Aux innocents, morts.
Les roses ne seraient pas encore fanées que la guerre serait déjà finie.
Le temps s'est alors vidé,
Vidé de son sens.
La mort se confondait avec la vie, ou était-ce l'inverse ?
On ne savait plus si on était des héros ou des survivants.
On ne savait pas si on reviendrait.
L'enfer était en nous, nous sentions le souffle froid de la mort vivre dans nos poumons.
Et il nous retenait,
Nous étions prisonniers.
Ses griffes de métal,
Sa main de fer,
Ses volontés inavouées,
Nous faisant bâtir ce que nous n'avons jamais vu jusque-là.
L'enfer, l'enfer sur terre.
J'entends une mère pleurer son fils,
Il n'est pas mort, non.
Il n'est ni sain, ni sauf.
Il est en enfer,
Pour les péchés qu'il ne commettra jamais.
Faute de temps.
Le monstre de feu et d'acier s'en nourrit,
Il veut son lot quotidien de chair fraîche.
Il lui prendra sûrement son dernier souffle,
Je ne leurs dis pas.
Ils croient qu'il reviendra.
Mort ou vif, il restera là bas, comme nous tous.
Si d'aventure il revenait, seul son corps nous parviendrait.
Il sera de ceux qui ont perdu leur âme, ceux que l'on ne voudra plus voir.
La jeune recrue scrute l'horizon,
Au plus bas de l'échelle,
Il est difficile de comprendre ce qui se passe plus haut.
Il n'est pas très lucide.
Cependant suffisamment vif pour qu'on l'envoie en première ligne.
La chair vive, musclée, jeune, agile.
C'est celle la qu'ils préfèrent.
Le caporal pragmatique me disait encore hier, qu'il n'y avait rien à tirer d'un corps fatigué ou flasque.
Pure logique, mécanique, mathématique, balistique.
Précision redoutable, cible droit devant, marge d'erreur inexistante, mille mètres par seconde.
Feu.
Une balle dans la poitrine de la jeune recrue, un joli tir.
Il ne lui reste que peu de temps pour prier, sans rancune, ce qui n'existe sûrement pas.
Du haut de ses dix-neuf ans, il s'effondre, son front est froid. Je lui dis adieu.
Le requiem des balles sifflantes ne prévient pas.
