1. Le forgeron

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Alban jeta de l'alcool afin de relancer le feu de la forge. Les flammes jaillirent, projetant sur lui une vive chaleur. Dans le brasier qui renaissait, il revit l'incendie qui avait englouti sa maison. Les souvenirs le frappèrent de plein fouet. Des gardes, portant les insignes de la royauté, leurs casques éclaboussés de sang frais, leurs épées couvertes des vies qu'ils avaient prises. Il revit les capes noires flotter à l'horizon, les abandonnant son frère et lui dans un chaos qui l'empêchait encore de dormir la nuit. Ses poils se hérissèrent mais il passa outre. Voilà des années qu'il vivait avec et il s'était fait à cette fatalité.

— Vous !

Alban se retourna et dévisagea l'inconnu qui venait de le tirer de ses songes ; potelé et essoufflé, il se tenait à l'entrée du hangar. Le jeune forgeron en déduisit qu'il s'agissait d'un domestique choyé de la Haute, à l'étoffe émeraude de ses vêtements. Tout ce qu'il détestait.

— Vous êtes bien le maître d'armes ? s'enquit ce dernier en s'enfonçant dans la bâtisse.

— Oui, c'est bien moi, répondit Alban.

Le jeune brun retira le fer à cheval du feu, le plongea dans un seau d'eau fraîche et y abandonna sa pince. Puis, au milieu de la fumée, il se leva de son tabouret et essuya ses mains charbonneuses avec le torchon posé sur son épaule.

— Mon maître requiert votre présence pour une leçon d'épée, expliqua le nouveau venu en étirant son col, pris de chaleur.

Alban, lui, s'était habitué à l'atmosphère étouffante de la forge, à la caresse brûlante du four. Il s'épongeait simplement le front de temps à autre. Ce faisant, il questionna :

— Quand souhaiterait-il s'entraîner ?

— Cet après-midi !

Alban lança un regard au propriétaire de l'atelier, posté dans la pénombre.

— Va, gamin ! T'as fait ta part pour aujourd'hui, grommela ce dernier.

Alban hocha la tête, reposa les yeux sur le visage rond et rougi de son interlocuteur.

— Accordez-moi une minute.

— Très bien. Je vous attends dehors, toussota le valet.

Le robuste brun rangea les outils dans les niches taillées à même la pierre. Après avoir accroché soigneusement son tablier, il le troqua contre son manteau en laine et salua son chef en rejoignant l'extérieur :

— À demain, ledare.

Il récupéra son fleuret, remit sa ceinture et y glissa l'arme. L'homme en vert se réjouit de sa prompte sortie.

— Bien, allons ! Ce n'est guère loin. Avez-vous un cheval ?

— Non.

— Vous me suivrez à pied, en ce cas.

Le messager monta grossièrement sur son cheval, souffla comme un bœuf, rentra le menton et sourit faussement.

— Pouvez-vous... ?

Il désigna la barre d'attache, où étaient encore nouées les rênes. Alban leva les yeux au ciel, mais s'exécuta docilement. La vie lui avait appris à courber le dos. Il tenait à sa place à Falun, nul incident ne devait compromettre sa réputation.

Le valet, ballotté sur son petit alezan, s'engagea sur la route.

— Ai-je, au moins, le droit de savoir qui est mon client ? s'intéressa Alban en le suivant.

— Le comte de Främby.

— Le comte ? répéta le forgeron, incrédule.

— Tout à fait !

Reine & Cavalier T1Où les histoires vivent. Découvrez maintenant