Chapitre 1

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« Non, non et non ! Ça ne peut plus durer ! Cria Cornélia en repoussant rageusement ses couvertures. Ces hurlements vont finir par me rendre folle ! Siffla-t-elle en se jetant sur sa porte pour l'ouvrir. Elle arpentait les couloirs pieds nus lorsqu'elle croisa sa femme de chambre.-Retournez vous coucher madame, je vais m'en occuper ! Lui dit Mélia. Et vous n'avez même pas pris le temps d'enfiler vos pantoufles, vous allez prendre froid !-Aucune importance ! Grinça Cornélia. Et sache que je ne retournerai me coucher que lorsque j'en aurai fini avec cette... cette... ! Soudain, elle s'arrêta devant une porte et l'ouvrit si brutalement qu'elle manqua l'arracher de ses gonds.-Madame, je vous en prie ! Ce n'est qu'une enfant !-Cette créature est tout sauf une enfant ! Siffla-t-elle. Althéa ! Rugit-elle. Montre-toi immédiatement ! Les couvertures bougèrent et un petit visage blafard apparut à la lueur de la chandelle que tenait Mélia. Quand donc vas-tu cesser de hurler ainsi au milieu de la nuit ?-Je ne le fais pas exprès maman, c'est à cause de... !-Je t'interdis de m'appeler ainsi ! Je ne suis pas ta mère et tu le sais très bien ! Tu n'es ici que parce qu'Ulster, mon époux, m'a imposé ta présence mais là, la situation est devenue invivable ! Sache que dès demain je prendrai des dispositions afin que tu quittes cette maison ! Mais ne t'en fais pas, tu ne te retrouveras pas à la rue comme cela aurait dut être ! Non ! Il y a déjà quelque temps que je t'ai réservé une place dans un couvent ! Susurra-t-elle, un sourire mauvais étirant ses lèvres. Puis, elle sortit en coup de vent, claqua la porte et retourna dans sa chambre.-Ne t'en fais pas ! Murmura Mélia en caressant les cheveux d'Althéa. Jamais ton père ne la laissera faire une telle chose !-Mélia ! Rugit Cornélia, voyant que sa servante ne la suivait pas. Tu n'es pas sa nurse !-J'essaierai de revenir plus tard ! Chuchota-t-elle avant de sortir à son tour. Terrorisée, Althéa fixa la porte close un moment puis elle enfouit son visage dans son oreiller afin d'étouffer le bruit de ses sanglots. De retour dans sa chambre, Cornélia se glissa dans son lit mais fut incapable de retrouver le sommeil. Elle ne cessait de repenser à cette nuit horrible ou son mari avait prit la décision d'adopter Althéa. Ç'avait été une nuit terrible précédée par plusieurs journées dont le souvenir ne pourrait jamais s'effacer. Trois jours avant l'arrivée d'Althéa, Cornélia, qui était enceinte, avait fait envoyer chercher Morgane, l'accoucheuse du village. Elle savait que son enfant n'allait pas tarder à naître et voulait être sûre que la vielle femme serait là à temps.-Morgane ! Enfin te voilà ! S'était-elle écriée en la voyant. Voilà plus d'une heure que je t'ai envoyée chercher !-J'étais avec une femme du village ! Avait répliqué la vieille. Vous n'êtes pas la seule à attendre un enfant ! Agacée par le ton employé par Morgane, Cornélia aurait voulu la remettre à sa place vertement, pourtant elle n'en fit rien. Morgane avait une excellente réputation et, surtout, elle était la seule accoucheuse de la région ! Elle s'était donc contentée de pincer les lèvres et de l'observer du coin de l'œil. C'était une femme d'une soixantaine d'années, plutôt petite, pas plus d'un mètre soixante, mais d'une corpulence extraordinaire qui, parfois, donnait l'impression qu'elle était plus large que haute. La peau de son visage, tendue par l'embonpoint, ne laissait apparaître que quelques rides, lui donnant presque l'air juvénile, ce qui donnait un étrange contraste avec ses cheveux d'un gris terne, qui seuls attestaient de son âge.-Je sais très bien que vous avez beaucoup de travail ! Reprit Cornélia d'un ton conciliant. Mais le jour est venu et je suis très inquiète !-Hum ! Marmonna la vielle. Allongez-vous ! Elle posa une main sur le ventre de la jeune femme et lui lança un regard étonné. Je ne sens aucune contraction, quand avez-vous eu la dernière ?-Cela remonte environ à... une heure ! Murmura Cornélia gênée. -Une heure ! S'écria la vieille. Mais...cela va prendre des heures avant qu'il ne montre le bout de son nez ! Pourquoi m'avoir fait venir si tôt ?-Oh ! Morgane ! Vous le savez bien ! Souffla Cornélia les yeux débordant de larmes. J'en ai déjà perdu quatre et je ne pourrais supporter que cela se renouvelle une fois de plus.-Il faut dire que vous êtes de constitution plutôt fragile ! Lui fit remarquer Morgane. Et les petits étaient trop faibles en venant au monde ! Elle détailla Cornélia de la tête aux pieds et grimaça. La jeune femme avait alors trente ans et, bien que de la même taille que Morgane, même enceinte, elle était beaucoup plus mince et, avec ses longs cheveux blond et ses grands yeux bleus, elle ressemblait à une poupée de porcelaine dont elle avait, par ailleurs, la finesse des traits et la délicatesse.-Ne vous en faites pas ma belle ! Reprit Morgane. Cette fois-ci, on fera en sorte que ça se passe bien ! En fin d'après-midi, les choses sérieuses avaient commencées et Mélia était allé chercher Ulster, qui voulait être présent afin de soutenir son épouse dans cette épreuve, puis elle était sortie afin de préparer la chambre pour le nouveau-né.