Chapitre 1 : Les amis

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Léonie n'est pas comme tout le monde. La plupart des gens aiment se sentir aimés. Ils font des études puis recherchent un travail intéressant et bien rémunéré. Ils souhaitent réussir, atteignent des objectifs divers et variés avant de finalement s'en fixer des nouveaux.

Léonie, tout ça, ça ne l'a jamais intéressée. Elle a la flemme.

Cette fille-là est du genre à préférer rester dans sa chambre toute la journée. Elle sort le moins possible et trouve des excuses pour ne pas être dérangée. Ce n'est pas pour rien qu'elle a collé une affiche « interdiction d'entrer » sur la porte qui délimite son intimité. Si vous la cherchez, vous la trouverez probablement au premier étage de la maison de ses parents. C'est une vieille bâtisse située en plein centre-ville d'une petite commune paumée dans la campagne française.

Avez entendu parler de la diagonale du vide, une bande de terre imaginaire que l'on qualifie de morne et dépeuplée ? Chez cette jeune fille, la caractéristique s'applique autant à la localisation de sa maison qu'à l'état pitoyable de son cœur.

Elle est pourtant aimée, Léonie. Ses parents lui apportent à manger trois fois par jour : matin, midi et soir. Et ils s'inquiètent souvent pour elle. Sa mère lui répète qu'elle devrait sortir afin de profiter de sa jeunesse. Son père pense qu'elle a l'âge d'investir et de capitaliser dans des placements financiers rentables pour les années à venir. Faire des études, trouver un travail ou même sortir prendre un verre. À vrai dire, au point où on en est, n'importe quoi leur ferait plaisir.

Mais Léonie, elle, ça ne l'intéresse vraiment pas. Elle a 18 ans. Elle en aura un jour 40. Elle ne se voit pas faire quoi que ce soit entre ces deux années. Peut-être qu'elle aura troqué ses cheveux rouges pour un dégradé châtain. Peut-être que son tee-shirt noir Pink Floyd délavé sera troué et rapiécé. Mais à part ça, rien n'aura changé. Ses journées elle les occupera toujours devant l'ancien ordinateur de gaming de son frère. Et ses nuits, elle les passera probablement à fixer son plafond en pensant au jour où on viendra la libérer de sa vie insipide.

Pourtant Léonie elle n'a pas toujours été comme ça. Quand elle avait 17 ans, elle allait au lycée et avait même un petit copain. Roméo qu'il s'appelait. C'était un vrai connard.

Enfin, pas au début. Les premières semaines, il était parfait. Le genre d'homme à l'emmener au cinéma après les cours, au restaurant le week-end, et n'importe où ailleurs du moment que ça lui faisait plaisir. Quand il pleuvait, il passait même la chercher devant chez elle avant le lycée pour qu'elle n'attende pas le bus sous la pluie. Je vous assure que ce Roméo-ci, vous l'auriez adoré.

Et puis un jour, elle a raté son bus. Ce n'était pas bien grave, car sur le papier, cela pouvait arriver à n'importe qui. Des bus, elle savait en plus qu'il en passait tous les quarts d'heure et qu'elle n'aurait qu'à expliquer à sa professeure principale qu'une panne de réveil l'avait retardé.

Non, le problème voyez-vous, c'est que sa vie était pleine de surprises. Et qu'en l'occurrence, le deuxième bus dans lequel elle montait ce jour-là lui en réservait une belle.

Celui-ci était beaucoup moins rempli que le premier. Il y avait Jérôme, le boulanger de l'avenue Thiers rentrant fatigué d'une nuit à pétrir sa pâte, Amandine, la petite rebelle ébouriffée rêvant de devenir actrice de cinéma, et Paolo, le meilleur ami de Roméo dont les retards répétés faisaient désormais presque partie de son ADN. Ce dernier somnolait. Léonie ne voulait pas le déranger mais s'est tout de même assise à ses côtés. Après tout, même dans un bus quasiment vide, ils se connaissaient et s'appréciaient. Cela lui semblait normal.

Le téléphone de Paolo posé sur la tablette du siège avant a finalement vibré et il s'est réveillé. Le garçon a regardé le destinataire du message puis a machinalement pianoté sur les touches digitales de son IPhone dernier cri. Son regard s'est brutalement tourné vers Léonie :

- Lis ce que j'ai écrit.

Le message en question disait ceci :

« Tu aurais pu dire à Léonie que t'avais couché avec Clémence. »

Sur le moment, Léonie n'a pas réagi et a regardé le paysage sur la vitre opposée. Elle est comme ça Léonie, il lui faut toujours quelques instants pour réaliser. Ce n'est pas qu'elle ne comprend pas. Non. C'est juste qu'elle réfléchit à comment se comporter. Et ensuite, quand le bus s'est enfin arrêté, elle s'est levée et a attrapé le bras du mec. Elle ne s'est pas énervée. Elle n'a pas non plus élevé la voix. Rien de tout ça.

À la place, elle lui a dit merci.

*

Le premier cours de la journée était un cours d'Histoire sur Napoléon 1er.

Elle n'a rien écouté.

En revanche, ses yeux ont mitraillé une silhouette frêle et élancée au 1er rang. Celle de Roméo. À la fin du cours, elle lui a envoyé un message pour lui demander s'ils pouvaient aller faire un tour en ville au lieu d'aller au cours de Physique Chimie de Madame Delacre (comme les chocolats). Cette femme, bien qu'adorable au demeurant, a le don de rendre une matière peu passionnante, excessivement ennuyant. Elle gagnerait certainement haut la main le concours du cours capable de mettre le plus rapidement ses élèves KO.

Roméo a refusé sa proposition. Ça a toujours été un problème chez lui. Il est beaucoup trop sérieux. Tant pis, elle attendra encore un peu. Pas question de faire une scène dans ce lycée où les nouvelles circulent à la vitesse de la lumière. Cela étant, tout le monde est déjà au courant qu'elle se fait tromper par Roméo. Mais ça, Léonie, elle ne peut pas le savoir car elle n'a pas vraiment d'amis ici. Dommage, voilà quelque chose qui lui aurait été très utile aujourd'hui...

Finalement, elle doit attendre la pause de midi pour aller lui parler sans que les autres ne viennent le déranger. Elle le traîne sur le terrain vague situé juste en face du lycée et le force à la regarder :

- Elle a quoi de plus que moi, Clémence ?

Roméo n'a pas réagi tout de suite mais il aurait dû. Les quelques secondes ont laissé le temps à Léonie de lui mettre une gifle dont il se souviendra longtemps. Cela a cependant le mérite de lui remettre les idées en place, car à sa question, il finit par répondre :

- Je suis désolée Léonie mais Clémence, au moins, elle a des amis.


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⏰ Last updated: Mar 03 ⏰

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