient encore, ces imbéciles, et je sais très bien qu'ils ne sauront jamais à quel point j'ai souffert, à quel point j'ai pleuré, à quel point j'ai voulu mourir à l'époque.

J'espère que le super-héros que j'ai tué il y a quelques jours était l'un d'entre eux.

Tiens, Edern doit être assez triste, d'ailleurs, maintenant qu'un de ses collègues est mort. Il doit avoir donné sa mauvaise humeur à Aristide... Tout s'explique.

Je finis de nettoyer, et pousse toute la poussière dans un coin. Ils n'auront cas la mettre à la poubelle tout seuls...

-Euh, je peux passer ?

Je sursaute, me retourne, et sursaute à nouveau à cause de la stupidité visible de mon interlocuteur. C'est Edern-Voiceless-le Moche.

-Oui pourquoi ?

-Vous bloquez le passage avec votre balais...

J'attrape l'objet et il continue son chemin, avant de s'arrêter en plein milieu de l'escalier.

-Vous connaissez Nasrin, non ? il me demande.

-La fille de la salle de sport ?

-C'est ça. Elle a totalement disparu des réseaux...

-Ah bon ?

-Oui. Même sa famille ignore où elle est.

-Mince. Qu'est-ce qu'il lui est arrivé ?

Il soupire.

-Je n'en sais rien... Personne ne le sait, en fait. Je suppose que ça a un lien avec ce qui est arrivé à sa petite sœur, mais sinon...

Ah oui. C'est vrai, et en plus, c'est ma faute. J'ai fait tomber une étagère sur sa sœur, tandis que j'étais déguisé en Midas, et maintenant elle est hospitalisée. Hélas, en tant que super vilain, je ne faisais que mon devoir lorsque cet accident s'est produit.

-Bon rétablissement à sa sœur.

-Merci. Elle en a besoin... Il faut vraiment être taré pour faire ce genre de choses. Je n'arrive pas à croire que Midas soit encore en liberté après tout ça...

Je hoche la tête en rigolant mentalement.

-Je suis d'accord ! À sa place, je me serais déjà tué tant j'aurais honte.

Je croise les doigts derrière mon dos.

-C'est un peu excessif...

Il n'est vraiment pas marrant dis donc...

-Enfin, je peux comprendre. De toute manière, ça ne changerait pas grand chose, Midas est loin d'être une vraie menace.

Je ne réponds rien, vexé, et notre conversation s'arrête là. Mon grand-père me propose de manger avec eux, mais je refuse et pars le plus vite possible, avec l'intention de ne plus jamais revenir.

Je monte sur mon vélo et commence à pédaler, jusqu'à ce qu'un détail anodin attrape mon attention. Un nuage de fumée s'élève au-dessus de ma tête.

Intrigué, je me dirige dans sa direction. Les rues me sont familières, sans que je sache pourquoi.

Le feu est vraiment en plein centre ville, hein...
J'arrive devant le bâtiment touché.

Mince.

C'est mon lieu de travail...


Guide du super-vilain renommé [en pause]Where stories live. Discover now