Partie 1 sans titre

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Marceau avait enfilé ses nouvelles bottes en caoutchouc rouge éclatant,spécialement pour l'occasion. Il avançait d'un pas peu sûr sur le quai du port glissant. Le jeune homme resserra son manteau contre son torse squelettique en slalomant entre les hommes robustes qui fumaient nerveusement leurs cigarettes en attendant la décharge des bateaux. Les effluves marines lui donnait presque la nausée mais ils'y habituait, levant son nez irrité par l'air froid, il observait,entre les trouées nuageuses, le plumage ébouriffé des goélands joueurs. Un vent glacial arracha un parapluie à un vieil homme grelottant, malgré sa faible allure, Marceau rapide, le rattrapa juste à temps. Il le tendit au vieillard en lui offrant son sourire timide, ce dernier lui prit violemment des mains en grommelant et s'éloigna. Ses yeux foncés suivirent la silhouette fébrile jusqu'à qu'elle disparaissait dans le brouillard ambiant. Décidément,pensa-t-il, les gens d'ici ne sont pas aimables, j'aime mieux mes chèvres. Il reprit sa marche lente, tout de même heureux d'être là, faisant claquer ses talons en rythme avec le clapotis de l'eau,toute proche. Il aperçu enfin entre deux immenses coques de bateaux de marchandise une petite barque bicolore. L'embarcation était longue et étroite, et un homme au grand nez était assis à l'intérieur. À l'aide de ses gros doigts, il démêlait des filets de pêche en, sifflotant un air joyeux. L'homme leva ses yeux vers lui. Ses iris avait la même couleur triste que le ciel de ce matin-là. Il l'appela, il connaissait son nom. Marceau s'avança,gêné, le pêcheur lui demanda si il pouvait plutôt l'appeler Marc.Le jeune homme haussa les épaules, il sentait son teint rosir et détestait ça. Il savait que pour avancer dans la vie, il fallait être robuste et éviter de retourner pleurnicher dans les jupons de sa mère au moindre obstacle. L'homme s'esclaffa devant le torse, du jeune homme, ridiculement bombé. Marceau, les joues brûlantes, se fit la réflexion qu'il fallait peut-être mieux être naturel. Le marin l'invita enfin à grimper dans son navire, comme il aimait le surnommer et déplaça des seaux qui cachaient un petite banquette. Marceau grimpa maladroitement, faisant tanguer la barque, le mal de mer le prit soudain et il retient son envie subite de vomir. Il était bien un enfant des montagnes, d'ailleurs elles lui manquait énormément, ses étendues d'herbe fraîche, ses roches dangereusement taillées, ses forêts de sapins hurlantes lors des nuits venteuses, ses biquettes gambadant dans les fleurs sauvages...Le voyant chanceler, il l'avait fait asseoir brusquement faisant remuer de plus belle la barque. Ses phalanges blanchirent lorsqu'il s'agrippa aux bords et le marin enclencha le moteur tout en commençant à lui déballer sa vie. Marceau ne l'écoutait que d'une oreille. Il se concentrait, essayant d'oublier qu'ils s'éloignaient dangereusement des côtes, que la profondeur sous leur pieds ne faisait qu'accroître, qu'il n'avait jamais apprit à nager seulement à barboter dans les ruisseaux glacials de ses montagnes... Le rire gras de son compagnon le ramena à la réalité, son ventre protubérant vibrait sous ses jacassements, son imperméable jaune paraissait centenaire et ses bottes en caoutchouc montantes, au moins millénaires. Il avait le crâne garnit de courts cheveux frisés oscillant entre le blanc écume et le gris galet. Son visage bouffi et rougi par le vent ne cessait de se mouvoir, il changeait d'expressions sans cesse. Marceau pensa à une grosse lune rousse criblée de cratères, souvenirs d'acné. Son lobe d'oreille gauche portait une perle bleu azur et au fond de son sourire, il crut apercevoir un éclat doré, synonyme de dent en or. Il passa la journée à enseigner au jeune des techniques de base pour la pêche mais surtout comment dompter son mal de mer. L'homme était une vraie fontaine à paroles tandis que celles de Marceau s'asséchaient. Il préférait garder ses souvenirs pour lui, égoïste de ses vallées et pics tant aimés. La barque avait stagné au milieu de l'océan jusqu'au crépuscule, jusqu'à que la mort temporaire de l'astre solaire n'embrase les flots, rendant presque l'eau ambrée. Les cheveux bouclés de Marceau, déjà d'une teinte orangée,s'enflammèrent à la lumière quand le marin décida de lever l'ancre. Malgré les remarques sur son manque de discussion, il décida d'embaucher le jeune homme pour qu'il l'aide quotidiennement,l'ancien berger se sentait honoré et garda un sourire béat jusqu'à l'approche du port. Au loin, il apercevait sa petite sœur juchée sur un tonneau de bois détrempé, emmitouflée dans son gros pull de laine, ses lourds cheveux roux s'emmêlant dans le vent. Elle sauta au cou et déposa un doux baiser sur la joue de son grand frère,lorsqu'il lui tendit un énorme bocal où nageait difficilement une petite sardine, ramenée de sa pêche. La fillette n'en demandait pas plus, elle le serra contre sa poitrine oubliant les chevreaux qu'elle trouvait si beaux.



Journée d'hiverWhere stories live. Discover now