-Tout va bien ma chérie ! Ne cessait-il de répéter tout en lui appliquant une compresse d'eau froide sur le front. Encore un petit effort et ce sera fini !-La tête est sortie ! S'exclama Morgane en souriant. A la prochaine contraction, poussez de toutes vos forces et vous en aurez terminé ! Cornélia fit ce qu'elle lui avait dit et, quelques minutes plus tard, la vieille tenait l'enfant entre ses mains. A cet instant, Ulster se pencha vers l'enfant et interrogea Morgane du regard. Celle-ci secoua très légèrement la tête et Cornélia sentit son estomac se contracter douloureusement.-Il vit n'est-ce pas ? Demanda-t-elle d'une voix suppliante. Je sais qu'il vit ! Je l'ai entendu gémir !-Je suis désolée. Répondit Morgane. Ce que vous avez entendu, c'est la vie quitter son corps !-C'est impossible ! Souffla Cornélia. Impossible ! Cela ne se peut pas ! Donnez-le-moi ! Morgane jeta un regard interrogateur à Ulster mais celui-ci n'eut pas le temps de dire un mot. Donnez-le-moi ! Hurla-t-elle hystérique. Délicatement, Morgane déposa le petit corps inerte entre les bras de sa mère. C'est une petite fille ! Murmura-t-elle. Elle est si belle et si paisible qu'on pourrait croire qu'elle dort. Et puis, elle s'était mise à trembler violemment tout en serrant son enfant avec force contre sa poitrine. Un torrent de larmes avait jaillit de ses yeux et, de sa bouche grande ouverte, un hurlement terrible et sans fin s'était échappé. Elle avait hurlé et hurlé jusqu'à s'en casser la voix. Ni Ulster ni Morgane ne parvenant à la calmer, il avait envoyé Mélia chercher le soigneur qui, en lui faisant respirer une de ses potions, l'avait plongée dans le sommeil. Puis, lentement, il était parvenu à desserrer les bras de Cornélia toujours crispés autour du petit corps et l'avait donné à Morgane qui avait la tâche bien ingrate de prendre les dispositions de mise en terre, les parents ayant souvent bien du mal à s'en occuper. Le lendemain, la première chose que vit Cornélia en ouvrant les yeux fut le vieil Asgal, le soigneur. C'était un homme à l'âge indéfini, à la peau parcheminée et couverte d'un nombre incalculable de rides. Ses mains noueuses étaient croisées sur ses genoux et ses yeux bleus, emplis de douceur et de compassion, étaient posés sur elle. Voyant qu'elle s'était réveillée, il alla s'asseoir sur le rebord du lit, tout près d'elle et lui tendit un bol remplis d'une mixture oscillant entre le jaune crasseux et le verdâtre.-Je n'ai pas faim. Souffla Cornélia d'une voix morne et rauque.-Je m'en doute mon enfant. Répondit Asgal avec douceur. Mais il ne s'agit pas de nourriture, simplement d'une préparation pour faire passer les montées de lait. Il faut que tu la boives ou tu risque de beaucoup souffrir sans compter que, si ta poitrine s'infecte, tu pourrais en mourir !-Peut-être est-ce la solution ! Ainsi j'irai rejoindre mes enfants !-Il ne faut pas dire des choses aussi terribles ! Murmura-t-il en posant une main affectueuse et bienveillante sur sa joue. Tu es encore jeune, rien ne t'empêche d'essayer... !-Jamais ! S'écria Cornélia de sa voix cassée. Jamais plus je ne porterai un enfant !-Bien sur, il est encore trop tôt pour y penser. Ce que tu viens de vivre est très douloureux et... !-Cet enfant était le cinquième que je perdais, il n'y en aura pas six !-Le cinquième ? C'est vraiment très étrange ! Marmonna-t-il. Et, tous étaient mort-nés ?-Non ! Pas cette fois ! Hoqueta-t-elle le visage baigné de larmes. L'espace d'une seconde je l'ai entendu gémir mais...lorsque Morgane me l'a donnée... ! Elle ferma les yeux un bref instant et, lorsqu'elle les rouvrit, elle prit le bol des mains d'Asgal et en avala le contenu d'un trait.-Comment se fait-il que je n'en ai rien su ? Et comment as-tu fait pour faire passer le lait ?-Morgane s'est occupée de tout, comme d'habitude ! Puis elle se rallongea et ne prononça plus le moindre mot. Perplexe, Asgal se contenta de remonter ses couvertures sur ses épaules puis il posa une bouteille remplie de la mixture qu'elle venait d'avaler sur sa table de nuit et, avant de partir, il lui recommanda d'en boire un verre matin et soir pendant deux jours.-Et surtout, si tu as besoin de quoi que ce soit, envoie Mélia me chercher ! Ajouta-t-il avant de refermer la porte derrière lui. Il n'avait fait que quelques pas lorsqu'il croisa Ulster.-Alors, comment va-t-elle ?-Pas très bien. D'ailleurs, je ne suis pas sûr qu'elle parvienne un jour à s'en remettre ! Ulster le remercia puis il prit congé et se dirigea vers la chambre de sa femme. Il donna un bref coup contre la porte, entra sans même attendre de réponse, alla s'asseoir tout près d'elle et prit ses mains dans les siennes.-Je viens de croises Asgal, il m'a dit que tu n'allais pas bien. Murmura-t-il. Y a-t-il quelque chose que je puisse faire pour soulager ta peine ?-Rends-moi mon bébé !-Si seulement je le pouvais ! Reprit-il la voix empreinte d'une immense tristesse. Malheureusement... !-Je le sais ! Le coupa-t-elle. Je voudrais juste qu'on me laisse un peu de temps. Je... j'ai besoin de calme et de repos.-Je suis désolé de devoir te laisser aussi vite mais, héla, j'ai encore beaucoup à faire. Mais ne t'en fais pas, je vais t'envoyer Mélia ! Elle... !