Genghis Khan

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Ce texte a été inspiré par la chanson Genghis Khan de Miike Snow, je recommande chaudement de l'écouter avant ou après votre lecture, à votre guise (je n'ai pas pris le clip en compte donc voilà une vidéo lyrics)

Elle était sur le ventre, ses seins écrasés entre son torse et les draps. Un regard. Quelle belle nuit. On ne se dira pas je t'aime, on ne s'embrassera pas. On aura juste murmuré, gémi nos prénoms, puis ce sera au revoir à bientôt. Et ça recommencera. C'est la nature humaine je crois. Je suppose. Pour l'instant je la vois encore, sur le lit, les yeux un peu dans le vague et j'arrête de réfléchir. Ça n'a jamais mené à rien en de tels moments.

Bonjour, bien et vous, les chiffres avancent bien, on est dans le vert, oui monsieur évidemment. Tout le monde est assis autour de cette table, les mains croisées devant eux comme s'ils priaient le saint euro. Sur le mur est affiché un camembert avec une part bleue, une part jaune, une part rouge, je me demande depuis combien de temps je n'ai pas mangé de gâteau d'anniversaire. Longtemps. Mais je ne suis plus un enfant, je suis adulte maintenant.

"Voilà le taux de naissance en 2006, 3'000 nouveaux-nés sur le territoire. ça veut dire qu'aujourd'hui, 3'000 gosses de 10 ans attendent avec impatience... »

Le directeur parle et parle et parle, nous regardant tour à tour dans les yeux. Il fait des petits gestes du doigt. Est-ce qu'il a appris ça sur YouTube? En tout cas 3'000 gosses ça fait beaucoup quand même. J'ai lu quelque part que Genghis Khan avait tellement d'enfants qu'aujourd'hui 0,5% de la population masculine mondiale descend de lui...

Mon ordi est devant moi, des papiers tout autour, il faut que je finisse ce rapport avant demain. Ça sent le café dans l'open space. Dehors le soleil commence déjà à descendre, qu'est tu veux on est en automne. Le grand mage Hiver frappe à la porte et le soleil s'enfuit. Parfois je me demande ce que je fais à rédiger ces rapports ici, je me sens tout vide. Quelque chose me manque. Enfin bref, je gagne ma vie, que demande le peuple?

J'éteins mon ordi, le range dans ma mallette en cuir. Mes chaussures brillent et ma chemise est repassée. En sortant de l'immeuble je salue la secrétaire. En m'asseyant sur le lit, à la maison, ça sent encore un peu elle et ça ne m'émeut même pas.

Je troque mes belles chaussures vernies contre des baskets et ma chemise bleue bien repassée contre un polo, c'est plus festif.

En bas de chez moi, une fille pleure dans les bras d'un homme. C'est ma voisine. Elle sanglote et respire comme une locomotive, c'est pathétique, pourquoi s'afficher comme ça? Levant les yeux au ciel je m'installe dans ma décapotable, démarre. Feu rouge. A côté de moi, dans une voiture de sport, un gars me lance des petits coups d'oeil. Je crois qu'il veut montrer les performances de son bolide. Dès que le feu passe au vert, il démarre en trombe, dans un bruit d'enfer. Sa voiture va effectivement plus vite que la mienne.

Je me parque loin du bar, il n'y a pas d'autres places de parc. Ça m'obligera à marcher un peu avant de rentrer, ce n'est pas plus mal.

Je pousse la porte. Il fait sombre et je n'entends d'abord que le piano en musique de fond. Ensuite je vois, assis autour d'une table, des hommes me faire des grands gestes. Tapes dans le dos, salut, bien rentré? Assieds toi, on t'a commandé une bière. Ça a du bon, les sorties entre collègues. Le patron, quel enfoiré, et ma femme l'autre jour, un cul je te jure j'aurais tué pour ça, une grillade avec les voisins j'en revenais pas, Simon quel connard celui-là, jamais de la vie!

