Réveil

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''Douleur''.

Telle fut la première chose qui foudroya l'esprit de la jeune fille quand elle reprit connaissance. Elle peinait à ouvrir les yeux, tout son corps lui faisait mal, comme si un marteau avait eu le loisir de lui fracasser les os. Cette douleur était difficilement supportable, elle lui emplissait la tête, l'esprit, tout son corps, tout son être était secoué par cette décharge électrique. Si au moins elle avait pu ouvrir ses yeux... Mais elle n'y arrivait pas, son corps ne réagissait pas du tout aux ordres de son cerveau, elle était immobilisée. Lui avait-on injecté quelque drogue anesthésiante? Pourquoi sinon ne pouvait-elle pas bouger? Ce noir si profond et pénétrant que voyaient ses yeux englobait tout son esprit, et elle était incapable de penser à autre chose. Toujours aveugle, elle tentait de bouger ses bras, mais en vain; elle était comme engourdie, incapable d'esquisser le moindre geste. Elle tenta de nouveau l'expérience, sans plus de succès. Elle se résigna à essayer autre chose pour détourner l'attention de son esprit de cette souffrance corporelle omniprésente. Elle partit à la recherche de sa mémoire, en espérant y trouver plus de succès que lors de l'essai précédent. Quelque chose lui vint immédiatement. Son nom. Denaë. Le reste, son âge, sa famille, son quotidien, tout avait été comme soufflé par une tempête. Ce vide dans sa tête la faisait souffrir: Qui était-elle? D'où venait-elle? Où était-elle? Comment était-elle arrivée là? Denaë commençait à paniquer, elle se sentait perdre pied. Elle tenta de se concentrer sur ses souvenirs, sans parvenir à les atteindre. Sa tête lui faisait mal à force d'essayer de raviver sa mémoire. Vainement, elle retenta une dernière fois la manœuvre, mais la douleur que cela provoqua faillit la faire s'évanouir. Elle abandonna cette idée. Denaë tenta alors de se concentrer sur l'extérieur, l'endroit où elle était, cherchant un indice, quelque chose, n'importe quoi qui aurait pu lui faire oublier, même momentanément, sa douleur.

Elle se rendit compte alors qu'elle n'était pas seule dans la pièce, que quelqu'un lui parlait. Une femme. Elle connaissait cette voix, elle l'avait déjà entendue, mais ses souvenirs étaient décidément introuvables. Cette personne lui parlait, mais, encore secouée par son réveil, elle ne comprit pas un traître mot de ces paroles. C'était pour Danaë comme une langue inconnue, elle se sentait étrangère à ces dires; Elle n'aurait ainsi sut dire si cette femme parlait en Français ou toute autre langue; sa tête était vide. Cette voix la tourmentait; elle était suave tout en étant âcre, chaude tout en étant glacée, douce tout en étant dure, miséricordieuse tout en étant cruelle, céleste tout en étant diabolique: elle était terrifiante. Cette chose déplaisante s'introduisait dans son esprit, essayait tantôt de plier Denaë à sa volonté, tantôt la laissait en paix pour revenir frapper plus fort. Les périodes d'accalmie se faisaient de plus en plus rares, et la souffrance qui les accompagnait était insupportable. Seule sa mémoire aurait pu lui donner un moyen de penser à autre chose, mais elle était comme bloquée par une porte sans clé. Denaë était donc seule avec sa souffrance, en silence, au gré d'une voix cruelle aux accents acerbes, qui la torturait sans répit désormais;

La seule chose qui lui revint en l'entendant fut la certitude que cette femme était liée à tout ça. La façon dont elle l'était, en revanche, lui était inconnue. Elle sentit, de plus, un malaise monter dans ses entrailles et s'étendre dans tout son corps.

Denaë souffrait en silence.

Elle était seule dans ses pensées.

Et elle avait peur.

Soudain tout s'arrêta, la voix, la souffrance, le malaise, son engourdissement. Elle se redressa subitement, haletante, toute en sueur. Denaë put enfin ouvrir des yeux terrifiés sur son entourage. Elle était dans un lit.

