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Et des mots sur les lèvres,

Et des mots sur les lèvres sans pouvoir les prononcer.

Et encore le jour, le jour blanc, la lumière, voir le monde, voir la vie. Les voir tous, et crier, et pleurer, et chanter.

Vivement la nuit.

Vivement la nuit où les langues se délient.


Et ses joues creuses, poussiéreuses, rougies par les coups. Et sa peau tachée, blanche, froide au toucher. Et ses doigts fins, autant de brindilles fragiles. Et ses paumes éraflées, sa peau déchirée, ses ongles brisés. Et sa bouche abîmée, ses lèvres gercées, bleues. et ses yeux éteints, ses paupières closes, ses cils noirs, longs, cernes violettes, regard mort. Et corps petit, comme corps d'oiseau, tout plein de grâce, avant. Avant la chute, ailes fanées, fleurs d'été, enfant cassée, feuille de papier.

Et trois gouttes sur un souvenir, pluie qui détruit sur l'éphémère. Corps emporté sur la civière, petit cœur balloté par la mer.

Et l'Homme avide s'avance, il enferme les oiseaux, fait pleurer les nuages.

Tue les enfants qui rêvent dans leur chambre vide.

Efface leur sang sur le pavé des rues.


Vivement la fin de la pièce. Qu'ils arrêtent de manier leurs pantins. Qu'ils arrêtent de crier, pleurer et chanter. Qu'ils arrêtent de faire peur à la fille en robe blanche, sur les genoux de sa mère. Que sa mère arrête de tousser dans son mouchoir, qu'elle colore de rouge. Que son père arrête d'être silencieux. Qu'ils arrêtent de lui mentir, tous. Qu'ils arrêtent de lui raconter des histoires. Elle sera seule, bientôt. Qu'ils arrêtent.

Qu'ils la laissent rêver à la lueur de la lune. Dans l'obscurité de sa chambre vide. Qu'ils arrêtent de lui dire que tout va bien. Elle a compris. Ou pas. Mais qu'ils arrêtent.

Qu'ils la laissent courir dans les rues, qu'est-ce qu'on s'en fout, finalement. Qu'elle coure et puis tant puis si elle se perd. Elle les perdra de toute façon. Qu'ils la laissent danser dans les champs, entre les coquelicots et les épis de blé. Au milieu des tirs des chasseurs. Entre les plombs qui volent, comme des libellules. Qu'ils arrêtent de l'appeler, pour qu'elle revienne. Bande d'hypocrites, c'est eux qui finiront par partir. Qui la laisseront toute seule. Alors qu'ils arrêtent.

Qu'ils arrêtent de crier, de pleurer, de chanter. Qu'ils arrêtent de lui dire de dormir, quand les étoiles s'allument, quand les lumières de la salle l'éclairent. Qu'ils la laissent virevolter sur la plancher glissant. Un oiseau doit voler. Une enfant doit y croire. Alors qu'ils la laissent croire que tout va bien. Ou pas. Qu'ils arrêtent de lui interdire. Elle ne va pas se blesser. Elle va juste apprendre. Qu'ils arrêtent.

Et puis, maintenant, qu'ils arrêtent de hurler. Qu'ils arrêtent de la rappeler. Qu'ils la laissent tomber.

Tomber.

Tomber.

Comme une poupée abandonnée.

Comme de la porcelaine.

L'enfant à la robe blanche.

Une robe comme la voile d'un navire.

Qui prend le vent.

Dans sa chute.

Une robe gonflée.

Par le souffle du ciel.

Du blanc dans la nuit.

Vivement la nuit.

Qu'on voit sa robe blanche prendre son envol.

Qu'on voit l'oiseau quelques instants planer.

Avant de tomber.

Tomber.

Tomber.

Comme une marionnette désarticulée.

Comme une pierre aux reflets nacrés.

Sa robe comme la voile d'un navire.

Qui prend la mer une dernière fois.

Qui s'échoue sur le goudron.

Aussi noir que la nuit.

Légère. 

Aspirée par le vide. 

Tombée.


Mais qui ? 

Qui a vu ? 

Qu'ils arrêtent de sangloter. 

Ces menteurs. 

Aux mouchoirs tachés de sang, aux langues coupées. 

Ceux qui manient les pantins. 

Mais qui ? 

Qui a coupé son fil ? 

Mais qui ? 

Qui l'a vue ? 

Qui a vu l'enfant tomber ? 


Et tous ceux qui n'arrêtaient pas, 


Pourquoi ne l'ont-ils pas rattrapée ? 



FolieWhere stories live. Discover now