-Non ! Je préfère...j'ai besoin d'être seule ! Il pressa ses mains avec douceur, se leva, déposa un léger baiser sur son front et sortit. Les jours qui suivirent, la volonté de Cornélia fut respectée. Un silence si profond régnait au château qu'on aurait pu entendre une mouche voler. Mais un soir, alors qu'elle sentait enfin le sommeil la gagner, une agitation inhabituelle attira son attention.-Mais que se passe-t-il à la fin ! Pourquoi font-ils autant de bruit ? Maugréa-t-elle. Ils savent pourtant que j'ai besoin de repos ! Mélia ? Appela-t-elle. La jeune fille disposait d'une petite chambre accolée à celle de sa maîtresse afin de répondre aussi vite que possible à ses demandes. Mais où a encore bien pu passer cette idiote écervelée ? Grinça Cornélia voyant qu'elle ne venait pas. J'imagine qu'il a falloir que j'aille voir par moi-même ce qui se passe ! Elle se leva donc pour la première fois depuis plusieurs jours, enfila ses pantoufles et sa robe de chambre et sortit. Elle arpenta un nombre incalculable de couloir avant d'arriver enfin devant le grand escalier central. Elle se pencha légèrement par-dessus la rambarde et vit son mari, entouré par la quasi-totalité de leurs serviteurs.-Quelqu'un aurait-il l'obligeance de m'expliquer ce qui se passe ? Lança-t-elle avec humeur. Toutes les têtes se tournèrent vers elle et Ulster lui adressa un sourire éclatant.-Cornélia, ma chérie ! Je suis désolé que nous t'ayons réveillée !-Je ne dormais pas !-Descend, il faut que je te montre quelque chose ! Elle hésita quelque secondes puis fit ce qu'il lui demandait et s'approcha de lui. Alors, les serviteurs s'écartèrent et elle vit qu'il tenait une couverture serrée contre lui. Regarde ! Murmura-t-il en écartant les pans de la couverture. Elle baissa les yeux et découvrit un petit visage aux joues roses et potelées complètement chauve. -Que...qu'est-ce que c'est ?-Mais...c'est un bébé voyons ! Répliqua Ulster effaré. -Je le vois bien ! Grinça Cornélia. Qu'est-ce que cette...chose fait ici ? D'où vient-elle et surtout que fait-elle dans tes bras ?-Je te présente Althéa, notre fille ! Lança-t-il avec fierté. Cornélia sursauta violemment et recula d'un pas. Lentement, elle releva la tête et fixa son mari, hébétée. Ses lèvres étaient pincées et son visage fermé.-Elle est belle n'est-ce pas ? Demanda Morgan, un sourire radieux illuminant son visage rondouillard. Elle vient d'un village voisin ! Ses parents, les pauvres gens, ont déjà douze filles et ils étaient désespérés parce qu'ils ne savaient pas ce qu'ils allaient pouvoir faire pour en nourrir une de plus ! C'est alors que j'ai pensé à vous ! Je suis venu voir votre époux qui a tout de suite accepté d'adopter la petite. Quand à ses parents, ils étaient vraiment soulagés de savoir qu'elle ne manquerait de rien et ils étaient encore plus heureux lorsque je leur ai donné une bourse bien remplie !-Vous... vous avez donné de l'argent à ces gens en échange de leur enfant ? Hoqueta Cornélia horrifiée. Et ils ont accepté ! Ulster ! Comment as-t-u pu...acheter un enfant ?-Je ne l'ai pas achetée ! Répliqua-t-il déçu par la réaction de sa femme. Et la bourse qui leur a été offerte ne l'était pas en paiement mais en remerciement pour le cadeau inestimable qu'ils nous ont fait !-Tu vas immédiatement ramener ce...bébé chez ses parents ! Ordonna-t-elle à Morgane. Et tu leur dire qu'ils peuvent garder l'or !-Mais... ! Commença Morgane.-Il n'en est pas question ! Intervint Ulster. Cette enfant est à présent la nôtre et nous allons la garder !-Cette...chose n'est pas ma fille et ne le sera jamais ! Siffla Cornélia.-Elle l'est et il faudra bien t'y faire ! Répliqua Ulster avec autorité.-Jamais ! Hurla-t-elle. Il n'est pas question que j'élève un enfant que je n'aurais pas porté et mis au monde !-Mais pour ce faire, il faudrait que tu sois capable de donner naissance à un enfant qui survive plus de quelques secondes ! Grinça-t-il. A ces mots, Cornélia recula, une main crispée sur son cœur. Elle avait la sensation de manquer d'air et n'aurait pas ressenti douleur plus terrible s'il l'avait violemment frappée. Soudain, elle réalisa que tous leurs serviteurs étaient encore là et que tous la fixaient, atterrés. Elle se redressa donc et releva la tête avec dignité.-Très bien ! Lança-t-elle froidement. Si telle est votre volonté, gardez donc cette enfant ! Mais sachez qu'il vous faudra lui trouver une nurse car il n'est pas question que j'en ai la charge ne serait-ce qu'une minute ! Puis elle tourna les talons, remonta les escaliers et retourna dans sa chambre. Elle avait bien remarqué la peine dans on regard lorsqu'elle s'était mise à le vouvoyer mais elle n'en avait que faire. Ce qu'il venait de lui faire, de lui dire était impardonnable ! En plus de lui avoir brisé le cœur, il l'avait humiliée devant leurs serviteurs alors, en se détachant ainsi de lui, elle lui avait signifié qu'il n'avait plus le moindre intérêt à ses yeux. Plusieurs jours durant, ils ne s'étaient pas adressé la parole, Cornélia ayant même décidé de prendre tous ses repas dans sa chambre. Et, au bout d'une semaine, c'est Ulster qui était venu frapper à sa porte.-Bonjour Cornélia. Elle leva les yeux, ébaucha un sourire froid et retourna à sa lecture. Il s'avança vers elle, lui retira doucement son livre des mains et s'assit face à elle. Écoute ! Je suis vraiment désolé pour tout ce que j'ai pu te dire l'autre soir, mais ta réaction de rejet envers cette enfant a été une telle surprise pour moi ! Je pensais réellement te faire plaisir en remplaçant... !