2. L'héritière de la dynastie Vasa

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Au moment chaotique du passage du pont-levis, Kristina re- poussa le rideau du carrosse royal afin de juger sa nouvelle de- meure. La princesse avait passé ses jeunes années à Stockholm, mais les révoltes du peuple avaient poussé Axel Oxenstierna, le chancelier, à organiser un repli au château de Gripsholm, à l'aube de sa majorité.

La résidence, un îlot de tranquillité et d'élégance, située sur le lac Mälar, aurait fait rêver n'importe quelle jouvencelle... mais Kristina ne rêvait plus. Au contraire, elle fut prise d'une nostalgie sans précédent. La façade arrondie, les toits en coupoles, l'harmonieux quatuor de tours... Le moindre de ces éléments avait été rénové par Gustave-Adolphe, dans le même style que les châteaux de Kalmar, d'Uppsala, d'Örebro et de Vadstena. Loin de la charmer ou de la rassurer, ces murs lui rappelaient l'irrémédiable absence de son père.

Le cortège s'engagea sous le porche en briques orangées et les sabots des chevaux claquèrent sur le sol pavé de l'allée.

Lorsque le silence s'installa, l'héritière retint un soupir. La porte ne tarda pas à s'ouvrir sur le visage disgracieux de son régent. Il tendit sa main nue, aida la vieille gouvernante Ida à descendre. Puis ce fut au tour de Kristina, qui ignora la galanterie d'Oxenstierna tout en enfilant ses gants.

L'air frais la frappa, fit virevolter une mèche rebelle. Elle réa- justa son châle en laine sur ses épaules et défroissa ses jupons en satin blanc d'un geste négligent.

— Était-ce si nécessaire ? s'enquit-elle en analysant la bâtisse aux maintes fenêtres.

— Votre père m'a fait promettre de placer votre sécurité au sommet de mes priorités, rappela Oxenstierna en croisant les bras dans son dos.

— Ici ou à Stockholm, mes gardes ne sont-ils pas tout autant nombreux ?

— Il semble qu'il soit tard pour vous en soucier, Kristina. Permettez ?

Il présenta son bras. Kristina s'y soumit à regret. Ils gravirent les basses marches du troisième escalier, orné d'une rambarde en pierre blanche.

Dans le hall, Catherine des Deux-Ponts, demi-sœur de feu le roi, responsable de l'éducation de Kristina depuis le départ de la mère de cette dernière, tonna :

— Montez les affaires de la princesse dans ses appartements. Ida, préparez-lui un bain, voulez-vous.

La femme pomponnée aux cheveux grisonnants et au large cou s'adressa ensuite à sa nièce :

— Christine.

Son obsession pour l'élégance à la française agaçait Kristina au plus haut point. Cependant, elle se détourna sagement de la confrontation :

— Catherine, le voyage a été quelque peu éreintant ! Qu'importe ce que vous aviez à me dire, je suppose que cela peut attendre demain.

La mince doyenne pinça les lèvres. Kristina ne lui permit pas de répondre et prit respectueusement congé de ses tuteurs. Elle ôta son châle, le plia grossièrement. Ida s'en empara vivement et suivit sa maîtresse comme son ombre, à travers les couloirs en pierre du rez-de-chaussée.

Si les cloisons en bois apportaient une certaine chaleur, le haut des murs et les plafonds floraux donnaient à Kristina l'impression de se faire écraser.

De maigres souvenirs lui revenaient des vacances passées en ces lieux. Aussi put-elle s'orienter et rejoindre sa chambre, à l'extrémité est du château, entre deux tours, face au lac.

Les valets la saluèrent d'une courbette, en haie d'honneur à l'entrée de la belle double porte en chêne. Un immense lit à baldaquin, recouvert d'épaisses couvertures colorées, trônait en face des fenêtres. L'obscurité qui s'installait avait été terrassée par une multi- tude de bougies allumées avec soin.

Reine & Cavalier T1Where stories live. Discover now