Toujours

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      Il rentrait du travail, suivant la même routine depuis des années. Il ôta ses chaussures, qu'il déposa à côté de la porte d'entrée et se dirigea vers la penderie pour y ranger sa veste. Il appela :

- Chérie, je suis rentré!

      Personne ne lui répondit. Sa femme devait sûrement être occupée ou absorbée dans un de ses polars, qu'elle affectionnait tant. Il ne réessaya pas, par peur de la déranger. Sa journée avait été éreintante, et l'importante charge de travail que lui imposait son patron l'avait empêché de déjeuner. Il avait du retard sur un dossier et Mr. Jobs mettait sur lui une pression continuelle pour qu'il le finisse. Ce jeun forcé n'avait pas plu à son estomac qui le lui fit savoir par un grognement sourd. Il se dit alors qu'un casse croûte ne lui ferait pas de mal et il tourna les talons en direction de la cuisine. Sa femme n'aimait pas qu'il grignote entre les repas mais, si elle était absorbée au point de ne pas entendre son mari entrer se dit-il, elle ne remarquerait sûrement rien. Il se saisit avec satisfaction des restes du dîner de la veille.

      Sa femme n'avait presque rien mangé. Cela l'avait déçu, il s'était donné beaucoup de mal à préparer ce repas pour elle; il avait même sorti une bonne bouteille de vin rouge. Leur couple n'était pas au meilleur de sa forme mais ils s'aimaient toujours, ainsi il essayait de la surprendre, de lui faire plaisir. Il se disait que leurs récentes disputes ne seraient que passagères, que c'était ce qui arrivait à tous les couples après tout. Il lui avait préparé un rôti de porc avec des pommes de terre au four : un vrai régal. Il pris le couteau posé sur le rebord de l'évier; il était encore sale de la veille alors il le nettoya. Les tâches lui donnèrent du fil à retordre mais il parvint à les avoir en frottant. Il s'assit à la table de la cuisine et engloutit son repas avec gourmandise. Pendant qu'il mangeait, il réfléchissait à des banalités, plongé dans ses pensées. Qu'allait t-il regarder à la télé ce soir? Ou alors peut être allait-il lire un bouquin, engoncé dans son confortable fauteuil en cuir devant la cheminée? Oh, et allait il faire beau demain? N'ayant pu répondre à aucune de ses propres interrogations et son assiette étant vide, il se leva et posa le plat dans l'évier : il ferait la vaisselle plus tard.

      Il partit dans le salon, finalement séduit par l'idée de lire un bon livre. Sa femme était là, allongée dans le canapé, inerte. Il se demanda si elle dormait ou si elle était encore fâchée après la violente dispute qu'il avaient eu la veille au soir. Il avança sur la pointe des pieds en murmurant d'une voix douce :

- Chérie, tu dors?

      Elle ne répondit pas, mais ses yeux étaient grand ouverts. Elle était donc fâchée, conclut il. Il soupira et alluma le feu dans l'âtre de la cheminée. Le salon était dans un piteux état. Il y avait eu du verre brisé et personne n'avait encore nettoyé les tâches vermeilles sur le tapis et sur la nappe. Certaines gouttes avaient même éclaboussé le papier peint. Il se dit qu'il s'en occuperait plus tard en s'asseyant dans son fauteuil; il regrettait de s'être emporté la nuit dernière, mais cela avait été plus fort que lui. Elle l'avait menacé de prendre ses affaires et de partir. Il s'était énervé. Il ne voulait pas qu'elle parte, il l'aimait et voulait la garder auprès de lui. Soudain, il se souvint qu'il avait oublié son livre. La bibliothèque était de l'autre côté de la pièce. Il se leva et à mi-chemin, à hauteur du canapé, se tourna vers son épouse. Le rouge lui allait si bien, se dit il en regardant sa robe. Le silence de sa femme l'attristait, ainsi dans l'espoir d'obtenir au moins une parole, il s'adressa à elle :

- Tu vas me faire la tête encore longtemps?

      Elle resta muette, comme la fois précédente. Interprétant son silence comme un acquiescement, il ajouta :

- Comme tu voudras.

      Il sourit et l'embrassa sur le front. Elle était si belle, avec ses grands yeux verts, ses cheveux bruns et ses lèvres écarlates. Sa robe crème était tâchée, elle aussi. Du revers de la manche, il essuya le sang sur sa joue. Il sourit encore. Elle allait rester avec lui. Pour toujours.

ToujoursWhere stories live. Discover now