Part one

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Je ferme la porte d'un coup de pied rendu agile par l'habitude, et prends le temps de me déchausser avant de porter mon précieux fardeau dans le salon. Je n'essaye même pas d'être silencieux, parce que la petite tête blonde que je m'apprête à déposer sur mon canapé à le sommeil lourd, et que rien, à part son horloge interne, ne pourra le réveiller pour l'instant.

Je l'installe confortablement entre les coussins et dépose son doudou sur sa poitrine, avant de l'embrasser tendrement. Mon fils s'épuise autant qu'il m'épuise, et ça me fait le même effet tous les soirs : un élan de tendresse, inexplicablement lié à une mélancolie sourde qui ne se pointe qu'à cet instant-là, juste pour me rappeler sa présence, avant que je ne me reprenne pour vaquer à d'autres occupations.

Je traverse l'appartement dans un silence apaisant, et, après avoir entendu une vingtaine d'enfants brailler toute la journée, c'est de ça dont j'ai besoin : ce calme absolu, le temps pour moi de tourner la page de cette nouvelle journée d'école, d'arriver à rentrer chez moi, de sortir du boulot. Parce que, même si dans les faits ça fait une demi-heure que j'ai quitté mon lieu de travail, j'ai besoin de temps pour retrouver ma vie de père célibataire, besoin de quelques minutes supplémentaires pour me reconnecter à Louis, et cesser d'être Maître Louis, que l'on interpelle toute la journée pour savoir où coller une feuille d'exercice, que l'on sollicite pour refaire des lacets, que l'on fusille du regard lorsqu'il donne des devoirs.

J'aime ça, j'aime mon métier, et j'aime mon fils, évidemment, mais réussir à conjuguer mes deux vies sans flancher s'avère plus compliqué qu'il n'y paraît. Alors j'ai besoin de ce sas, cet entre-deux que me procure la fatigue de Freddie, ce moment rien qu'à moi lorsqu'on rentre de l'école et qu'il s'endort dans la voiture, cette petite heure où je peux lentement laisser tomber le costume de professeur qui me colle à la peau pour revêtir celui de papa, dans lequel je suis beaucoup moins doué, avouons-le.

Et ma journée a été particulièrement éprouvante aujourd'hui. On approche de la fin de l'année, le soleil échauffe aussi bien les salles de classe que l'excitation des élèves et les récrés sont de plus en plus sources de problèmes entre élèves. Heureusement ce sont souvent des disputes futiles ou des bobos insignifiants, mais ça reste pesant. Et les notifications de passage ne nous aident pas à maintenir le calme : chacun sait désormais qu'on lui propose de passer dans la classe supérieure, alors que nous ne sommes que début mai et qu'il reste encore six semaines d'école... Allez les maintenir concentrés avec ça !

L'eau chaude de la douche s'abat sur moi et je souffle, enfin. C'est une sorte de rituel, une bonne douche pour se débarrasser de la journée et ensuite, je serai pleinement le père de Freddie, mon attention lui revenant entièrement, mes pensées toutes dirigées vers lui, jusqu'à ce que je le couche plus tard dans la soirée et que le boulot reprenne ses droits, mon ordinateur comme meilleur ami et mes clopes comme exutoire...

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De @MedAboutYou

A @TommoTheTease

Je veux te « revoir »


C'est fou comme quatre mots de rien du tout peuvent foutre une journée en l'air... Ça doit être la dixième fois que je relis ce mail. Rien que quatre mots, clairs et nets, on ne peut plus explicites, rien d'insultant ou de dérangeant en soit... et pourtant !

Freddie me sort de la contemplation de mon portable en baragouinant à côté de moi.

- Et si tu sortais ton pouce de ta bouche, tu crois pas que ça serait mieux ?, je l'interroge en rigolant doucement. Oui, il a cinq ans et il suce encore son pouce, un problème avec ça ?

Into The DarkWhere stories live. Discover now