-En remplaçant ! Le coupa-t-elle furieuse. Comment as-tu pu imaginer ne serait-ce qu'une seconde qu'il était possible de remplacer mon enfant décédé ? Ce n'était pas un cheval ni un chien mais mon bébé que j'ai sentit grandir et bouger en moi et que, finalement, j'ai mis au monde ! Ceci mis à part, êtes-vous parvenu à trouver une nourrice pour votre fille ?-Morgane m'en a recommandé une !-Cette chère Morgane ! Lança Cornélia d'une voix acide. Toujours aussi serviable !-Cornélia, pardonne-moi, je t'en prie !-Vous pardonner ? Que voudriez-vous que je vous pardonne ? N'étant pas apte à vous assurer une descendance, il est tout à fait normal que vous ayez pris les choses en main ! Toutefois, il est regrettable qu'il n'y ait eu qu'une fille de disponible ! Mais qui sait, la prochaine fois vous aurez peut-être plus de chance et Morgane vous trouvera un garçon !-Puis-je espérer te voir à l'heure du repas ? Se contenta-t-il de demander.-Pourquoi pas ! Répondit-elle avant de se replonger dans son livre. Il avait donc quitté la pièce sans qu'elle lui accorde le moindre regard. Quand Althéa eut six mois, la nourrice fut remplacée par une nurse et ce n'est que lorsqu'elle attrapa l'âge de cinq ans que, pour la première fois, elle vit sa mère. Ayant reçu un minimum d'éducation, elle était capable de bien se tenir à table et pouvait donc partager les repas de ses parents.-Que fait-elle ici ? Demanda Cornélia en la voyant arriver.-Il est temps pour elle de partager nos repas ! Répondit Ulster.-Si vous le dites ! Siffla Cornélia en lançant un regard venimeux à l'enfant.-Papa, c'est qui la belle dame ? Chuchota Althéa à l'oreille de son père.-C'est ta maman ma chérie !-Je ne suis pas sa mère ! S'emporta Cornélia. Et vous le savez très bien !-Que tu le veuilles ou non, tu es sa mère et il n'y a pas à revenir dessus ! Cria Ulster en tapant du poing sur la table. D'un geste brusque, Cornélia s'était levée, renversant sa chaise, puis elle avait quitté la pièce en claquant la porte avec rage.A présent trop énervée pour parvenir à s'endormir, Cornélia se leva, ouvrit ses volets et regarda les étoiles qui, ce soir-là, brillaient avec une intensité inhabituelle. De son côté, Althéa qui avait fini par se calmer, ne parvenait toujours pas à comprendre pourquoi sa mère la haïssait à ce point. Elle s'assit dans son lit et regarda les ombres que la lueur de sa bougie faisait danser sur les murs. Elle se souvenait de la première fois où elle avait vu sa mère. Elle l'avait trouvée si belle mais aussi tellement froide et dure avec elle. D'une indifférence telle que, ce jour-là, elle avait même refusé de partager son repas avec elle ! Ce n'est que quelques jours plus tard qu'elle était réapparue, mais bien vite, ces repas de famille étaient devenus, pour Althéa, une véritable corvée, Cornélia ayant toujours une remarque désobligeante à lui adresser.-Vous rendez-vous compte qu'elle ne sait même pas tenir convenablement une fourchette ! Si j'avais envie de manger avec des paysans, j'irais dans le village le plus proche ! Lança-t-elle méchamment.-Elle n'a que cinq ans ! Répliqua son père. Et pour ma part, je trouve qu'elle s'en sort de façon tout à fait honorable ! Furieuse d'être ainsi contredite, elle avait fait remarquer qu'elle ne se tenait pas assez droite, puis que ses bouchées étaient trop grosses ou trop petites mais à chaque fois, son père prenait sa défense avec calme mais fermeté.-Et regardez-moi ces cheveux ! Lança-t-elle un jour. Ce noir est d'un sinistre ! Sans compter que cette couleur est d'un commun ! D'une vulgarité ! Mais après tout, c'est une couleur qui domine surtout chez les paysans et les serviteurs ! Et regardez-moi ses yeux ! Ils sont jaunes ! A-t-on jamais vu d'yeux d'une couleur aussi atroce, hormis chez certains animaux ?-Cornélia tu vas trop loin ! Siffla Ulster hors de lui en voyant deux grosses larmes rouler sur les joues de sa fille. Contrairement à ce que tu penses, Althéa est une enfant superbe ! Ses cheveux sont brillants et soyeux et, si tu avais pris la peine de regarder ses yeux de plus près, tu aurais remarqué qu'ils sont ambrés et que, contrairement aux tiens, ils ne reflètent que gentillesse et amour ! Puis il s'était levé, l'avait prise dans ses bras et l'avait consolée. Par la suite, jamais plus Cornélia n'avait fait de remarques désobligeantes, du moins, pas devant elle. Souvent elle les avait entendus se disputer et même une fois, Ulster avait menacé de répudier Cornélia si elle s'avisait de lui faire à nouveau du mal. Les repas étaient devenus plus tranquilles mais pas plus agréables, les deux adultes évitant de s'adresser la parole. Et puis, elle souffrait beaucoup du manque d'affection. Jamais sa mère ne venait l'embrasser ou lui lire une histoire le sir avant de s'endormir. Son seul compagnon était un gros chat un peu paresseux qu'elle avait trouvé, un jour, installé sur son lit. Elle ignorait d'où il venait et s'il avait un maître et s'en moquait car lui, au moins, lui manifestait intérêt et affection. Cette même année, dès la fin des beaux jours, son père avait fait venir un précepteur. Il était plutôt grand, très maigre, toujours habillé de