Le décharné

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Il contemplaitson reflet dans le miroir. Cela faisait des années qu'il ne l'avaitpas fait. Il ne se reconnaissait pas. Tout avait changé chez lui.Son visage d'ange s'était métamorphosé en quelque chosed'horrible, d'indescriptible. Un concept de peintres fous à lier.Une entité cadavérique. Il nettoya fébrilement la vitre comme poureffacer la vision d'horreur qu'il venait de subir mais rien n'y fit,le portrait qui se dessinait était toujours le même. Il ne savaitpar où commencer tant ses difformités étaient légions. Sescheveux d'ordinaire si beaux n'étaient qu'un fouillis désordonnéde filaments grisâtres et emplis de saletés diverses, il les touchadu bout des doigts, les effleura maladroitement. Ils s'effritèrentcomme du sable, de la matière à peine tangible que l'on auraitlaissé là trop longtemps. Ses yeux étaient noirs, un noir profondet luisant à la fois, celui qui te hante à jamais et te fait perdrela raison. Ils étaient menaçants, ne semblaient jamais te lâcher.Sondaient ton âme pour en découvrir des tréfonds insoupçonnés.

Son visage toutentier provenait d'une autre dimension. Son nez était décousu,maigre. Sa bouche craquelée, emplie de gerçures sanguinolentes. Sonmenton était à l'agonie, tas de chair, il pendait maladroitement etattendait qu'on le délivre, las et impuissant. Il ne reconnaissait plusrien. Il se passa de l'eau sur le visage, là encore, cela ne changearien. Il était prisonnier de son propre reflet. Il se déshabilla.Son corps était fragile, sans vie, dépecé par un charognardinvisible. Ses bras squelettiques ne supportaient pas leur proprepoids, ils ballottaient désespérément comme les voiles d'uneembarcation à la dérive. Ses muscles étaient vides, sans énergie.Ils ne tiendraient pas la journée, l'heure. Ses doigts le lâchaientdéjà, ils tombaient un à un sur le sol sans qu'il ne puisse lescontenir. Il voulut les attraper, les retenir avec sa bouche comme unpoisson qui happe une proie un peu trop audacieuse mais, il ne putque s'échouer lamentablement sur le plancher froid comme la mort. Satempérature corporelle avait drastiquement chuté. Son corps étaitbleu, amorphe. Il se redressa à force de persévérance et appela àl'aide. Il cria comme un beau diable mais ne reçut aucune réponsesinon le triste hululement d'une chouette, au loin. Le silence étaitde marbre, l'on se croyait dans ces églises gothiques quin'accueillent que les pauvres et les malades. Il poursuivit sapropre auscultation, comme un médecin consciencieux et fier de sontravail. Ses entrailles étaient à vif, il voyait ses organespourrir, se dessécher, ses poumons se liquéfiant en un drôled'amas visqueux semblable à de la gelée. Il s'effondra par terre,un fracas sourd suivit. Ses genoux venaient de se briser et desmorceaux de cartilage, de tissus organiques se répandirent toutautour de lui. Il était recouvert, cerné par ses propres matièrescomme un enfant que l'on aurait négligé. Il pleura en silence. Deslarmes coulaient en silence sur ce visage maudit, ce portraitfantomatique. Il ne se voyait même plus dans le miroir. Son refletlui devint flou. Il venait de perdre la vue. Deux orbites vides letoisaient ridiculement mais il ne pouvait les voir. Il tâtonna lesol et se mit à ramper. Il évolua ainsi pendant une poignée deminutes avant de se résigner. Son corps avait abandonné tout espoirde guérison. Il ne se contempla pas mourir, aveugle.

Le décharnéحيث تعيش القصص. اكتشف الآن