3. Du pouvoir au cœur de glace

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L'incident avait forgé le tempérament de Kristina et influencé ses premiers pas dans la gestion du pays. Elle avait tourné le dos à son peuple, qui, selon elle, l'avait trahie. Aussi s'était-elle, à contrecœur, rangée derrière les analyses d'Oxenstierna, qui ne cessait de prétendre que les hors-la-loi proliféraient, prêts à assassiner l'héritière.

Cette dernière ne se mélangeait plus qu'avec les nobles, faisant passer le confort de sa vie bien avant celui de la nation. Elle avait dû renoncer à ses escapades solitaires et s'était enfermée dans sa tour d'ocre, surplombant le lac.

Elle atteignit la majorité et la dépassa avec une colère grandissante : elle tenait les gens de l'arrière-pays pour responsables. Ils la privaient de liberté.

Elle ne voyait son royaume que sous les rapports de son chancelier et n'y portait guère plus d'intérêt. Les échos éplorés qui lui parvenaient, ne la réjouissaient pas et l'amenaient, inconsciemment, à régner d'une main de fer. Répression en maître mot, elle soumettait ses sentences et laissait Oxenstierna se charger du reste.

Cependant, si son père agissait de la sorte et en était admiré et respecté, pour Kristina, l'effet sur ses sujets fut tout autre. Ils la méprisaient. Nombreux étaient les comploteurs prêts à tout pour l'évincer du trône. Pour une fois, Oxenstierna n'exagérait pas...

Systématiquement, les journées étaient ponctuées de menaces lancées à son encontre. La plupart de temps, il ne s'agissait que de pamphlets écrits ou de manifestations dans les villages. Elle répondait aux attaques par le jeûne et la prière, mais elle avait tout de même opté pour plus de sentinelles. Non qu'elle n'eut pas la foi... Simplement, la protection divine, invisible, ne la rassurait pas autant qu'un mur de soldats.

Un jour de janvier 1645, l'agacement du peuple alla jusqu'à se presser aux portes du château : en milieu d'après-midi, les gardes s'activèrent à hauts cris. Le vacarme arracha la princesse à ses correspondances et la poussa à sortir.

— Quelle est donc la raison de toute cette agitation ? tonitrua-t- elle en descendant dans la cour.

Kristina fut surprise de voir les gardes pousser vers l'entrée la charrette des armes à feu.

— Remontez ! ordonna Oxenstierna.

— Pas tant que vous ne m'aurez pas dit ce qui se passe !

— Comte Magnus, je vous en supplie, raisonnez-la, pria le chancelier.

Un bel homme, élancé, se détacha de l'attroupement désorga- nisé. Magnus Gabriel de la Gardie n'était autre que l'un des amants de la princesse, depuis plusieurs mois. Galamment, il raccompagna Kristina en haut des marches, sans un mot. Elle posa ses doigts sur son bras, préoccupée, mais vit en lui un excellent informateur.

— Magnus, dites-moi.

Il lissa sa moustache, gêné.

— Une foule de villageois indignés s'est présentée... Pour vous provoquer.

— Parce que je suis une femme, n'est-ce pas ? Ils exigent eux aussi un roi, mon mariage, c'est cela ? soupira-t-elle. J'aurais dû naître garçon, cela m'aurait épargné les foudres de tant de gens arriérés, opposés à l'idée de bousculer leurs traditions !

— Vous vous méprenez, Kristina, la contredit Magnus en veillant respectueusement à ne point l'interrompre. Il s'agit de belligérants catholiques.

Kristina, protestante dévote, saisit diligemment le danger que cela représentait. Elle avait ouï dire que nombre de paysans s'étaient convertis, mais de là à devenir belliqueux ? Alors que, de- puis qu'elle avait été en âge de comprendre et d'ordonner que tous les croyants soient libres de pratiquer, ces prieurs de saints se trouvaient moins persécutés qu'avant ? Était-ce ainsi qu'ils la remerciaient d'années de clémence ? Qu'est-ce qui avait bien pu changer ?

Reine & Cavalier T1Where stories live. Discover now