Les yeux brillants, la bouche ouverte dans un rire, on porte une pinte à ses lèvres, picore une cacahuète.

Mon voisin de table se lève, prend l'initiative. Nous poussons la porte, quittons l'atmosphère enfumée du bar. L'air de la nuit m'agrippe le visage, le froid a rendu l'air clair comme du cristal. J'entends les crissements de pneus et les klaxons venant d'ailleurs dans la ville, à peine affaiblis par la distance. C'est vrai qu'il fait froid.

On se met en route, on parle fort. On s'éloigne de ma voiture, je vais probablement devoir rentrer en métro.

Sous les conversations, de lourdes basses se font entendre. On approche de notre but.

On entend la musique depuis la rue. Elle vient de derrière deux grandes portes noires. Un homme en costard, presque aussi large que le battant, nous laisse entrer d'un signe de tête.

La musique nous saute dessus, nous prend avec, je danse et je vois autour de moi une brume de visages, des gens, des corps, des courbes. Une paire de seins anonymes passe devant moi, je les suis des yeux, je sais apprécier la beauté.

Mon regard survole le fond de la salle, tapissé de couples étroitement enlacés, les taches claires des visages, les gestes fébriles.

C'est elle. Elle est là, au fond de la salle, au milieu de ce magma de pulsions animales. Dans les bras d'un homme banal, avec un corps banal, des habits banals. Je parie qu'il ne pense qu'à tout ce qu'il va pouvoir lui faire, qu'il a laissé son humanité de côté. Sa main banale caresse son sein parfait, sa bouche cherche avidement sa peau et je me suis arrêté au milieu de la piste de danse. Les gens me bousculent, je les dérange, mais je ne les remarque pas, ils sont tous fondus dans un vague brouillard. La seule chose nette est ce couple, leurs mouvements, je distingue chaque poil disgracieux de son corps à lui et chaque reflet de sa peau à elle. Quelque chose me comprime la poitrine, mon sang parcourt mes veines à toute vitesse, un voile rouge s'abat sur ma vision et je me sens tout engourdi. Il descend sa main vers sa culotte, effleure sa hanche. Mon dieu mais pourquoi est-ce que je transpire comme ça, pourquoi est-ce que je tremble, je n'ai pas le droit de la contrôler, elle ne m'appartient pas. Nous ne sommes que partenaires occasionnels. Pourtant, je ne peux détourner mon regard. Le tiraillement dans ma poitrine ne disparaît pas. Elle ne peut pas aimer quelqu'un d'autre que moi.

Sans même y penser, je fends la foule dans leur direction. La tête sur l'épaule de son petit ami très affairé, elle m'aperçoit et me fait signe de la main. Elle n'a pas l'air de situer le problème, mais il n'y a pas de problème, elle est libre de ses choix bon sang!

Et ils s'embrassent. Fougueusement. C'en est trop. Je perds le contrôle. Je ne veux pas qu'elle couche avec quelqu'un d'autre.

Le gars se retrouve par terre, sonné. Je lui agrippe les poignets, elle me regarde. Je me vois dans ses yeux, j'ai les mâchoires contractées, elle a les yeux effrayés. Des larmes perlent.

Je la lâche, je m'éloigne, elle me regarde, plein de reproches, qu'est-ce que j'ai fait, mais qu'est-ce qui m'a pris, c'est obscène! Je n'ai aucun droit sur elle.

Fil Facebook. Des tas de photos de gens dont je me rappelle plus. Des enfants. De la nourriture. Tout le monde a l'air heureux. Même elle. Même elle?! Dans les bras du type de la boîte de nuit. Cela fait 2 ans qu'on ne s'est pas parlé mais je ne peux m'empêcher de vouloir voir crever ce type, de vouloir l'avoir pour moi, rien que pour moi. Je suis comme Genghis Khan.

Genghis KhanWhere stories live. Discover now