Chère Emilie

Une seule pensée vous envahit

Et le monde entier s'assombrit

          Chère Émilie, 

aujourd'hui nous t'avons fait nos adieux... Tout a commencé à 10h. Nous sommes allés à la messe tout d'abord. Toute la famille était là, mamie, papi, tonton Jacques, les cousins... Tes amies aussi. Et Jonathan. Ha Jonathan ! Tu sais ça n'a pas était facile pour lui aujourd'hui... Dire adieu à la femme que l'on aime, en sachant qu'on ne la reverra plus jamais. Peut-être au paradis si Dieu existe. Nous avions tout préparé pour toi, pour que tu gardes une image douce de notre chère famille... Si l'on peut dire que c'est encore une famille à présent. 

L'église était grande. Des voutes immenses montant au plafond, une froideur qui vous glace le sang. Pas un mouvement dans cet atmosphère figée par la mort. Une impression de très lente asphyxie. Tu as beau inspirer mais tu ne sens pas l'air descendre dans ta gorge et remplir tes poumons, alors tu respires, de plus en plus vite, de plus en plus fort, et petit à petit elle vient, cette sensation d'oppressement indescriptible. Tu recherches désespérément un signe pour te sentir...vivante. Le prêtre est entré en premier, suivi des enfants de cœur, puis tu les as rejoint. Un cercueil en bois remontant l'allée. C'est drôle car je m'étais imaginée te voir remonter cette allée un jour, dans une robe aussi blanche que ton cercueil... 

La messe s'est déroulée, les chants, les prières... Je déteste tellement la messe Emilie, c'est si long... Et celle-ci m'a parue sans fin. Tu sais, Marta t'as chanté une chanson, du haut de ses 8 ans, avec sa robe de dentelle noire et ses petites bottines, ses couettes de boucles blondes. La pauvre tremblait comme une feuille, je ne savais pas qu'elle avait une si belle voix notre petite sœur. Les discours étaient tour à tour entrecoupés de sanglots. Est venu le temps de bénir ton cercueil, entrouvert, des bougies étaient alignées et en faisaient le tour. Ton petit visage pâle, encore rayonnant de fraicheur malgré tout. Qui aurait pu penser que tu ne te réveillerais plus jamais ? A mon tour, j'ai imité les autres, deux petites larmes ont roulé sur mes pommettes. Par réflex je les ai recueillies avec ma langue, et elles m'ont paru si salées par rapport à d'habitude... Presque violentes. Je suis restée longtemps à te regarder, les yeux perdus sur tes contours, ta peau blanche, lisse, tes lèvres asséchées par le manque d'oxygène... Tes cheveux avaient été coiffés d'une broche pour dégager ton cou, où l'on cherchait désespérément une pulsation, comme un dernier message d'espoir. Je suis retournée m'assoir à ma place. Le contraste remarquable de cette petite foule vêtue de noir dans cette chapelle de pierres blanches... 

A la fin, nous sommes repartis en cortège silencieux vers le cimetière. Personne n'a osé prononcer une seule parole, Emilie. Maman a accompagné Jonathan à l'avant du cortège, juste derrière toi. Ces 300m nous ont parus les plus longs du monde je pense bien. Le pas était lent et lourd, la chaleur de cette matinée d'été tranchait avec nos sentiments. Je ne sentais plus le sol sous mes chevilles tremblantes. Le cercueil a été descendu lentement et avec précaution dans ce grand trou. Il semblait énorme, avant d'être rempli de ta personne. Ainsi, voilà l'endroit où tu passerais l'éternité. Tu fus recouverte par cette massive tombe de marbre noir. Une petite croix, une photo, une inscription :

Emilie Cossini

1998-2018

Un ange aux ailes brisées

Tu as reçu beaucoup de fleurs, blanches évidemment. Peut-on dire que le nombre de fleurs sur une tombe permet de juger si une personne était aimée ou pas ? Pourtant l'amour ne peut être représenté, en aucune manière, par quelque objet matériel que ce soit. C'est d'ailleurs la difficulté avec les sentiments, on les ressent mais comment les partager et les expliquer aux autres ? C'est même étonnant que l'on puisse trouver une définition à l'amour dans le dictionnaire... Aucun mot, pour moi, ne peut être posé sur cette sensation et aucune définition ne pourra jamais être juste. Je me demande même si tout le monde ressent le même sentiment, ou si par convention nous avons dit que ce que l'on ressentait dans certaine situation s'appelait l'amour, alors que chaque personne ressent une chose différente. Je vais y réfléchir. 

Mamie s'est évanouie pendant qu'il scellait ta tombe... Elle avait beaucoup pleuré depuis ses deux dernières heures, et là ce fut de trop. Elle a chuchoté, qu'elle aurait dû être à ta place, avant de s'effondrer. Dans un sens, on s'est tous dit qu'elle avait raison, mais quel que soit l'âge d'une personne qui quitte cette Terre, on se dit toujours que c'était trop tôt pour qu'elle nous abandonne... Cette journée est passée si lentement Emilie, et dire que le temps continu de s'écouler inébranlablement, quoi qu'il se passe. Quoi qu'il se passe, la vie continue de s'écouler sans un bruit. 

Penses-tu que si plus rien n'existait le temps vivrait encore ? 

Y'a-t-il encore des secondes dans le néant ?

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