Chapitre 1

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La pluie battait le vitrail coincé dans les épais murs de l'Eglise. Les gouttes tachaient d'obscurité ces morceaux de verre coloré et glissaient en laissant une sombre traînée ; les personnages recomposés des murs semblaient compatir à la douleur générale et accompagnaient de leurs larmes les proches venus dire au revoir à la jeune fille.

L'Eglise, rarement aussi remplie que pour un triste événement auquel, pourtant, personne n'eût voulu devoir assister, baignait de tristesse. L'affreuse mélodie jouée par l'orgue diffusait une grande mélancolie dans la nef ; les notes étaient lourdes et pesaient sur tous les cœurs, comme si la tristesse présente n'était pas assez grande et qu'on y eût à rajouter celle de la musique. Les reniflements et les gémissements contenus contribuaient également à l'ambiance lugubre qui berçait les sombres réflexions de Florian.

Il n'en percevait pourtant que des bribes, comme s'il s'était bouché les oreilles. Son esprit faisait abstraction de cet environnement sonore qui n'était plus qu'un lointain bruit de fond. Le temps semblait s'être arrêté comme pour la jeune fille qui reposait devant l'autel. Le caractère intemporel de son ressenti lui donnait l'impression d'un univers mental dans lequel il pouvait voyager ; mais il était attaché à ces lieux et à une réalité qu'il aurait voulu fuir. Il ne savait plus qui étaient ses voisins de banc mais il savait qu'ils étaient là, qu'il n'avait pas bougé. En réalité, il n'y prêtait pas attention ; son esprit était captivé par le martèlement incessant de la pluie, qui battait le carreau et résonnait dans sa tête. Cela avait quelque chose d'apaisant, bien que la raison en fût inconnue. Le calme intérieur faisait émerger des réflexions que les événements imposaient. Toutes les questions qu'il avait tues jusqu'à présent le harcelaient désormais. Des questions dont il ignorait les réponses et qu'il avait alors préférées oublier.

« Pourquoi ? » Ce mot ce distinguait de tous. Beaucoup sont ceux que la mort surprend et qui se trouvent démunis quand elle surgit. Avant même de s'interroger sur sa nature, la question de son pourquoi tourmente les Hommes. Un pourquoi qui se décline de maintes façons, laissant dans son sillage toujours plus de questions et moins de réponses.

Pourquoi la mort ? Et pourquoi la vie puisqu'il y a une mort. « Anastasie nous a quitté... » Les paroles du prêtre ramenait à la triste réalité les esprits bouleversés qui espéraient encore se réveiller. Rire était la dernière chose à laquelle tous auraient pensé en la circonstance, et pourtant une ironie mélancolique émergeait dans les pensées de Florian : que faisait-il dans cette église, lui qui ne croyait pas en ce Dieu mystérieux, ce Dieu que l'on surnomme Amour et qui avait enlevé la femme qu'il aimait ? Ce Dieu qu'il suppliait encore quelques jours auparavant, lorsqu'Anastasie reposait inconsciente sur son lit d'hôpital et qu'il attendait à son chevet. Il ressentait au fond de lui une colère prenante contre ce Dieu dont il niait pourtant l'existence, une colère nourrie aussi par l'orgueil d'avoir été abandonné, d'avoir espéré et crié en vain. Et en même temps, il voulait presque croire en son existence pour lui imputer ce crime qui n'avait de coupable. Il avait besoin de ce coupable, tout du moins il le pensait ; il lui semblait vital de rompre avec ce sentiment d'injustice, et il fallait pour cela que quelqu'un payât pour la vie prise.

Lorsqu'il avait reçu l'appel d'un proche d'Anastasie lui annonçant l'accident, son ressentiment s'était immédiatement dirigé vers le conducteur de la voiture qui l'avait renversée ; il avait juré à qui l'écoutait qu'il allait le retrouver et le tuer, et qu'il l'eût fait sur-le-champ s'il n'eût accouru à l'hôpital. Par la suite, il avait appris de nombreux témoins que le conducteur n'était pas le moins du monde en faute, et que la hâte seule de la victime l'avait jetée sous sa voiture. Après une semaine de coma, que Florian avait passé à ses côtés, espérant toujours pour bientôt son réveil, elle était décédée. C'était un accident stupide, qu'il ne pouvait plus reprocher à personne désormais.

Ce n'était pas comme toutes les filles qu'il avait perdues, pour une fois ce n'était pas sa faute. Et ce qu'il ressentait pour elle était autrement différent ; il l'aimait sérieusement. Sa perte lui était insupportable, et le fameux dicton « une de perdue, dix de retrouvées » qui composait son habituel remède, n'était plus de mise. Elle était irremplaçable.

Son esprit s'intéressa soudain à ce qui se disait autour, comme s'il remontait à la surface. Une phrase en particulier retint son attention. « Délivre-nous du mal. » demandaient les croyants. La colère de Florian redoubla. « Mais oui, puisque tu es tout puissant, délivre-nous donc du mal ! » raillait-il de colère. « Pourquoi le mal existe-t-il, puisque tu es Amour ? » Comment un Dieu Amour pourrait-il laisser les Hommes souffrir ? Ce Dieu ne pouvait pas exister. C'était aussi logique que deux et deux font quatre, même si calculer et philosopher sont deux choses incomparables. Si ce Dieu existait, pourquoi ne l'avait-t-il pas sauvée ? Parmi les comateux, pourquoi fallait-il qu'il y en eût qui se réveillassent tandis que d'autres s'éteignissent à jamais ? Le caractère injuste et aléatoire de l'accident le révoltait.

Quel était le facteur déterminant du « droit de vivre » ? On dit les gens qui partent sont ceux dont l'heure est venue. Mais Florian refusait de croire qu'à dix-neuf ans à peine, ce fût son cas. Sa vie lui semblait bien courte ; il imaginait les grandes et belles choses qu'elle eût pu encore accomplir dans ce futur dont il eût aimé faire partie. Il ne pouvait croire en son bonheur que le prêtre donnait comme réconfort aux proches. Il s'imaginait que mort, il ressentirait un manque, le sentiment de ne pas avoir terminé ce qu'il y avait à faire ; même si les morts ne ressentent plus rien. Il ne croyait pas non plus à une quelconque vie après la mort. Pour Florian, ce n'était pas qu'un « au revoir », c'était un « adieu » ; il ne pensait pas la revoir un jour. Il se demanda alors l'utilité de s'attacher aux gens, si ce n'est pour souffrir encore plus. Il se demanda l'utilité de vivre aussi. Le résultat de toute cette histoire lui apparaissait ainsi : Anastasie n'était pas plus heureuse, lui non plus ; tout était fini.

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⏰ Last updated: Aug 04, 2019 ⏰

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Les Larmes de FerWhere stories live. Discover now