La chirurgienne itinérante

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Ses talons claquaient, l'un après l'autre, harmonieusement. Le tempo de ce son sur le carrelage pâle se mêlait aux fracassements des chariots, aux ricochets des instruments dans les récipients métalliques, au brouhaha du couloir à la sortie de la salle d'intervention. Un autre bruit vint s'ajouter à ce concert, un sifflement aigu et discontinu qui vibra contre sa hanche. D'un rapide jeu de doigts, Lucie replaça une de ses mèches rebelles derrière son oreille et la laissa retrouver le reste de sa longue chevelure dorée. De nouveau apte à se lancer dans une nouvelle mission, elle écarta légèrement sa blouse blanche en prenant soin de ne pas décrocher son badge où l'on pouvait voir écrit : « Lucie Muller, chirurgienne itinérante ». Elle attrapa sa missive de l'autre main et mit fin à la sonnerie.

-  Cela ne va donc jamais s'arrêter. Souffla-t-elle. Une chance que ce matin le ... 

Lucie se coupa dans son monologue à la vue du message affiché sur son bipeur : « 14h24, ruines de Cherbourg ».

- Ruines de Cherbourg ? Répéta-t-elle, emplie d'interrogations.

De l'autre main, elle sortit son portable de sa poche droite et commença à taper machinalement le nom du site de l'accident de sorte à pouvoir mettre en relief les deux informations. Sa démarche avait repris, et c'est les lèvres pincées, qu'elle observait et attendait la fin du chargement de la page internet. Il faut dire qu'aux étages les plus bas de l'hôpital, la connexion se faisait plus rare. Lucie pressa son doigt sur l'une des images qui lui étaient proposées. De vastes et splendides étendues vertes apparaissaient et logeaient des colonnes et portes d'une abbaye déconstruite. Sur d'autres, on pouvait y voir des morcellements d'habitations venant d'une époque révolue. Alors qu'elle défilait les images, deux délicates mains vinrent se poser sur ses épaules. Elle releva brusquement la tête de ses deux objets électroniques et les mit confusément dans les poches de sa longue blouse.

- Lucie ! Arrête-toi, les portes ne sont pas encore ouvertes. Dit un jeune homme dans son dos en la retenant.

- Merci Jules ! J'avais la tête ailleurs. Comment vas-tu ce matin ?

Les deux amis et collègues discutèrent jusqu'à ce que l'ascenseur arrive.

- Prête pour les ruines ? Fit Jules, impatient.

- À la vue du lieu, je ne pense pas que ce sera une partie de plaisir. Lui répondit-elle, perplexe.

- Vous parlez de la mission à Cherbourg ? Questionna une femme d'un âge plus mûre en entrant de justesse dans le compartiment de métal.

- Affirmatif, vous avez des informations Carla ? Questionna Lucie.

Les chirurgiens se mirent à écouter très attentivement les paroles de la brancardière de terrain.

- J'ai entendu dire que des archéologues travaillent actuellement sur ce site, mais que l'un d'entre aurait marché sur une mine. L'explosion a causé une chute de gravats et l'effondrement du sol dans les caves d'un ancien monastère.

- Connais-tu le nombre de blessés ? S'alarma Jules.

- Je n'en ai pas la moindre idée, car certains seraient encore coincés sous les décombres.

Le son de l'ouverture des portes retentit.

- Je cours prendre mon sac au vestiaire, on se retrouve sur la piste Jules. Merci Carla !

Lucie filait déjà dans les couloirs d'un autre étage. Quelques minutes plus tard, elle était fin prête, le casque sur les oreilles, étouffant le souffle assourdissant de l'hélicoptère, sa mallette d'instruments plaquée contre son buste. Sans eux, elle ne se croyait capable de rien.

Près de vingt-cinq minutes plus tard, l'engin atterrissait sur un terrain plat et Lucie pouvait percevoir la poussière opaque encore flottée dans l'air étant donné l'éminente explosion qui avait eu lieu, et cachant un probable désastre, une nouvelle catastrophe sur un lieu déjà démoli par les bombardements. Elle ne reconnaissait en rien le tableau naturel et lumineux que son smartphone lui avait montré un peu plus tôt. Lorsque l'hélicoptère se posa, Lucie jeta vulgairement le casque sur le siège et ouvrit la portière avant de sauter sur le sol. Elle foula l'herbe, la poigne de sa main se resserrant sur sa précieuse valise, à la recherche des victimes des ruines de Cherbourg.

La Chirurgienne des ruines de Cherbourg -écriture à contrainteWhere stories live. Discover now