Lundi matin

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L'air était frais, matinal, il semblait venir d'un autre monde tant il était doux. Le manteau noir de laine que l'homme portait le transformait en une ombre invisible aux yeux des passants, il foulait le sol d'un pas hésitant et paradoxalement décidé. Paradoxal. A l'image de sa vie. Les travailleurs sortaient de chez eux pour servir la nation d'une façon ou d'une autre. Perdu dans son habit, les mains égarées dans ses poches, cet inconnu marchait le long des rues, errait, s'arrêtait, tergiversait. Il pressa un peu le pas pour demander une cigarette à une jeune fille, il lui pria ensuite poliment de lui prêter une flamme. Il devinait que la jeune fille ne le voyait pas vraiment,  qu'elle souriait à un fantôme. Néanmoins elle lui octroya un petit briquet vert qui n'avait presque plus d'essence. L'homme grilla sa cigarette et échangea deux mots sur le temps qu'il faisait. La voix de l'homme était chaleureuse, bienveillante mais endurcie par le froid. Une avenue sertie de buildings bleu glacé s'étendait face à eux, l'inconnu traversa la rue en saluant et remerciant la jeune fille de la main. Reynaud était un homme recherché pour une sombre affaire de meurtres à répétition, mais ça elle ne le savait pas.

 Il était marié et père de deux jeunes enfants, l'un s'appelait Armand, l'autre Isabelle, il avait 34 ans, mais son front lisse lui donnait un air d'éternel adolescent. Il était chétif et pâle, ses yeux sombres brillaient d'une lueur parfois bienveillante, parfois tristes. Il n'aimait pas montrer ses sentiments. Mais bien souvent ses yeux le trahissaient. Ses yeux reflétaient son âme, c'était une porte ouverte vers ce que les autres ne savaient pas. Le temps semblait clément, les rayons du soleil perçaient les nuages gris qui avaient pris le contrôle du ciel. Il fit tomber la cendre de sa cigarette d'un geste de la main, le regard dans le vide. Il sortit un papier de sa poche et griffonna quelques mots avec un stylo :

« Mes chers enfants, j'espère que vous allez bien, vous me manquez fort, quand vous serez grands, que vous saurez la vérité, vous ne serez plus jamais les mêmes. A samedi. »

Reynaud contempla l'air mécontent ces quelques lignes avant d'en déchirer le support et de jeter une pluie de confettis au-dessus de ses épaules.

- Les paroles s'envolent, les écrits restent ! » Souffla-t-il avec le vent.

Les débris orphelins volèrent dans les rues, vers le ciel, portant chacun une bribe de phrase qui ne voulait désormais plus rien dire. Seul resta au pied de l'homme, plaqués contre son pantalon par une bourrasque glacial, les quelques mots « Vous me manquez ».

Voici quatre longues années que Stéphanie, sa compagne, avait demandé le divorce. Il ne l'avait toujours pas digéré. Il se réveillait chaque jour avec un vide à côté de lui, un vide au fond de son cœur. Ce vide, cette absence qui le blessait. Il avait beau fréquenter des soirées, voir ses amis ou inviter ses voisins, d'aucun ne voyait ce qui n'allait pas dans son appartement, ce qui mettait si mal à l'aise. Il faut dire que le désordre était le principal mot d'ordre de son habitation. Des jouets criards et bruyants étaient souvent abandonnés à même le sol, des habits pastel se promenaient de ça de là, sans personne pour les habiter, des petits lits défaits aux motifs fantaisistes se trouvaient dans une des chambres... dans ce capharnaüm bonne enfant, ce n'était pas ce qu'il y avait, qu'il fallait voir, c'était ce qu'il n'y avait pas. Reynaud n'avait la garde de ses enfants qu'un samedi sur deux, c'était trop peu.

Sorti de sa torpeur par un adolescent qui lui bouscula violemment l'épaule, sans même un « pardon » ou un quelconque geste d'excuse, Reynaud soupira bruyamment et perçut vaguement une vieille dame lui conseiller de râler bruyamment après le malappris. Il n'était pas d'humeur à engager un débat sur la politesse des jeunes au sein de la société. Il ne voulait pas de petites cases, au fond peut-être que l'ado aussi était en train de passer une mauvaise journée. Il ne pouvait pas lui en vouloir. Du même pas monotone et banal, Reynaud traversa les artères déjà très fréquentées malgré l'heure peu avancée. Un début de semaine ordinaire se préparait. 

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⏰ Dernière mise à jour : Apr 18, 2016 ⏰

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