🐺 8. Les Corbeaux 🐺

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Vu le manque de temps, Morgane s'est contentée de me coiffer avec un simple chignon, agrémenté de fleurs noires et rouges faites de plumes et de fil d'or. Sur mon front et ma nuque s'échappent de petites bouclent brunes autour de mon visage en forme de cœur. Le tissu moiré, également rouge et le noir de la robe, semble se refléter à la lumière des chandelles. Sur mon cou tombent en cascades des dizaines de colliers de perles noires et d'or fin cachant presque totalement ma peau chocolat.

Sur la sur-jupe, des oiseaux de Paradis ocres et magentas s'envolent dans un entrelac de nuages stylisés. Mes bras sont entièrement cachés par de longs gants de cuirs bordeaux m'arrivant presque jusqu'au épaules.

- C'est magnifique, dis-je en jetant un coup d'œil au miroir.

En réalité, même si j'admets dire la vérité, mon but est d'endormir la vigilance de Morgane qui ne me lâche pas des yeux. Je suis déjà en train de me demander à quelle vitesse, je vais pouvoir défaire le corset de ses longues lanières de soie nouées sur le devant et enfiler une tenue de serviteur pour m'échapper. Il y a forcément un moyen de sauver ma peau, non ?

- C'est une tenue qui était portée il y a quelques années, Morgan hausse les épaules. Mais c'est un classique sur le thème d'un envol d'oiseaux sur fond de couché de soleil. Monsieur a toujours adoré ce motif.

- Vous remercierez sa sœur, dis-je poliment.

Ou même le père Noël, le lapin de Pâques ou je ne sais qui, du moment que vous me lâchez et que cela vous tire un sourire.

- Vous la croiserez ce soir, répond-elle sans se départir de ses sourcils froncés. Libre à vous. Je ne suis qu'une intendante, je ne suis pas en mesure de m'adresser à...

Des coups à la porte interrompent Morgane et me font sursauter. Une jeune suivante avec une chemise ample, une jupe bouffante marron et un tablier blanc ouvre doucement la porte.

- Madame l'intendante, Monsieur s'impatiente.

- Elle est prête ! répond sèchement Morgane. Mademoiselle, si vous voulez bien me suivre.

Depuis le début de cette histoire, tout le monde me demande poliment de le suivre ou de répondre à une invitation, mais ce ne sont que des ordres et cela commence à me taper sur le système. En tant que simple sujet du royaume, je devrais apprendre à rester à ma place. Je le sais. Maman a toujours insisté sur le fait de ne jamais, Ô grand JAMAIS, contrarier un Loup ou toute personne de la Cour ou du pouvoir. Mais je hais qu'on me donne des ordres, je déteste qu'on m'impose des choses et je supporte mal les mensonges. Des mensonges comme « vous êtes invitée au bal » et qui s'avèrent être des convocations à subir des interrogatoires et des prises de sang.

Rien que d'y repenser, mon sang commence à pulser dans mes veines et mon cœur se serre au point de me couper la respiration.

Tandis que Morgane me conduit auprès de son maître, j'essaie de maîtriser la rage qui monte en moi en inspirant calmement. Tous ces ordres, toute cette frustration, toutes ces questions commencent à m'insupporter. Mes poings se serrent tellement que je sens mes ongles entrer dans la peau de mes paumes.

Rares sont les personnes qui ont vu cette rage en moi, en dehors de maman. Je crois que le premier était Jon. À la sortie du Campus, j'avais aperçu une camarade se faire bousculer par un groupe d'individus portant de longues capes au col noir. Les Corbeaux, aussi appelés les Raven !

On les surnomme ainsi en raison de leur serment d'allégeance au Loups. Destinés à devenir les futures élites de la société humaine, socialement au sommet de la hiérarchie des servants et juste en dessous de la noblesse des Loups. Ils travaillent comme hauts fonctionnaires ou en tant que membres des forces de l'ordre. Distingués parmi les familles les plus influentes et les enfants les plus doués, ils sont des servants de haut vol. L'élite des humains. Les seuls à pouvoir approcher la Cour sur distinction honorifiques. Toutefois, tant qu'ils sont en formation, ils ne sont que des étudiants arrogants qui se croient au-dessus des autres.

Ma camarade s'appelait Line et elle aimait la poésie, la musique pop et discuter pendant les cours. Toujours un peu tête en l'air. Le nez plongé dans son livre du moment alors qu'elle marchait, elle n'avait pas vu le groupe qui discutait devant elle. Elle en avait bousculé un et et s'était retrouvée encerclée en moins d'une seconde, comme si elle leur avait manqué de respect ou qu'elle cherchait à les défier. L'un d'eux avait commencé à la bousculer. J'étais passée par là car je me rendais à la bibliothèque pour voir Jon.

