Prologue

14 3 0
                                    

     Il faisait froid, comme tout les matins d'hiver. Le jour ne s'étais pas levé. De longues files de voitures roulaient au pas, dans les rues glaciales. Le vent fouettait mon visage. J'avançais pourtant, m'arc boutant contre les rafales. Je ne sentais pas la froideur qui engourdissait mes mains et les pieds. Cette infime contrainte était bien le dernier de mes soucis. Mon corp se préparait au pire, plus loin, à l'arrivé. Pour le moment, il fallait marcher.
     Je traversai le premier passage piéton. L'asphalte résonnait étrangement sous mes pas, les klaxons des voitures m'assourdissaient. Il y avait une église, devant une petite place de terre. Quelques bancs. Personne ne s'y aventurait à seulement huit heures moins le quart le matin. Tout était désert. Je marchais.
     J'aperçus alors quelques élèves devant moi. Mon coeur cessa de battre. Je plissais les yeux. Les connaissais-je ? Non. Pas d'inquiétude à avoir. Il ne fallait juste pas qu'ils me regardent, sinon ils sauraient...
     Ne pas y réfléchir, pas maintenant. Continuer.
     J'arrivais maintenant au grand carrefour. Le matin, les embouteillages créaient un brouhaha incessant. Je zigzaguais entre les voitures bloquées. Insensiblement, mes jambes et ma nuque se raidissaient. Comme chaque matin, je m'arrêtai à la hauteur de la glace. Elle était là, toujours aussi immense, sur la façade d'un immeuble. Mon visage s' y reflétait, et je lisais dans mes propres yeux tout le dégoût qu'il m'inspirait.
     Mes cheveux qui bouclaient d'une façon horrible et retombaient hideusement le long de mes épaules. << Le mouton frisé >>. Mes joues trop rebondies, mon menton fuyant.
     Mais surtout, surplombées par un nez gigantesque, mes dents. Elles dépassaient de mes lèvres, formant une protubérance ridicule. Un centimètre séparait celles du bas de celles de haut. Il m'était impossible de fermer la bouche.  Ma mâchoire était comparable à celle d'un poisson rouge, allant sa nourriture à  la surface de l'eau. Parler en articulant sans baver, devenait difficile dans ces conditions. Je haïssais mon reflet.
     Pourtant, cela ne m'avait jamais posé de problèmes auparavant. Pas vraiment de complexes. Qui aurait pensé que ça deviendrait une condamnation à mort ?
     Mon regard balaya la rue un bref instant. << Pourvu que personne ne me voie >>. Je ne supportais plus qu'on me regarde.
     L'heure tournait. Il fallait que je continue, sinon je serai en retard. Je devrais ouvrir la porte et entrer seule dans la classe, alors qu'ils seraient déjà tous assis. Chacun d'eux braqueraient ses yeux sur mon infâme visage...
     Marcher, encore marcher, oublier.
     Après je coupais par un parc dont le sentier menait à l'angle de la rue du collège. L'herbe était humide. Des pigeons roucoulaient, s'envolant à l'approche des piétons. Il y en avait toujours un, entièrement noir, au milieu des cris et des marrons. Une sorte de superstition peut-être.
     Mes muscles se crispaient. Mes bras ne bougeaient plus, raides le long de mon corp. Je mettais machinalement les mains dans les poches. Réflexe. Je me concentrais sur mes jambes. Un pas, un autre, et encore un autre. Je ressemblais à un robot aux mouvements désynchronisés. Je contrôlais jusqu'à mon souffle. Il ne fallait surtout pas attirer l'attention.
     Mon corp entier semblait pris dans un étau invisible l'empêchant d'avancer. Et pourtant je continuais. Comme tous les jours. Fidèle à la loi.

     << L'instruction est obligatoire pour tous les enfants [...] entre six et seize ans. >>

     Qui à écrit cette phrase ? En tout cas, il avait prononcé ma sentence.