noir et ne souriait jamais. Ulster lui avait expliqué que cet homme à l'allure sinistre était là pour lui enseigner l'art de la lecture, de l'écriture et des mathématiques, entre autres choses et que, dorénavant, elle devait lui obéir en tout point et que, par la même occasion, elle partagerait ses repas dans la salle d'étude. Alors, pour faire plaisir à son père et malgré la peur que lui inspirait l'homme, Althéa travaillait sans relâche ce qui lui avait valu, à son grand étonnement, de multiples félicitations et encouragements de la part de son précepteur. Petit à petit, elle avait fini par se rendre compte que, sous ses airs froids et sinistres, c'était un homme d'une grande gentillesse et d'une patience infinie. Elle s'était mise à attendre avec impatience l'heure à laquelle ses cours commençaient et avait fini par haïr les fins de semaine et les deux longs mois de vacances pendant lesquels il s'absentait. Il faut dire que c'est aussi dans ces moments-là qu'elle devait partager ses repas avec ses parents ! Sa mère, égale à elle-même, était toujours aussi froide et distante et ne cessait de lui adresser des regards meurtriers mais ce qui avait changé et qui la faisait grandement souffrir, c'était la quasi-indifférence de son père à son égard. Il ne lui adressait la parole qu'à de très rares occasions et, depuis presque un an, il ne venait plus l'embrasser le soir après qu'elle se soit mise au lit. C'était comme ses nurses ! Depuis qu'elle avait cinq ans, aucune d'elles n'étaient restées plus de quelques mois et, sans qu'elle sache pour quelle raison, elle s'était rendu compte qu'elles avaient peur d'elle. Ne sachant trop que faire ni à qui en parler, elle avait pris le parti d'aller vois son précepteur.-Monsieur, vous savez pourquoi elles ont peur de moi ? Demanda-t-elle.-Mais qui peut bien avoir peur de toi mon enfant ? -Mes nurses ! Je suis pourtant très sage et je ne fais que très peu de bêtises, alors pourquoi ?-Peut-être est dû à la couleur si particulière de tes yeux ! Finit-il par répondre après un long moment de réflexion. Je ne vois que ça !-Oui ! Maman aussi les détestes ! Elle dit qu'aucun être humain normal ne peut avoir des yeux jaunes !-Moi, je ne les trouve pas jaune ! Répondit-il en lui adressant un sourire. En fait, je trouve leur couleur merveilleuse ! Ils me rappellent celle du miel que ma mère me donnait lorsque j'étais enfant et que j'étais malade. Ils en ont la douceur, l'éclat et la chaleur. Personnellement, je les trouve magnifiques ! »En l'entendant parler ainsi, Althéa avait sentit son cœur se gonfler d'amour pour cet homme qu'elle aurait tant aimé avoir pour père. Mais pour l'heure, elle était seule dans sa chambre, le cœur encore palpitant à cause de l'horrible cauchemar qu'elle venait de faire. Elle aurait tant aimé que quelqu'un la prenne dans ses bras et la rassure en lui caressant les cheveux mais tout ce à quoi elle avait droit, c'était les réprimandes de sa mère. Cela faisait maintenant bien six mois que, presque toutes les nuits elle faisait le même cauchemar. Au début, elle dormait paisiblement dans son grand lit douillet et puis, soudain, elle se retrouvait dans un endroit terrifiant, sombre et où tout semblait mort. Seule une brume blanchâtre et persistante donnait un semblant de vie et de couleur à l'endroit. Et puis soudain, au loin, une ombre bougeait et, attirée par une force qu'elle ne pouvait contrôler, elle s'en approchait.-C'est pour bientôt ! Sifflait alors une voix métallique qui émanait de l'ombre. Terrifiée, Althéa se figeait, incapable de faire le moindre geste. Et, à chaque fois, c'est cet instant que choisissait l'ombre pour se ruer vers elle et tentait de l'agripper de ses mains immenses terminées par de longues griffes acérées. Elle ressentait alors une douleur si intense au niveau de la petite cicatrice qu'elle avait sur le bras, qu'elle se réveillait, la main crispée à l'endroit même où la créature avait tenté de l'attraper. Au début, quand elle avait commencé à faire ce cauchemar, elle n'avait ressenti que quelques picotements mais à présent elle avait la sensation que son bras allait se déchirer et s'ouvrir en deux. Un jour, alors qu'elle n'avait que sept ans, elle avait demandé à son père d'où lui venait cette cicatrice et il lui avait répondu que, lorsqu'elle n'était encore qu'un bébé, un chat l'avait griffée. Mais étrangement, ce jour-là, sa voix manquait de conviction et son regard fuyant l'avait amenée à douter de la parole de sa parole. Aussi, dès qu'elle en avait eu l'occasion, elle s'était précipitée dans sa chambre et avait examiné son bras dans un miroir. Elle y avait vu trois traits fins, parallèles et légèrement incurvés qui pouvait effectivement ressembler à une griffure de chat et pourtant... Plus tard, quand elle avait commencé à faire ce cauchemar effrayant et que son père lui avait demandé de façon insistante de lui raconter ses visions, elle avait toujours répondu qu'elle n'en gardait aucun souvenir, juste une sensation de peur intense. Et jamais non plus elle ne lui avait parlé des douleurs de plus en plus violentes qu'elle ressentait au niveau de sa cicatrice. D'ailleurs, elle n'en avait parlé à personne, même pas à son précepteur. Elle l'aimait énormément et redouté qu'à son tour il n'ait peur d'elle et refuse de revenir. Finalement, elle se rallongea dans son lit et bailla. Elle était épuisée mais la peur qu'elle ressentait était si puissante qu'elle l'empêchait de fermer l'œil jusqu'au lever du soleil, heure à laquelle la créature cessait de se manifester. Elle se leva sans faire de bruit, s'approcha de la fenêtre et écarta le lourd rideau qui la recouvrait. L'éclat de la lune et des étoiles était à présent pratiquement imperceptible, occultée par la douce lueur jaune pâle du soleil levant. Rassurée, Althéa laissa retomber le rideau et se glissa sous ses couvertures où elle ne tarda pas à s'endormir. Au même moment, Cornélia, elle, se faisait apporter son petit-déjeuner au lit. Mélia déposa le plateau chargé de nourriture sur la table de nuit et alla tirer les rideaux.