Sauver les apparences

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En média Diane

Sauver les apparences.

C'est ce que je me répète depuis le début de l'enterrement.

Faire semblant d'être triste, verser quelques larmes en repassant en boucle les images de mon chat Compote qui est mort écrasé pour s'aider à pleurer, et surtout, ne pas rire!

Ah, et surtout, SURTOUT!!! Ne pas regarder le prêtre avec sa gueule tordue et son nez de travers, gros et rouge, qui sort visiblement d'une grosse cuite parce qu'il grimace quand les churs se mettent à bêler.

Ou alors, il a l'oreille musicale On n'a pas idée de mettre des vieilles biques déprimées pour chanter à un enterrement.

Moi, ce que j'attendais, c'était un groupe de rock ou Beyoncé!

Mais visiblement, mon beau-père et moi n'avons pas les mêmes goûts.

Faut le voir lui, il pleure comme s'il voulait inonder la terre entière.

S'il savait que ma mère le trompait avec le voisin, le facteur, le jardinier, l'autre voisin, le prof de piano, l'épicier et le boulanger A peu près tout ce qui avait un sexe entre les jambes en fait.

Ma mère était une femme, alcoolique mais sans un certain charme, qui aimait se taper tout ce qui bougeait.

J'éprouvai à son égard à peu près autant de chose qu'éprouvait une botte de radis à une salade.

Pas grand chose.

Il fallait dire qu'elle m'avait abandonnée quand j'étais gosse ainsi que ma petite sur Athéna - notre père, même si nous ne l'avions pas connu, était un fervent lecteur de la mythologie grecque d'où nos noms- à son mari du moment.

Dès-lors, elle était partie et n'était revenue que cinq ans après, soi disant bourrée de remords et on avait emménagé chez un maitre d'école, à quelques kilomètres de mon village natal, avec lequel elle avait eu un petit garçon, un monstre sur patte, tout rose et dégoulinant de bave dont j'avais été immédiatement fan : Junior.

Quelques semaines après, l'instit se démenait à réparer les frasques qu'Athéna, Junior et moi nous amusions à commettre, pendant que sa femme courait les comptoirs et les hommes de bonne famille sous le prétexte de changer d'air.

L'instituteur, plein de bonne volonté, nous apprit à lire, à écrire, à compter, la mythologie grecque, la culture indienne, le chant, le piano, l'accordéon, les rudiments du latin, de l'anglais, de l'espagnol, et la menuiserie.

Nous, nous complétions nos apprentissages par la boxe, le foot, les jurons, les billes, les dessins à la craie et à la peinture sur les murs des boutiques et la couture pour réparer les vêtements déchirés.

Mais de nouveau, notre mère vint nous chercher et on dût quitter le maitre et Junior avec un désespoir qui n'arracha pas une excuse à notre génitrice. J'avais alors onze ans et je découvris la grande, grande ville pour la première fois.

On habitait chez un banquier, un homme très droit dans ses bottes qui ne se laissaient aller à aucune extravagances et qu'Athéna et moi détestâmes de suite. Mon beau-père d'aujourd'hui.

Alors oui, je n'éprouvai pour ma mère qu'une pitié mêlée d'indifférence. Sa mort m'attristait parce que c'était celle d'un être humain, aussi détestable et stupide soit-il, mais j'avais été plus affligée par l'annonce de la mort d'un des petits malades que je faisais rire à l'hôpital - j'étais prestidigitatrice, illusionniste, magicienne, clown, ou comme j'aimais me définir: vendeuse de rêve, ouvreuse de porte et envoleuse de monde - que par celle de ma mère.

Mais là n'était pas la question. Rire à son enterrement aurait été mal vu.

Il fallait sauver les apparences.

GrosseWhere stories live. Discover now