Chapitre 1 : Ce n'est qu'un adieu

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"ÀTokyo, le 25 octobre 1941.

À l'attention de Shiota Tao, 19ans, fils de Shiota Akenu,
Nous sommes actuellement au regret devous annoncer que pour des raisons physiologiques, nous ne pouvonsvous accepter dans les rangs d'aviation qui partiront pour la baseaméricaine de Pearl Harbor, le 7 décembre prochain. En effet, votreexamen médical a confirmé un déficit de 6,7 centimètres parrapport à la taille minimum requise pour intégrer notre armée del'air, en rajout de votre statut de mineur qui rend votre candidatureimpossible.
Nous vous présentons nos sincères excuses, à vouset votre famille,

GénéralTojo, en charge des aviateurs de Pearl Harbor"

Aprèstrois ans de frustration, et en plein mois d'octobre 1944, j'arboraisun sourire satisfait en froissant cette lettre officielle, avant dela jeter dans le feu de l'âtre qui trônait dans le salon, seultémoin de ma fierté apparente, qui contrastait avec mon habituelleneutralité.
Enfin, après deux ans et demi d'entraînementintensif, l'armée de l'Empereur m'a enrôlé dans le corpsd'aviation qui allait venir à bout de la flotte américaine, dans leDétroit de Surigao.



Cettemission me chargeait d'un immense honneur, mais aussi d'une lourdepeine : Les avions que nous allions piloter étaient habilités pourtransporter une bombe de deux cents cinquante kilogrammes à leurbord, et charger sur l'ennemi.

Unemission kamikaze, à laquelle nous nous sommes préparés, mesproches et moi, durant les deux derniers mois, et qui allait êtremon unique chance de faire mes preuves.



Mamère a probablement été celle qui a la moins bien pris lanouvelle. Elle ne voulait pas y croire au début, se persuadant que «ce n'était qu'un mauvais rêve ». Cependant, c'était réel, etpendant les dernières semaines, elle s'était préparée mentalementà faire son deuil. Elle ne mangeait presque plus, et dormait àpeine pendant plusieurs jours, avant de se calmer et d'arrêter depasser ses heures à pleurer la perte future de son seul fils.



Monpère, n'ayant jamais réussi le test d'admission, a plutôt étéassigné dans la marine impériale pour la guerre, et nous envoyaitdes lettres toutes les semaines, même s'il avait cessé depuisquelques temps. Il n'aurait probablement pas mal pris la décision dupays, car il disait toujours de ce genre de choses qu'elles étaientinéluctables. Malgré tout, j'aurais beaucoup aimé qu'ilm'écrive pour me dire ce qu'il attendait de moi, ou juste pourm'assurer qu'il était encore vivant.


Laperspective de combattre pour l'Empereur donnait certes le vertige,mais la peine me tenaillait parfois le ventre lorsque j'imaginais latombe à mon image, après l'assaut. Malgré tout, je n'auraisdéserté pour rien au monde. L'honneur était plus important que mavie, et je n'aurais pas supporté de finir mes années comme untraître.

Ilfaut me comprendre : Mon père était dans l'armée, et être leprochain ne me déplaisait pas, d'autant que je me trouvais dansl'aviation. Mais être dans la mission du Vent Divin n'était pas ceà quoi je m'attendais et me préparais depuis tout ce temps...


Toutesces pensées tourbillonnaient en moi alors que je faisaisméthodiquement l'inventaire de mes maigres bagages : les billets detrain jusqu'à la base, une photo de mes parents, mon uniforme desoldat ainsi que mon équipement de voltige, une bourse de deuxmilles yens pour, selon ma mère, "m'accorder un dernierplaisir", et un vinyle américain, que j'avais reçu à mes dixans d'un ami étranger, et que j'avais tenu à garder pendant laguerre, malgré les protestations de mes parents.
Il y avait aussiune montre de gousset en argent plaqué et un kit de survie avec desrations de nourriture, au cas où je serais rescapé, ainsi qu'unephoto d'Hatsukaichi, ma ville natale, que je m'apprêtais à quitterà présent.

Zéro-senWhere stories live. Discover now