Un couffin sous le porche

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Le couffin sous le porche

Seth Wolf remonta le col de son manteau, rabattit les pans pour se protéger de la neige. Sa longue marche à travers la ville l'avait éreinté. Mais néanmoins ne rentrait-il pas les mains vides, en effet, à l'abri sous son manteau se trouvait les antibiotiques prescrit par le Dr. Talbot, le pédiatre familial, pour son fils Romuald, né quelques mois avant terme.
À l'approche du Château, Seth commença à distinguer, à travers les sapins, les lumières derrière les fenêtres des maisons. Cette nuit s'annonçait comme la plus longue de l'année et les réverbères resteraient allumés jusqu'à très tôt le lendemain. Seth n'était pas craintif de l'obscurité mais préférait tout de même traverser la ville de jour et si possible en voiture. Il allait bientôt atteindre l'orée de Vanity Meyfair ; les sapins se faisaient plus nombreux et plus ordonnés. À un moment donné, la route prenait un tournant dont une petite pancarte à un rond-point de la route indiquait Vanity Meyfair. De là, l'on pouvait admirer la mairie, que l'on nommait aussi Le Château à cause de son aspect de château médiéval.
Vanity Meyfair n'était à l'origine qu'une petite bourgade perdue au milieu de nulle part. Dont la construction de nouvelles maisons avait entrainés l'arrivée en ville de nouveaux habitants. La ville avait tellement prospérée que la place avait fini par manquer. Quelqu'un avait alors eu l'idée de la Tour, un énorme bâtiment de pierre rouge, d'aspect assez rustique et qui réunissait à lui tout seul, des boutiques en tout genre, d'espaces de loisirs tels que des salles de jeux, des bibliothèques, un cinéma mais aussi une école maternelle et primaire. C'est près de cette haute tour que demeurait Seth, Terri et leurs deux enfants dont Romuald, le petit dernier. Même si on y vivait quelque peu à l'étroit, l'atmosphère y était conviviale et les enfants y trouvaient des compagnons de jeux et une bonne éducation.
Comme le soleil d'hiver amorçait sa descente vers l'horizon. Seth commença à presser le pas. Il ne voulait en aucun cas arrivé trop tard à la maison.

Lorsqu'il s'engagea dans l'allée du numéro 602 de la rue de Stringers Bay, la première chose qu'il vit - et qui lui sembla bien étrange - fut la présence d'un corbeau, perché sur la girouette sur le toit.
- Allez, ouste ! s'exclama Seth.

L'animal ne bougea pas et se contenta de le regarder d'un œil sévère. Seth se demandait si c'était un comportement normal pour un corbeau. Se ressaisissant, il s'apprêtait à pénétrer dans la maison, lorsque la porte de celle-ci s'ouvrit brusquement. Une grosse femme rougeaude (la voisine des Wolf, une amie de Terri) sortit en coup de vent et faillit le renverser. Elle avait semble-t-il beaucoup pleurer à en juger par les sillons qu'avaient creusés les larmes sur son visage peu ridé.
- Mort ! lui lança-t-elle, il est mort !

Elle poussa brusquement Seth vers la maison avant de s'éloigner d'un pas alerte vers la rue. À l'intérieur, Terri Wolf poussait des cris déchirants. Ne saisissant pas encore le sens des paroles de la voisine. Seth entra et vit sa femme serrant dans ses bras, leur fille, Renata, pâle et encore trop sous le choc pour pleurer.
- Ils l'ont emmené, expliqua Terri, désespérée. Romuald est mort et ils l'ont mis dans un sac noir.

Au même moment, le corbeau émit un cri strident. Et Seth prenant dans ses bras sa petite famille, se mit lui aussi à pleurer.

Le cœur lourd, ce soir-là, la famille Wolf se mit au lit. Terri, encore sous le choc de la perte de son nouveau-né, fut la dernière à s'endormir. Pleurant à chaude larme mais pensant néanmoins qu'il était devenu un petit ange.

