Une vie

Prologue

C'est aujourd'hui que je dois prendre l'avion pour Dakar. Je rêve de ce jour depuis des années. 

J'étais en seconde lorsque j'ai réfléchi pour la première fois à la possibilité de rentrer au pays pour les études. Mes parents furent très surpris de l'apprendre, mais ils m'ont soutenu en dépit de toutes leurs réserves. Ils m'avaient promis qu'une fois mon baccalauréat obtenu, je pourrais aller faire mes études au Sénégal.  

Nous sommes arrivés en France il y a quatorze ans. J'avais alors quatre ans. Nous sommes venus rejoindre papa qui vivait déjà en France depuis quelques années. 

Au début, nous partagions un minuscule appartement d'une chambre-salon à cinq. Ma soeur, mon frère et moi nous dormions dans le salon et mes parents occupaient la chambre. J'adorais cet appartement, c'était toujours très animé, on ne s'ennuyait jamais. L'appartement de mon père était en quelque sorte le QG des sénégalais de Saint-Denis. Il était situé dans la rue du marché et nombreux étaient ceux qui passaient nous rendre visite.  

Au cours des visites, il n'était pas rare que les visiteurs nous offrent des cadeaux, des friandises ou de la nourriture. Papa était très apprécié parmi ses compatriotes. Tout le monde se sentait toujours à l'aise et il y avait une ambiance survoltée, comme si c'était tous les jours la fête. 

Quand j'ai eut 8 ans, nous avons déménagé pour un appartement plus grand et situé juste en face du parc. J'étais un peu triste de quitter l'appartement de la rue du Marché, mais j'allais enfin avoir ma chambre à moi ! Certes, je la partageais avec ma petite sœur Cathy, mais c'était quand même quelque chose. 

J'aime beaucoup la France. C'est un beau pays. Il y a tant de belles rues, de belles maisons, des parcs, des supermarchés et tout ce que j'imaginais avant d'y arriver. Je m'y suis senti toute suite chez moi. Tous les samedis après midi, nous allions avec maman au parc de la légion qui était situé en Face de chez nous. Quels beaux souvenirs j'en ai gardé ! Les jeux, les promenades à vélo, les manèges, tout cela raisonne en moi comme une chanson d'enfance, souvenirs d'une époque où notre seule préoccupation était de nous amuser et de faire des bêtises. 

Aujourd'hui, je ne suis plus une enfant.  J'ai pris ma décision. Je serai médécin. J'en rêve depuis des années. Pouvoir soigner tous les enfants malades du monde était mon rêve. J'ai décidé de retourner au Sénégal afin de le réaliser. 

Lorsque j'ai annoncé à ma prof principale de 3ème que je voulais faire médecine, je n'oublierai jamais le regard sceptique qu'elle m'a lancé. Elle m'a expliqué que je devrais peut être viser moins haut et que c'était dur la médecine. Étais-je prête aux sacrifices ? Aurais-je le niveau ? Avais-je conscience de toutes mes lacunes ? Après notre entrevue, je me souviens m'être sentie si démoralisée que j'ai éclaté en sanglots. 

Comment osait-elle détruire mon rêve, me faire douter de moi ? En mon for intérieur, je m'était faite à moi même la promesse solennelle que je réaliserai mon rêve. Je lui prouverai qu'elle avait eu tort.

Finalement, j'ai opté pour la faculté de médecine de Dakar. Ce me semblait être un excellent compromis, étant donné que j'avais toujours eu envie de retourner vivre au Sénégal, au moins pour quelques années. Cela faisait dix ans que je n'y était pas retourné. Tout devait avoir tellement changé. Reconnaîtrais-je le pays ? 

C'est l'heure du départ. Toute la famille est là à l'aéroport avec moi. Papa me fait les dernières recommandations d'usage en Haal Pulaar : " Sois prudente ma fille, tu connais très peu le pays de nos ancêtres, qui peut s'avérer à la fois doux comme le miel et amer comme le vinaigre. N'accepte jamais de faire ce qui te semble contraire à tes principes ou à ton honneur" 

Maman se contente de me prendre dans ses bras en pleurant et me dit que je lui manquerai. Cathy et Aziz me firent également la bise tour à tour, en me souhaitant bon voyage et en me promettant de me rendre visite une fois les vacances venues. " A bientôt la blédarde " me lança Aziz, " on t'enverra des Macdo par GP", dit-il et toute la famille éclata de rire. 

Je me dirigeais d'un pas décidé vers la zone d'embarquement et tendis mon billet à l'hôtesse qui me souriait de son sourire glacé. C'était le début de l'aventure.