-Il fait vraiment très beau aujourd'hui madame ! Désirez-vous déjeuner sur la terrasse ?-Non ! Pas aujourd'hui ! Prépare seulement mes affaires et laisse-moi !-Bien madame ! Mélia se dirigea vers l'immense armoire non sans jeter un regard en coin à sa maîtresse et l'air satisfait qu'elle affichait ne la rassura pas. Elle prit une jolie robe bleue pale agrémentée d'une dentelle fine et délicate et la posa au pied du lit avant d'y ajouter une paire de chaussures et une ombrelle assorties.-Madame a-t-elle encore besoin de moi ? Demanda-t-elle. Cornélia se contenta de faire un geste de la main pour lui signifier son congé et elle sortit. Alors, comme elle le faisait tous les dimanches, elle découpa deux petites brioches, les enduit de confiture et les mangea avec une délectation toute particulière avant de boire un jus d'oranges pressées du matin. Puis elle alla faire un brin de toilette et, contrairement à ses habitudes, elle s'habilla et se coiffa elle-même. Une fois prête, elle admira sa silhouette dans le grand miroir de sa chambre et se dirigea vers le bureau de son mari où elle savait le trouver.-Ma chérie ! S'exclama-t-il ravi. Tu es bien matinale et très en beauté ! Que me vaut la joie de ta visite ?-Vous ne vous en doutez pas un peu ? Demanda-t-elle en s'asseyant face à lui. Comme il ne répondait pas, elle fit mine de défroisser la dentelle de ses poignets puis lui adressa un sourire radieux. Comme vous le savez, Althéa vient d'avoir dix ans et, comme le veut la coutume, il est temps pour elle de rejoindre le couvent de votre choix afin de parfaire son éducation et de faire d'elle une épouse convenable.-Non ! Se contenta de répondre Ulster.-Comment ça, non ?-Il n'est pas question d'envoyer Althéa dans un couvent ! Elle n'en a pas besoin puisqu'elle dispose d'un précepteur !-Il serait pourtant bon pour elle de fréquenter des jeunes filles de son âge et de sa condition qui seront plus à même de lui montrer ce que sont les bonnes manières ! Quoique, à bien y réfléchir, je doute que la fille d'un vulgaire paysan puisse un jour avoir de bonnes manières, même si pour cela vous dépensez des sommes faramineuses ! -Althéa ne quittera pas le château et je ne le répéterai pas !-Pourquoi ? S'écria Cornélia. Du jour où vous avez eu cette enfant, vous n'avez eu de cesse de me contrarier ! Et je n'ai plus eu la moindre importance à vos yeux !-Si mes souvenirs sont bons, c'est toi qui as mis de la distance entre nous en commençant par me vouvoyer puis par m'interdire l'accès à tes appartements. Tu es l'unique responsable de cette situation !-Je ne comprends pas ! Grinça-t-elle en se mettant à faire les cents pas devant son bureau. Vous ne la voyez que le dimanche, aux heures des repas et les deux mois où son précepteur est absent ! Malgré tout, vous ne lui accordez pas la moindre attention ! Alors pourquoi ?-Parce que telle est ma décision ! Répliqua Ulster avant de se replonger dans ses papiers. Alors, elle s'arrêta devant son bureau, posa ses deux mains à plat et se pencha légèrement en avant.-Très bien ! Dans ce cas je vous conseille de trouver quelqu'un qui sera capable de s'occuper d'elle et surtout de l'empêcher de hurler toutes les nuits, sinon... !-Sinon quoi ? Demanda-t-il une lueur menaçante au fond des yeux. Elle se redressa, lissa sa robe et lui adressa un sourire angélique.-Je ne sais pas moi, mais un accident est si vite arrivé ! Ulster se leva si brusquement que son fauteuil fut projeté sur le sol puis il fondit sur elle et agrippa ses poignets.-Si vous osez toucher à ma fille je vous... !-Vous quoi ? Hurla-t-elle en se dégageant brutalement. Il serait peut-être temps que vous aussi vous vous souveniez de votre condition ! Vous n'êtes qu'un vassal de mon père ! Un vulgaire châtelain parmi tant d'autres qui a eu la chance que je m'intéresse à lui ! Elle s'éloigna, ouvrit la porte et se tourna vers lui, le visage déformé par la rage. Faites ce que bon vous semble avec cette gamine mais trouvez une solution dans les plus brefs délais ! Lança-t-elle avant de claquer la porte. Épuise, Ulster retourna s'asseoir derrière son bureau et ferma les yeux. Lycos, son beau-père, lui avait donné raison lorsqu'il avait su pour l'adoption, même s'il avait regretté que son choix se porte sur une fille. Après tout, si sa femme ne pouvait lui assurer une descendance, il était naturel qu'il pallie à cet inconvénient par tout moyen à sa disposition ! Mais il était clair que jamais il n'accepterait que sa fille soit menacée et encore moins molestée, même par son époux. Il rouvrit les yeux, soupira et tira sur le cordon qui se trouvait à sa droite ; Presque aussitôt la porte s'ouvrit et un homme entra.