      Je sortis du parc. Le collège se dressait de l'autre côté de la rue, au fond à droite. De nombreux élèves se hâtaient vers l'entrée. Mon regard les parcourut un à un avec angoisse. Maintenant j'étais exposée. Ce n'était plus qu'une question de temps. Si j'avais de la chance, je ne les croiserais pas tout de suite. Encore une minute de répit.
      Je longeai ensuite les grilles, jusqu'à la porte principale. Je me sentais engourdie. Comme si rien autour de moi n'avait plus d'importance. C'est étrange , ce sentiment de flottement. Je comptais déjà les heures, les minutes, me séparant du salut. << Allez, quatre heures ce matin et tu auras une pause. Ensuite encore trois et tu seras libre. >>
      Le soleil se levait à l'horizon. Ses rayons perçaient peu à peu la pénombre. Ce soir, quand je ressortirais à 17h, il ferait nuit.
      Le jour signait le début de l'enfer.

      Je présentais mon carnet de correspondance au surveillant. Il me laissa passer, après un rapide coup d'oeil. Je m'engageai dans la récréation. Le rang des 6e4, ma classe, se trouvait immédiatement à gauche.
      Je les vis alors. Tout les trois ensemble. Je me figeai. Ou du moins, je le crus. Mes jambes semblaient décidées à avancer sans moi. Toute ma raison me criait de partir, aussi vite que possible, de m'échapper. J'inventerai une excuse, n'importe quoi. Il ne fallait pas que je reste là.
      Pourtant je continuai, comme si de rien n'était. Derrière moi, les grilles se refermèrent. Leurs yeux me fixaient à présent. Je voyais, lentement, presque au ralenti, leurs bouches s'étirer dans un sourire. Le temps s'arrêta. 9...8...7... Je me forçai à soutenir leurs regards. 6...5...4... J'allai prendre ma place dans le rang. Quelques élèves se retournèrent à mon passage, le visage chargé de haine. 3...2...1... La première insulte.
      Finalement, peut-être que ce soir j'aurai le courage d'y sauter, par cette fenêtre.

      La croyance populaire veut que la violence au collège ne touche que les milieux défavorisés. Le mien ne possédait certes pas la meilleure réputation, mais mon cas était à part. J'appartenais à la classe d'élite : les bilingues Allemand-Anglais. Il n'y en avait qu'une sélectionnée sur dossiers.
      On ne pourra pas non plus l'expliquer par un manque d'intelligence. La majorité de mes agresseurs avait entre quinze et dix-sept de moyenne générale, les félicitations ou les vives felicitations en appréciation.
      Mais ce n'est pas le pire.
      Je les ai observés au cours de ces années. Ils étaient capable d'empathie. Ils arrivaient très bien à faire la distinction entre << ce qui est mal >> et << ce qui est bien >>. Quand l'un des leurs souffrait, ils compatissaient. Chacun d'eux venait le réconforter. J'en ai vu pleurer aussi parfois. Devant des films où des gens mouraient, par exemple.
      Certains, en classe de primaire avec moi, m'avaient vue pour ainsi dire grandir. Je leur parlais. Ils savaient donc parfaitement que je n'étais ni débile, ni folle. Cela ne les a pas empêchés de détruire à jamais ma vie. Et aujourd'hui, alors qu'ils savent qu'ils ont failli me tuer, d'en rire.
      Peut-être que vous les connaissez. Vous êtes leurs amis, leurs professeurs, leur famille... Dans ce cas-là, mieux vaut probablement pour vous tout arrêter là et fermer ce livre. De toute façon, vous ne me croirez pas. On me l'a assez dit : << Ils sont trop gentils , ils ne feraient de mal a personne >>.
      Alors pourquoi ? Pourquoi m'ont-ils torturee de la sorte ? Est ce qu'il y a au moins une réponse ? Des explications, j'en cherche toujours. C'est peut-être  la même raison qui me pousse à écrire.
      Trouver un sens à l'absurde.

You've reached the end of published parts.

⏰ Last updated: Oct 21, 2019 ⏰

Add this story to your Library to get notified about new parts!

Mathilde Monnet       14 ans, harceléeWhere stories live. Discover now