La situation m'avait rendu dingue et j'avais foncé dans le tas, hurlant comme une furie qu'on était dans un pays où la liberté de circuler existait et qu'ils n'avaient pas le monopole de la rue !

Line était partie en courant chercher de l'aide et je m'étais retrouvée à sa place, coincée contre un mur. Prise entre les sourires malsains, les coups et la colère de ces étudiants. J'en avais frappé certains et je hurlais, prête à rameuter tout le quartier si nécessaire. Ce qui était très risqué car personne ne s'en prenait aux Raven. Leurs parents avaient le pouvoir de nous faire expulser de l'université, leurs connections avec les Loups les rendaient presque intouchables et ils en jouissaient souvent injustement.

Au moment où un poing allait s'écraser son mon nez, Jon était intervenu.

Apparu de nulle part, il avait intercepté le poignet de mon agresseur et le retenait entre deux doigts, comme s'il s'agissait d'une simple plume. D'un simple regard, il avait congédié le groupe de Raven. J'ignore comment il avait fait. Aucun mot n'était sorti de ses lèvres, aucun mouvement, aucune menace n'avait été énoncé. Pourtant le groupe s'était immobilisé et avait demi-tour dans un mouvement de repli instinctif.

Je m'étais retrouvée à respirer très fort, assise, dos contre le mur, la vue trouble et mon sang pulsant dans mes tempes. J'avais eu une crise de panique dès leur départ, mes mains tremblaient, des larmes emplissaient mes yeux et je ne pouvais plus parler. Ma colère m'avait aveuglée, me faisant perdre le sens commun : on ne se s'attaquait pas aux Corbeaux ! Jamais !

Jon, m'avait doucement pris les mains, me demandant de respirer calmement. Il était resté accroupi, près de moi, ses yeux verts sous sa mèche châtain, ses paumes chaudes enserrant mes doigts tremblants. Ses lèvres pleines murmurant mon prénom et me ramenant à la réalité.

- Tu t'énerves souvent comme ça, Rina ?

- Oui, souvent, avais-je répondu. C'est de pire en pire depuis quelques semaines. Peut-être parce que je suis stressée avec les partiels qui arrivent ? Je ne supporte pas l'injustice. Ces gens qui se croient tout permis, cela me fait voir rouge ! Je hais les Raven !

Jon avait hoché la tête, compréhensif.

- Si tu veux, je peux t'aider à gérer cette colère.

J'avais serré sa main, entre mes larmes de frustration et de soulagement. Jon était si gentil. Il était à la rue et pourtant, il se souciait de moi. Je n'avais jamais rencontré quelqu'un comme lui. J'avais la sensation de le connaître depuis toujours.

Et à présent, il était aux mains de la garde royale ! Peut-être même que son agression dans la ruelle derrière mon café était liée à cette intervention ? Et si les Loups le détenaient parce qu'il m'avait aidé contre les Raven ? Je n'y avais même pas pensé ! Alors ce serait ma faute... Je dois absolument aider Jon, le sauver. J'ai besoin d'informations.

D'abord je dois me calmer... Le temps que Morgan m'amène à son maître, j'inspire selon les techniques que Jon m'a enseignées, ramenant les pulsations de mon cœur à un rythme acceptable, plus maîtrisé. Lorsque la porte s'ouvre sur mon hôte, je suis en parfaite maîtrise de moi-même. Morgane dépose une fourrure sur mes épaules.

Le jeune frère du roi me jauge d'un œil expert. La tenue lui convient. Je ne suis qu'une humaine et il ne se méfie pas de moi, trop insignifiante à ses yeux. Je dois faire de lui un allié ou sinon me débrouiller pour lui soutirer des informations.

À ses côtés, un homme me juge. Si le capitaine pouvait m'anéantir d'un simple regard, je crois qu'il l'aurait fait. Sa balafre ne bouge pas plus que ses cils, à croire qu'il ne cligne jamais des yeux.

Sa bouche n'est qu'un trait horizontal au milieu de son visage imperturbable et pourtant : je sens sa colère, comme si un courant d'air glacial parcourait chaque centimètre de ma peau, malgré l'énorme pelisse qui me couvre les épaules.

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Rdv vite pour la suite 😉
J'espère que cette histoire vous plaît.

The Wolves Court (En pause)Where stories live. Discover now