Le D du Destin

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Makino frotte le fond d'une tasse avec un chiffon.
Le bar est fermé, désert. Les lumières  sont presque toutes éteintes. Les chaises sont
perchées sur les tables depuis plus d'une semaine. Elle ne sait pas pourquoi elle s'acharne à laver cette pièce. Personne n'y vient. Mais elle le fait. Tous les jours, du matin jusqu'au soir. C'est une habitude, une manie qu'il faut qu'elle conserve pour garder le cap.

Le silence lui est pénible. Elle se sent seule. Elle aimerait entendre le rire joyeux des clients, sentir l'odeur du café le matin et celle de l'alcool le soir. Mais Fuchsia est en deuil. Et les rues ne sont que silence.

Encore ce matin, des larmes se sont échappées des yeux de Dadan.

Et Makino ne peut plus. Cette situation pèse lourd sur ses épaules.

La tasse est propre, sèche. Mais Makino n'arrête pas. Elle s'acharne dessus. Elle pense à Ace. Si jeune. Et à Luffy, si sensible. Sans son grand frère, comment tiendra-t-il le coup ? Un sanglot perturbe sa respiration saccadée.

Tremblante, elle continue d'astiquer la tasse, les yeux larmoyants et les épaules tressautantes. Et elle ? Que peut-elle faire, pour le petit Luffy ?

Et Shanks. A quoi avait-il servit ? Ne lui avait-il pas promis, de protéger les garçons ? Makino s'énerve. Désespérée, elle continue de penser qu'il aurait pu sauver la vie d'Ace et changer le cours de celle de Luffy.

L'horloge tourne. Il est bientôt minuit. Makino est exténuée mais pourtant, sait qu'elle n'arrivera pas à dormir paisiblement. De trop nombreuses idées noires se bousculent.

Le souvenir de la voix innocente et infantile d'Ace lui tord l'esprit et la hante : « J'aimerais bien que tu m'apprennes à remercier les gens », «..oui, tu sais c'est pour ce pirate aux cheveux roux qui s'est occupé de mon frère ».

Elle se rappelle encore de l'odeur des pollens de ce jour ensoleillé, de la sonorité du rire d'Ace et de ses jolies taches de rousseurs éparpillées sur son visage.

Shanks aurait pu le sauver. Il aurait pu. Elle en est certaine.

– Cette tasse est propre, non ?

La voix grave fait accélérer son cœur. En face d'elle est installé Shanks. Les cheveux plus longs que la dernière fois qu'elle l'a vu, le regard plus vague aussi.
Sur son visage est collé un léger sourire, légèrement attristé.

Makino lui en veut. Plus de deux ans sont passés depuis sa dernière venue à Fuchsia. Shanks promet beaucoup. Mais ne fait presque rien. Makino ne lui sourit pas.

– Tu devrais être avec Luffy.

Elle range la tasse au fond d'un tiroir. Plie le torchon en quatre et le pose sur le bar. Il soupire.

– Allons bon, c'est un grand maintenant.

Makino rit presque. Nerveusement, de désespoir. Shanks l'énerve.

– Un grand qui vient de perdre son frère.

Le capitaine ne répond pas. Makino ne pense même pas à lui offrir un verre, à l'embrasser ou à lui demander des nouvelles de Ben. Non, à ce moment là, il n'y a que les fantômes d'Ace et du sourire de Luffy qui la font tenir debout.

– Une bière s'teplait.

Sa respiration devient plus rapide. Il ne peut pas dire qu'elle a tort. Mais elle aimerait tellement, tellement qu'il lui dise qu'il aurait voulu le faire. Pourquoi ne lui explique-t-il pas ? Qu'il est arrivé trop tard ? Qu'il voulait le sauver ? Qu'il a tout fait pour ?

Makino ne prend pas la peine de remplir un verre. Elle sort une bouteille, la décapsule et la pose violemment sur le bois du bar.

– Empereur et impuissant ?

Shanks boit une longue gorgée. Capte le regard de celle qui lui a tant manqué. Ses yeux sont éteints, cernés. Vides. Mais le pirate ne cède pas pour autant.

– Impuissant face à la Marine mondiale.

Makino n'en peut plus. Fébrile, elle doit poser ses deux mains à plats sur le bar pour pouvoir tenir debout.

– Il avait vingt ans Shanks ! Vingt ans. Et Luffy en a dix-sept.

Makino se tait brusquement. Elle meurt de désespoir.

– On ne peut rien faire contre le D, rien.

Une boule se coince dans la gorge de la brune. Une colère grandit au fond d'elle. Une énorme colère.

– C'est faux. Tout est faux.

Makino n'y croit pas. Elle ne peut pas y croire.
La grande main de Shanks effleure la joue de Makino, avant de s'y poser. Son contact est chaud, rassurant. Des larmes se sont logées au coin des yeux de la barwoman.

– Tu m'as vraiment manqué.

Elle sent ses épaules tressauter. Ça faisait deux ans qu'elle attendait ces mots.

D Where stories live. Discover now