Bérénice.

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La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement moche.

Elle était toute fripée, sale, et sa tête ne lui revenait pas. Elle avait des petits bras potelés, des jambes bien trop courtes, sa peau se perdait en de multiples plis, les faisant ressembler à une sorte de boulette rose. Aurélien se disait qu'il y avait eu un problème, une « couille dans le pâté », comme aurait probablement dit sa femme, et il ne pouvait se résoudre à regarder ce petit machin qui lui servait de fille. Il n'en fit pas part à sa femme, bien évidemment. Enfin, pas tout de suite. Elle, elle la trouvait magnifique, comme chaque femme affirme que son bébé est le plus beau de tous –alors qu'il est tout aussi fripé et geignard. Lui, par contre, se trouvait en plein milieu de la salle d'accouchement, près des sages-femmes qui vérifiaient que tout allait bien, près du médecin qui se lavait les mains, près de sa femme émerveillée tenant son laideron. Et il se disait qu'il avait merdé quelque part.

Un jour, Aurélien fut appelé à partir en voyage d'affaire à Pékin. Il allait en avoir pour un sacré moment, et sa femme le pressait de rester à la maison, pour avoir la chance de voir leur fille grandir. Aurélien, bien décidé à avoir cette opportunité en or (ou peut-être avait-il eu un autre besoin, on le sut jamais vraiment), partit. Sa femme l'avait laissé à contrecœur, mais sa femme était aussi fidèle, et ne le laisserai jamais tomber. Même s'il lui avait avoué qu'il trouvait le bébé un peu... bizarre, c'est bien comme cela qu'il l'avait formulé.

Là-bas, il oublia ses pensées pour son travail. Il dut rester plus de deux ans, et sa solitude le frappa bien vite. Certes, ils se parlaient fréquemment, mais la distance n'est jamais bonne. Il ne trompa pas sa femme, n'alla jamais voir ailleurs, car il savait ô combien cela lui aurait fait mal de découvrir l'inverse. C'est ainsi qu'une fois son travail accompli, il revint chez lui, plein d'argent mais surtout de joie pour retrouver sa famille.

Quand il ouvrit la porte, fou d'impatience, il vit une petite fille se tenir dans le couloir.

Elle devait avoir trois ans, maintenant. Une chevelure auburn descendait en cascade sur ses épaules, la même que sa mère. Elle portait une petite chemise d'écolière, blanche et vermeille, qui laissait voir ses petits bras blancs, aussi fins que des brindilles. A genoux sur la moquette humide, ses petites jambes déjà bien musclées laissaient voir un minishort avec un motif floral sur les côtés, près des poches.

Quand elle se tourna vers lui, des yeux d'un vert profond, dignes de la plus belle des émeraudes le frappèrent. Son regard était puissant, incontestablement. A distance égale entre ces deux derniers venait se placer un nez minuscule, fin et arrondi sur le bout. Son front lisse était caché par des mèches rebelles, ses joues luisantes de larmes et rebondies comme celles d'un ange. Une bouche aux lèvres fines se dessinait en-dessous, tout près d'un menton légèrement pointu. Et surtout, sous ses cheveux auburn, sous son petit front lisse, son regard le scrutait comme pour chercher de l'aide.

Bérénice venait d'avoir trois ans, et la peur de sa vie. Sa maison venait d'être cambriolée, et sa mère, agonisant suite aux quatre coups de couteau, gisait dans ses petits bras.

Aurélien n'avait jamais vu de petite fille aussi belle de sa vie. Même dans le sang de sa femme.

Et pourtant...

La première fois qu'Aurélien vit Bérénice, il la trouva franchement moche.

Bérénice.Where stories live. Discover now