-Ah ! Orin ! Tu as fait vite ! Tu vas aller aux écuries faire atteler une calèche et envoyer un serviteur chercher Asgal ! Et dès qu'il sera là, conduis-le ici !-Bien monsieur. Dit le majordome en se dirigeant vers la porte. Monsieur ?-Oui ?-Est-ce que...pardonnez mon indiscrétion mais...monsieur serait-il malade ?-Non Orin, je vais très bien, mais je te remercie de t'en soucier ! L'homme dut se contenter de cette réponse et sortit afin d'exécuter les ordres de son maître. Un peu moins d'une heure plus tard, la calèche était de retour et Orin conduisait Asgal dans le bureau d'Ulster.-Asgal ! Je vous remercie d'avoir répondu aussi promptement à mon invitation !-Hé bien...il semblerait, d'après votre serviteur, que vous m'attendiez de toute urgence !-Monsieur a-t-il encore besoin de mes services ? Demanda Orin.-Non, tu peux nous laisser ! Bien, à présent que nous voilà seul, je vais vous expliquer la raison pour laquelle je vous ai fait venir. Depuis environ six mois, Althéa fait d'horribles cauchemars, Je voudrai que vous l'examiniez et que vous me disiez si quelque chose ne va pas chez elle !-Entendu ! Je vais donc aller la voir immédiatement ! Où se trouve-t-elle en ce moment ?-Probablement dans sa chambre ! Lorsque son précepteur ne vient pas, elle n'en sort que très rarement ! Je vais vous y faire conduire.-Ce ne sera pas nécessaire ! Je m'occupe d'Althéa depuis son arrivée ici, je sais où est sa chambre !-Dans ce cas... ! marmonna Ulster en se replongeant dans ses papiers. Asgal sortit du bureau et se rendit au pied du grand escalier et monta à l'étage. Puis, alors qu'il venait de s'engager dans un long couloir, il croisa Mélia.-Asgal ? Que fais-tu ici ? Quelqu'un serait-il malade ?-Pas que je sache mais Ulster m'a demandé d'aller voir sa fille afin de découvrir le pourquoi de ses nombreux cauchemars.-Nombreux et fréquents ! La pauvre petite pousse des hurlements à vous glacer le sang ! D'ailleurs, elle en a fait un la nuit dernière et tout ce que madame a trouvé& à faire c'est lui hurler dessus plutôt que de la rassurer ! Pourtant, on voyait bien qu'elle était terrorisée ! Je serais bien restée avec elle un moment mais madame me l'a interdit !-A-t-elle parlé à quelqu'un de ce qu'elle voit dans ses cauchemars ?-Non ! Dès qu'elle ouvre les yeux, elle ne souvient plus de rien !-Merci Mélia pour ces précieuses informations. Il continua d'avancer puis s'arrêta devant une porte. Il frappa et entra avant même d'y avoir été invité. Althéa était assise au creux d'un large fauteuil et lisait un livre. Elle n'avait pas pris la peine d'en lever les yeux, certaine qu'il s'agissait d'une servante.-Bonjour Althéa ! Lança Asgal d'un ton joyeux. Comment vas-tu ?-Asgal ! S'écria-t-elle en bondissant de son fauteuil. Quelle bonne surprise ! Son visage si triste quand il était entré rayonnait à présent de joie. Tu es venu voir quelqu'un ?-Oui, toi ! Tu veux bien venir t'asseoir, je voudrais que nous parlions. Althéa reprit sa place dans son fauteuil et Asgal en approcha un pour être face à elle. Ton père s'inquiète beaucoup pour toi et c'est à sa demande que je suis venu. Il parait que tu fais des cauchemars assez effrayants en ce moment, voudrais-tu m'en parler ?-C'est papa qui t'a demandé de venir me voir ? Demanda-t-elle tout en éludant la question. Pourquoi ? Il ne s'occupe jamais de moi !-Il a beaucoup de responsabilités et peu de temps !-Bien sur ! Il est tellement occupé ! Marmonna-t-elle cynique. Ça ne l'empêche pas d'aller chasser avec ses amis plusieurs fois par semaine et d'assister à des bals presque tous les soirs ! Par contre, il n'a même pas une minute pour venir me souhaiter une bonne nuit ! Je me demande bien pourquoi ils ont voulu m'adopter ! Cornélia me déteste et papa se fiche complètement de moi !-Pourquoi appelles-tu ta mère par son prénom ?-Elle n'est pas ma mère ! Althéa détourna la tête mais Asgal eut le temps de voir ses yeux se remplir de larmes. Elle me l'a, une fois de plus, très clairement expliqué la nuit dernière !-Hum...Oui ! Je comprends ! Et... si on en revenait à tes cauchemars ? Elle le fixa et pencha légèrement la tête sur le côté.-En fait, il n'y a pas grand-chose à en dire ! Lâcha-t-elle après une brève hésitation. Tout ce dont je me souviens c'est que je suis toute seule et dans le noir !-Dis-moi Althéa, que fais-tu de tes journées ?-La plupart du temps, je lis ! Asgal se leva et lui caressa les cheveux.-Je vais devoir y aller ! Lui dit-il en se dirigeant vers la porte.Comme tous les autres ! Murmura-t-elle avant de se replonger dans son livre. Asgal la regarda et vit que toute joie avait de nouveau quitté son visage pour faire place à la tristesse.'Pauvre enfant ! Pensa-t-il. Personne ici ne semble lui porter la moindre attention ! Pas étonnant qu'elle fasse des cauchemars !' Arrivé devant le bureau d'Ulster, il frappa et attendit qu'on l'invite à entrer.-Alors ? Demanda Ulster dès que la porte fut refermée.-Cette petite se sent très seule, il lui faudrait de la compagnie !-De la compagnie ? Mais...elle n'en manque pas avec tout le monde qui circule dans ce château !