Mais ce n'était pas un cauchemar.

C'était bien réel.

La pièce était d'un gris métallique déprimant, et son lit, au centre de cette sorte de cage, n'était en réalité qu'un matelas posé sur une table d'opération. Effarée, elle mit quelques minutes à se calmer, et put enfin respirer à peu près tranquillement. C'est alors qu'elle put observer la femme: une grande dame blonde, habillée d'un tailleur sévère et d'une jupe de travail, accompagnée de lunettes qui encadraient ses yeux de dragons, et d'une cape noire. Elle restait silencieuse, tandis qu'elle l'observait avec un air consterné. Denaë, toujours un peu sonnée, commençait à s'habituer à la pénombre ambiante, et put alors distinguer quelques meubles dans la pièce austère. Les yeux de la femme, qu'elle surnomma immédiatement ''Le Dragon'', luisaient dans cette ambiance malsaine, d'un éclat vert perçant qui semblait pouvoir traverser les âmes et connaître les désirs secrets de celles-ci.

C'est alors que Denaë la remarqua.

L'autre.

A peine plus grande que Dragon, possédant une chevelure blonde soleil aussi sauvage qu'un lion, ses yeux félins rouges sang aussi vifs que ceux du Dragon étaient farouches, habillée d'une tunique blanche, cintrée au ventre par une lanière de cuir noir, aux manches longues et évasées aux poignets, c'était une femme magnifique et sauvage. Mais ce ne fut pas ce que Denaë remarqua. Ce qu'elle remarqua, ce furent les oreilles et la queue de lion de la nouvelle venue. La femme était dans la pièce, aux côtés du Dragon, qui continuait de mépriser Denaë du regard . Elle regardait intensément cette-dernière, d'un regard de fauve qui contemple sa prochaine proie. L'inconnue sourit, laissant apparaître de dangereuses canines bestiales. Elle prit alors la parole, tout en s'approchant de Denaë:

" Chère Denaë, tu es enfin réveillée, à ce que je vois? Tant mieux, c'aurait été fâcheux que tu ne te réveilles pas. J'espère que ton bras droit n'est pas trop douloureux, après les opérations...?"

A cette évocation, Denaë, prise d'un malaise, baissa instantanément les yeux vers ses mains et ses habits. Elle était habillée d'une robe aussi grise que les murs de la pièce, qui lui serrait la taille sans pour autant être désagréable, et, si sa main gauche était intacte à vue d'œil, son bras droit en revanche, était pris dans une sorte de grande manche rouge foncé qui lui couvrait tout le membre. Une peur lui monta dans le ventre. D'un geste, elle retira cette chose qui lui faisait peur. Ce qu'elle vit la frappa. Son bras était identique, mais couraient dessus une douzaine de cicatrices blanchâtres, ressemblant ainsi à des serpents insaisissables. Denaë se rendit compte que ces boursouflures suivaient le tracé de ses veines du bras. Pour quelle obscure raison ses veines étaient-elles ainsi? Que c'était-il passé? Sa mémoire ne voulant pas revenir, elle se tourna, haletante, terrifiée, vers l'inconnue et le dragon, qui continuaient de l'observer. Elles se lancèrent un regard, puis l'inconnue s'avança:

"Bon. Je pense qu'il est temps pour toi que tu te souviennes de ce que tu es et de ta vie, de ton monde. Bloquer tes souvenirs temporairement a été très pratique pour nous lors de tes opérations, afin de nous faciliter la tâche, mais désormais il serait fâcheux que tu ne te souvienne de rien plus longtemps. Ce serait même dangereux pour toi, Denaë. C'est pourquoi je vais lever le sort que j'ai lancé. Puisse-tu sortir de ton brouillard et de tes hésitations."

A peine cette femme avait-elle terminé sa phrase qu'elle claqua des doigts.

Denaë reçut de plein fouet une avalanche de souvenirs, qui la bouleversèrent tout autant qu'elle en était heureuse.

Alors tout lui revint.




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