Prologue

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          Clip. Clap. Clip. Clap. Clip. Clap. L'eau de la pluie battante, qui fait rage dehors, goutte à travers les fissures des murs et du plafond. Clip. Clap. Clip. Clap. Clip. Clap. L'écho résonne inlassable et mélancolique tel une horloge égrenant les secondes de vie qu'il me reste. Une vie qui me semblera à la fois trop courte et éternelle. Les bourrasques, qui s'infiltrent par les ouvertures croisées d'épais barreaux qui servent de fenêtres, me glacent jusqu'aux os, font s'envoler mes cheveux qui me foutent le visage et claquer ma jupe autour de mes chevilles. Je me recroqueville davantage pour tenter de me réchauffer ou, du moins, d'avoir moins froid. Il faut être sot pour espérer bénéficier d'un tant soit peu de chaleur ici. La pierre et l'humidité, omniprésentes en ces lieux, empêchent le plus infime réchauffement.

La pluie se met à fouetter les murs extérieurs et les barreaux avec plus de force encore, inondant le sol et faisant déborder les flaques qui s'y sont formées. Aucun doute, la tempête s'est levée. Je ramène tant bien que mal mes jupons sous moi dans une veine tentative de les protéger de l'eau. Je ne tiens pas à me retrouver avec des jupes alourdies par l'eau qu'elles auront absorbées. Se déplacer discrètement et rapidement lorsqu'on porte des jupes de plus de 22 Livres tient du miracle ! Ou de l'impossible ; c'est une simple question de point de vue.

Les bras passés autour de mes genoux, je resserre ma prise autour de ceux-ci, les ramenant un peu plus contre moi. Posant ma tête sur les genoux, je soupire : cette tempête est peut-être ma seule chance de quitter cet endroit sordide, cependant, la violence du vent et de la pluie me fait craindre l'échec de cette entreprise. Si je ne parviens pas à m'échapper, ma vie ici deviendra un enfer permanent. Mon cauchemar ne prendra jamais fin. Je pousse un nouveau soupir intérieur, de plus en plus abattue. Un couinement sur ma droite me fait sursauter. Jetant un regard apeuré dans la direction du bruit, je constate avec un étrange soulagement qu'il ne s'agit que d'un rat, probablement attiré par l'odeur des miettes de pain rassis qui flottent à la surface des flaques d'eau. Le rongeur traverse la pièce, m'ignorant superbement, zigzaguant entre les étendues d'eau de pluie. Lui non plus ne tient pas à être trempé. Ces rongeurs ne sont décidément pas autant dénués de bon sens que les hommes se plaisent à le dire. Une fois la flaque où les dites miettes prennent l'eau atteinte, le rat tend l'une de ses pattes avant vers ces dernières. Je le vois s'appuyer sur ses pattes arrières afin de ne pas tomber dans la flaque tandis que ses pattes avant s'approchent de plus en plus des miettes si convoitées. Ses pattes semblent se mouvoir au ralenti comme si une action trop brusque risquait de les faire s'éloigner. Ou de le faire repérer peut-être. Il finit par récupérer son butin et, sans plus de cérémonie, engloutit les miettes détrempées. Il doit être affamé ; cela dit, il n'a pas choisi le meilleur logement pour ce qui est de la nourriture. Comme toutes les personnes enfermées ici, je ne mange pas à ma faim ; les docteurs affirment que manger contribue à la survie de la maladie mentale ; selon eux, imminents spécialistes de la psychiatrie, la faim est un excellent moyen d'affaiblir la folie. Ce que je constate, moi, c'est qu'elle va finir par me rendre folle ; j'ai été internée alors que je ne le suis pas.

Un hurlement provenant du couloir brise alors le silence de mort qui régnait jusqu'à présent, uniquement perturbé par le bruit de la pluie et du vent. Nous sursautons le rat et moi, tournant aussitôt le regard vers la porte de ma cellule. Un autre cri de douleur se fait entendre ; c'est un cri à vous glacé le sang. Le rongeur, terrorisé, ne demande pas son reste et s'enfuit, laissant les miettes qu'il n'a pas encore dévorées. Je frissonne d'effroi, imaginant ce qui est à l'origine de tels cris. Non, qui les a provoqués ; à n'en pas douter, il s'agit là du résultat de ces soi-disant traitements censés soigner la folie. Les souvenirs des traitements que j'ai subis me reviennent en mémoire, provoquant de nouveaux tremblements. Je tente de les contenir en me recroquevillant davantage ; j'entends mon corsage et les coutures de mon jupon émettre des craquements plaintifs. Les coutures abimées protestent contre ses épreuves pour lesquelles elles ne sont pas prévues. Je ne peux m'empêcher de regarder ma jupe couverte de tâches et de poussière ; initialement, elle était d'un ravissant vieux rose pâle et le tissu d'une incroyable douceur. Aujourd'hui, il est rêche, élimé, usé jusqu'à la corde de l'avoir porté en permanence depuis mon arrivée ici.

D'autres cris de souffrance déchirent l'obscurité du couloir. Et dire qu'à peine trois mois plus tôt, je vivais comme n'importe quelle jeune femme d'Angleterre, faisant des visites, travaillant la musique, les langues et la broderie et surtout, cherchant, bon gré, mal gré, un bon parti ! Bien que je ne m'en sois pas rendu compte à l'époque, tout était si simple. J'aurais pu vivre une vie – certes que je n'aurais pas totalement, voire pas du tout, choisie – paisible, sûre, agréable. J'aurais comblé ma famille en faisant un beau mariage et en ayant cinq enfants par la suite. Je ne me serais pas retrouvée ici au milieu des pensionnaires d'un asile psychiatrique et de leurs médecins encore plus détraqués.

Comment la situation a-t-elle pu aussi mal tourner ?


Pour l'éternité Partie 1 - Le Pacte infernalWhere stories live. Discover now