Un Chant

         Les syllabes virevoltaient dans la nuit, zigzaguaient entre les étoiles, tantôt aiguës comme des pics acérés, tantôt rondes et graves comme des galets. Il semblait à Essam qu'avant de chuter lentement, telles des feuilles brunies, elles s'étaient d'abord élevées comme de la fumée, en volutes ondulantes et avaient enjambé la barrière en une courbe indolente. Le chant, pareil à une série de collines verdoyantes parcourues de ruisseaux chuintants, formait une sorte de corde souple entre Essam et... l'autre, qui s'enroulait autour de leur taille, de leur gorge, de leurs deux cœurs qui battaient à l'unisson.

         Jacques modulait son rêve en un long souffle vibrant, édifiant des tours effilés, des arches tout en rondeurs, des ponts s'élançant fièrement et majestueusement au-dessus de cours d'eau assoupis, des places vastes et ouvertes peuplées d'arbres aux ramures verdoyantes à même de leur apporter fraîcheur et calme. L'air de cette cité de sons était parcouru d'une mélodie enivrante qui donnait à Jacques envie de danser, virevolter, de s'envoler. C'était son monde de musique.

         Soudain, comme des bulles irisées éclatants doucement, des graves s'ajoutèrent à son chant, plus rythmiques, qui pulsaient, tournaient et roulaient. Il se rendit compte avec stupeur que ces nouvelles syllabes complétaient parfaitement les siennes. Elles étaient même devenues essentielles. Des hommes et des femmes aux habits colorés de fête apparurent dans sa ville, souriants. Cet autre, de l'autre côté de la barrière, venait d'enrichir son monde. La suite de sons qui cascadaient depuis Essam formèrent un lien chaud et rassurant. Ils se sentaient proches, comme s'ils étaient allongés côte à côte dans l'herbe fraîche, plongés dans l'océan étincelants d'étoiles.

Sommes-nous si différents,
Nous qui voyons le même ciel,
Chacun de notre côté de la barrière ?