Tableau éphémère

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Je me souviendrais toujours de ces beaux après-midi de printemps ; ces après-midi où toi et le soleil peignaient ensemble.

Le pinceau, comme un prolongement logique de ton bras, ne faisait qu'un avec ta main et se distinguait de gestes précis et réfléchis. Tu n'imagines pas à quel point j'aimais être l'unique témoin de cette chorégraphie qui s'emparait de ton poignet ; qui déguisait tes doigts en danseurs étoiles prêts à conquérir les planches ivoires de cet opéra de tissu. Ce n'était pas tant ce que tu peignais. C'était la façon dont tu peignais, avec cette aisance presque désinvolte. À ce moment, il n'y avait plus que toi et la toile. Le reste était néant. Y comprit moi, restée silencieuse dans un coin de la pièce, chanceuse d'assister à la mise en couleur même de ton âme sur le blanc qui n'attendait que ça. Oui, le reste était néant. Y compris moi. Mais je n'en avais que faire. C'était cela qui était beau ; la dévotion totale, sans compromis.

Et pendant ce temps, le soleil, lui, te peignait toi. Pénétrant par la grande fenêtre laissée entre-ouverte, sa lumière chaude texturisait tes cheveux cendrées, les parant de reflets inimitables. Il glissait le long de ton dos couvert d'un simple t-shirt blanc, sûrement sa toile à lui. Il y glissait impunément, créant parfois des ombres lorsque tes gestes se faisaient plus énergiques. Il y glissait jusqu'à rendre homogène, d'un mélange lumineux, la couleur de ta nuque et celle de ton haut.

Parfois, il arrivait que tu t'arrêtes quelques instants et je me surprenais à retenir mon souffle. Tu te tournais légèrement vers la fenêtre et tu laissais ton regard se perdre dans la contemplation, comme pour te connecter de nouveau à l'essence de ton inspiration. Et c'est dans ces moments là que le soleil donnait son dernier coup de pinceau ; sa touche finale, au cœur même de tes iris. Tes yeux bleus imbibés de ses rayons étaient pareils aux eaux limpides des lagons. Il y dansait une frénésie créatrice tourbillonnant dans des volutes bleutées ; deux aquarelles dans lesquelles on souhaiterait plonger pour ne jamais refaire surface. Malheureusement, tu finissais toujours par les reporter sur ton œuvre inachevée et le soleil, lui, finissait toujours par se coucher. L'éphémérité de ces instants laissait une place vide de mon cœur ; une place que je ne sais comment combler.

Le soleil peignait beaucoup, oui. Mais à mes yeux tu étais le plus beau de ses tableaux ; le plus éphémère de tous.  

Tableau éphémèreWhere stories live. Discover now