La Dernière Histoire

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C'était au crépuscule, accoudée au bord de la fenêtre, elle regardait le ciel se noyer dans le soleil, se mélangeant et fusionnant pour donner vie à la nuit. La lumière de l'astre s'endormant inondait la petite chambre. Le parquet, qui avait subi le poids des nombreux passages dans la pièce, ondulait comme la mer. Le bois était usé mais cela n'empêchait pas les locataires de marcher dessus pieds nus. La porte se dressait face à la fenêtre, sa peinture verte s'écaillait et paraissait ressembler à un lézard. Au côté de cet animal à la forme si particulière, une armoire en bois sombre avec deux fins miroirs, un pour chaque étroite porte, semblait essayer de s'élever mais n'y parvenait pas, le plafond bas la privant de toucher les nuages. Dans l'angle de l'autre côté de la planche qui servait de porte, un petit bureau servait de débarras : des livres et divers papiers s'y entassaient, répartis sur différentes piles ; une plume abîmée et son encrier qui résistait à la gravité et refusait de se renverser, avaient réussi à se trouver une place ; prête à tomber derrière le semblant de bureau, une esquisse encadrée faite au fusain dessinait un couple de bourgeois ; une marguerite se fanait dans son petit vase blanchit par le calcaire et décorait, tant bien que mal, le plan de travail. Un froissement de draps glissa dans la pièce. Un lit double s'étendait jusqu'à son centre. Des draps beiges enveloppaient le corps nu d'une jeune femme.

Lise, cessant d'admirer le coucher de soleil, se retourna et dévisagea la silhouette étendue sur le vieux matelas. Elle était d'un blond foncé, ses paupières closes venait de laisser place à deux pupilles d'un bleu océan qui la fixait. Ne se laissant pas intimider par son regard pénétrant, Lise continua de la regarder. Ainsi elle s'attarda sur chaque tâche brune qui parsemait ses pommettes rebondies et son petit nez fin. Puis ses yeux glissèrent sur sa peau claire, presque aussi blanche que la neige, longeant ses formes de jeune femme, suivant les courbes de sa poitrine et de ses hanches en passant par sa taille mince. Alors que les yeux de Lise continuaient leur voyage sur le corps allongé, la voix douce de la jeune blonde s'immisça dans le silence sans le briser :

« Raconte moi une histoire, tu veux bien ? Tu les contes si bien.

– Si tu veux Claire. Que veux-tu que je te raconte ? demanda Lise en allant s'asseoir au bord du lit.

– Ce que tu souhaites ! Choisis pour ce soir », répondit Claire en étirant ses lèvres rosées en un sourire.

Lise réfléchit quelques minutes, rassembla ses idées et posa sa tête dans le creux de la hanche de Claire. Cette dernière pris entre ses doigts de fée une mèche des cheveux bruns de la conteuse et les caressa avec tendresse. Quand elle fut prête, Lise prit une inspiration et commença :

« Le soleil d'été éclairait un parc verdoyant comme s'il avait été en feu. J'étais assise sur une nappe rayée que j'avais étendue sur l'herbe et je lisait un livre pour patienter. Ma sœur est arrivée, entourée de ses amies et accrochée au bras de son fiancé. Je rangeai mon livre dans mon sac et me levai pour embrasser ma grande sœur. Elle lâcha son amoureux pour me serrer dans ses bras. Puis elle me présenta à ses quelques amies. Je tournai la tête pour les saluer et je m'arrêtai brusquement. Je venais de voir un océan s'étendre devant moi. C'était tes yeux que j'avais aperçus. Timide, la douce Claire que tu es, c'était cachée derrière toutes ces bourgeoises qui tenait compagnie à ma sœur.

Les présentations finies, nous avons passé l'après-midi à discuter. Je me rapprochai de toi et nous rigolions toutes les deux, se moquant des grandes dames du monde mais surtout de celles qui les imitaient. Mais le soleil voulu dormir, alors nous nous sommes séparées, non sans oublier d'échanger nos adresses. Et tu pris un fiacre pour retrouver ta chambre.

C'était la première fois que je t'ai vu, et je ne l'oublierais jamais.

Tu m'envoyas une lettre – que j'ai toujours – et je te répondis. Ainsi jusqu'à aujourd'hui, nos lettres continuent d'être échangées. Tu m'invitas chez toi, au début avec ma sœur, puis, petit-à-petit, seule. Nous nous retrouvions à deux dans ton salon à boire du thé et à rigoler. Quelles agréables après-midi passées à tes côtés. Ma sœur voyait en nous de très proches amies. Oui, nous étions proches, mais notre amitié c'est estompée. Un jour tu m'as invité, je suis restée pour dîner. Je ne sais par quel miracle et quelle confusion, le vin que nous avions bu devait sûrement faire effet, nos visages se sont rapprochés. Si près que nos lèvres se sont d'abord effleurées timidement. Un baiser suivi. Puis un autre. Et encore un, encore cent. Je devais rester pour le dîner et je restais pour la nuit. C'était une nuit douce, sans vent et, fatiguées du vin et de notre aventure à découvrir nos lèvres, nous nous endormîmes enlacées.

Depuis nous venons discrètement dans ma petite chambre, de peur de nous faire surprendre par ta famille qui te rendait souvent visite. Moi, personne ne venait me voir à part toi, alors tout était parfait. Nous vivions heureuses sans que personne ne le sache, c'était notre secret. »

Lise et Claire se redressèrent et s'embrassèrent. Claire prit la parole avec un sourire ravi :

« Et cela l'est toujours. C'était une belle histoire que tu m'as contée. »

Le silence était retombé dans la pièce et il faisait nuit dehors. Soudain, quelqu'un toqua à la porte. Le bruit vint troubler le rêve et l'intimité des deux jeunes femmes. Lise se leva et se posta devant la porte. Claire sortit du lit et essaya de s'habiller. La brune demanda avec la voix nouée de peur :

« Qui est là ? »

Un homme au timbre grave lui répondit fermement:

« Ouvrez Mademoiselle. »

Lise tourna la tête pour regarder Claire. Elle avait enfilé sa robe et cachait ses affaires sous le lit. Lise inspira profondément et ouvrit la porte.

L'homme était un gendarme. Il était accompagné de deux de ses collègues mais aussi des parents de Lise, sa sœur et le voisin qui les avait dénoncées.

Les trois gendarmes entrèrent, l'un sortit un grand sac et commença à vider la modeste chambre, les deux autres prirent les fautives et les traînèrent dehors. Claire pleurait, criait des mots pour les défendre. Lise ne comprenait rien, son monde s'était écroulé en une fraction de seconde. Il disparu définitivement lorsqu'elle rencontra les regards de sa famille : sa mère avait les yeux gonflés, elle avait beaucoup pleuré quand les gendarmes l'avait appelée ; son père avait une expression de haine profonde ; sa sœur, en qui Lise pensait y trouver du réconfort, affichait une mine dégoûtée. Son cœur se brisa. Elle voulut tendre la main pour attraper celle de Claire mais le gendarme qui la tenait serra plus fort ses poignets. Claire pensa à l'histoire de rêve que lui avait contée la femme qu'elle aimait quelques minutes auparavant. Toutes deux se répétèrent si fort dans leur crâne que c'était leur secret. C'était, cela ne l'est plus.

Tout était fini.








Au XIXème siècle, l'homosexualité était considérée comme une maladie psychiatrique. C'est d'ailleurs à cette époque le terme d'"homosexualité" est inventé.

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