-Une servante qui vient faire sa chambre ou lui porter son repas n'est pas une compagnie ! Il lui faut quelqu'un avec qui elle puisse parler, se promener, quelqu'un qui s'intéresse à elle et qui soit disponible à plein temps !-Vous voulez dire une nurse ?-Je pensais plutôt à une dame de compagnie ! Elle a passé l'âge d'avoir une nurse !-Et...vous pensez que cela suffirait à calmer ses cauchemars ?-J'en suis persuadé !-Oui ! Le plus compliqué maintenant va être de trouver quelqu'un ! Le personnel du château est déjà fort occupé et je doute qu'une femme venant d'un des villages environnants accepte tiendrait du miracle !-Pourquoi cela ? Je suis sûr qu'au contraire elles se battraient pour avoir la place !-Pas si c'est pour s'occuper d'Althéa. En quatre ans, nous avons changé de nurses une bonne vingtaine de fois !-Je ne comprends pas ! Cette petite est pourtant une enfant très sage et attachante !-Je suis étonné que vous ne sachiez pas ce qui se dit sur ma fille ! Alors je vais me faire un devoir de vous l'expliquer ! Il y a à peu près quatre ans, ma femme a eu l'idée quelque peu étrange de raconter à l'une de ses amies dotée d'une servante à la langue particulièrement bien pendue, qu'Althéa était le fruit de l'union d'un démon et d'une sorcière et que c'était pour cette raison que la couleur de ses yeux était si particulière ! Comme vous pouvez l'imaginer, moins d'une semaine plus tard l'histoire avait fait le tour du royaume ! Mon beau-père, notre roi, m'a même fait parvenir une missive m'enjoignant de m'expliquer sur les origines de ma fille !-Quelle absurdité ! Mais je comprends pourquoi je n'en ai jamais entendu parler ! Si ces imbéciles étaient venu me rapporter pareilles fadaises ils savaient qu'ils se seraient fait recevoir comme ils le méritaient ! Il existe quand même bien quelqu'un qui ne croit pas à ces bêtises !-Il y a bien Mélia mais elle est la servante attitrée de Cornélia depuis plus de vingt ans et je doute fort que mon épouse accepte de s'en séparer surtout au profit d'Althéa ! Je pourrais l'y contraindre, bien sûr mais nos relations se sont tellement dégradées ces dernières années que je ne me sens pas le courage d'en rajouter ! Et puis...je l'aime toujours vous savez et je ne veux pas lui faire davantage de peine !-Évidemment ! Dans ce cas, vous pourriez vous servir de votre autorité pour faire venir quelqu'un !-Je le pourrais, oui ! Murmura-t-il d'une voix lasse. Mais ne m'avez-vous pas dit qu'Althéa avait besoin d'une personne avec qui elle se sente bien ? Je ne pense pas qu'il soit possible de développer une relation de confiance avec quelqu'un que l'on oblige à rester ! Pourtant, si je ne trouve personne, Cornélia va exiger une fois de plus que j'envoie Althéa dans un couvent et je ne pourrai pas m'y opposer ! Et le pire, c'est Qu'elle devra y rester jusqu'à ce qu'elle soit en âge de se marier !-Ce serait une catastrophe ! Cette enfant a besoin d'affection pas de se sentir davantage rejetée ! D'ailleurs, à ce propos, si je peux me permettre...vous lui manquez beaucoup et si vous pouviez ne serait-ce que passer l'embrasser le soir avant qu'elle ne se couche, je suis sûr qu'elle en serait ravie !-C'est elle qui vous l'a dit ?-A peu de choses près, oui !-Je reconnais que je l'ai beaucoup négligée ces derniers temps ! Très bien ! J'irai la voir dès ce soir mais cela ne résous pas mon problème pour autant !-Je ne vous promets rien mais il se peut que je connaisse une personne qui pourrait convenir !-Qui ? S'empressa de demander Ulster.-Une femme qui se nomme Galathée et qui ne se laissera pas influencer par des ragots de couloirs !-Pourquoi ne pas m'en avoir parlé tout de suite ?-Hé bien... Galathée n'est pas quelqu'un de très docile, elle est dotée d'un fort caractère et a une fâcheuse tendance à dire tout ce qu'elle pense avec une franchise qui, pour certain, frise l'insolence !-Si elle est d'accord pour venir au château s'occuper d'Althéa, je pense pouvoir fermer les yeux sur ce genre de détail ! En tout cas, jusqu'à aujourd'hui, je n'avais jamais entendu parler d'elle. Dans quel village vit-elle ?-Aucun ! Elle habite une cabane au milieu de la forêt depuis une cinquantaine d'années !-Pardon ? Seriez-vous en train de me suggérer de laisser ma fille entre les mains d'une vieille ermite qui, en plus, doit être complètement gâteuse !-S'il est vrai que Galathée est plutôt âgée elle est loin d'être gâteuse ! Répliqua Asgal avec humeur.-Bien ! Capitula Ulster. De toute façon, je n'ai pas le choix ! C'est entendu ! Orin va vous conduire jusque chez elle en calèche et il la ramènera ! Et surtout, dis-lui qu'elle sera grassement dédommagée pour ce travail ! Ajouta-t-il en tirant sur le cordon. Orin arriva dans la minute et, lorsque lui eut expliqué ce qu'il attendait de lui, il partit en compagnie d'Asgal.'Je n'ai pas l'impression qu'il ait vraiment compris ce qui l'attend avec Galathée !' Pensa Asgal. Il monta dans la calèche et, presque deux heures plus tard, ils s'arrêtèrent devant une jolie petite maison.-Il serait préférable que ce soit moi qui lui parle ! Reprit Asgal en frappant à la porte.

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⏰ Last updated: Feb 26, 2020 ⏰

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La créature des LymbesWhere stories live. Discover now