Et tandis que la petite famille se laissait emporter dans un sommeil réparateur, le corbeau sur le toit, lui, scrutait le ciel. Il restait immobile comme une statue, fixant de ses petits yeux noirs un point invisible dans le ciel. Il était près de minuit quand il bougea enfin.

Une femme poussant un landau avait surgi dans le ciel sombre dont le corbeau suivit attentivement la descente. Elle était apparue si brusquement que l'on l'aurait dit descendu de la lune. Le corbeau vint se perché alors sur la boîte aux lettres, en version miniature de la maison des Wolf.

Jamais dans tout Vanity Meyfair, on avait vu quelque chose qui ressemblâtes de près ou de loin à cette femme. Elle était grande, mince et si l'on s'en tenait à ses traits, âgée d'à peine une vingtaine d'année. Ce que démentait pourtant la couleur d'un blanc immaculée de ses cheveux - qui lui descendait en cascade dans le dos - et de ses sourcils. Elle était vêtue d'une tunique en dentelle blanche à capuchon qui rasait le sol à chacun de ses pas, laissant pourtant entrevoir de délicates jambes habillées de sandales à lanières de soie blanche. Ses yeux d'un gris argentés étaient dissimulés derrière un masque en argent joliment ouvragé, ne laissant voir que le bout de son nez mutin, lui donnant un air encore plus juvénile. Cette femme se nommait Anilius Primus. Et ne semblait aucunement prendre la mesure de l'incongruité de sa présence en cette rue. Elle était pour l'instant occuper à calmer le petit être dans le landau qui avait semble-t-il commencer à pleurer. Lorsqu'elle se redressa et aperçut enfin le corbeau, cela sembla pour une raison inconnue l'apaiser. Elle sourit et dit :

- Je me doutais bien que vous seriez là bien avant moi.

Elle s'avança vers la maison numero 602, s'arrêta auprès du corbeau et commença à lui parler.

- C'est assez plaisant de vous voir sous cette forme, ne dit-on pas que les corbeaux sont des oiseaux de mauvais augure, Mr. Dunstane.

Le corbeau prit alors son envol dans un écran de fumée blanche et à la place apparut un homme d'un âge avancé, vêtue comme la jeune femme d'un habit blanc, un costume trois pièces en lin blanc mais au contraire d'elle, portait des bottes en cuir de serpent blanc. Il arborait néanmoins le même masque en argent très ouvragé.

Anilius se retourna alors vers la rue et en faisant un geste de la main, fit s'éteindre toutes les lumières des réverbères situés dans celle-ci. Plongeant Stringers Bay dans le noir le plus complet. Cela fait elle se tourna vers la maison.

- C'est paraît-il une bonne famille pour le jeune maître, êtes-vous de cet avis, mon cher Dunstane ?

- Je n'ai pas de jugement à porter quant au choix du maître, quel qu'il soit je respecterais son choix.

- Mais n'est-ce pas risqué de le laisser aux mains de cette famille tellement commune ? Vous qui les avez sûrement observés toute une journée, que pouvez-vous en dire ?

- C'est le meilleur endroit pour le jeune maître, répliqua Dunstane d'un ton ferme. Seth et Terri Wolf l'élèveront tel leur propre fils après la perte qu'il vienne de subir. Et au moment où il voudra savoir qui il est, les réponses lui apparaîtront.

La jeune fille détacha alors le couffin du reste du landau, donna un baiser à la créature couchée à l'intérieur, puis avec moult précaution le déposa sur le pas de la porte.

- Eh bien, voilà, il est inutile de s'attarder en ce lieu plus longtemps.

Anilius et Dunstane longèrent un moment la rue avant de prendre petit à petit leur envol. Lorsqu'ils eurent disparus, les réverbères se rallumèrent.




L'enfant sacréeWhere stories live. Discover now