II

13 3 0
                                    

Il s'appelle Adrien. Il est plus vieux que moi. Mais qu'importe l'âge. Il a trente-cinq ans. J'en ai dix-huit. Je n'aime pas la jeunesse. Elle m'ennuie. J'aime les hommes fins, sensibles, cultivés. Adrien ne l'est pas. Il est certes mature mais on ne peut lui reconnaitre que cela. Je pense que je le suis plus que lui. Quand on parle la situation est paradoxale. Il est blasé et je suis enjouée. Une fois j'ai voulu discuter de philosophie mais il m'a dit que ça l'ennuyait. L'autre jour c'était noël. J'ai voulu lui offrir un roman. La Confession d'un enfant du siècle par Alfred de Musset. Je voulais le sensibiliser un peu au monde merveilleux du romanesque. Au romantisme en particulier. J'aurais aimé qu'il s'en imprègne, s'en attendrisse et qu'on en discute. Mais c'est une idée stupide. J'aurais eu l'air ridicule. Il n'aime pas lire. Ce n'est pas comme si je l'ignorais. Il aime les femmes par contre. Il s'attache à elles comme l'on s'attacherait à un objet de valeur. On s'enivre de le contempler, on l'exhibe avec fierté et puis on s'en lasse. Je sens bien qu'un jour je ne l'intéresserai plus. Il s'en trouvera une autre, tout aussi jolie. Mais je m'en fout. Sincèrement. Aujourd'hui, c'est vrai que je pense un peu à lui. Mais je pense encore plus à l'autre homme. Celui que j'aime passionnément. Celui qui m'est inaccessible. Lazare. Ma finalité. Mon amour. Ma déchirure. Je l'ai rencontré l'été dernier lors d'une fête à la maison. C'est un ami de mon père. Il enseigne les sciences humaines dans une faculté de Provence. Il est tout ce qu'Adrien n'est pas. Il est tout ce que je suis. Il me réconforte. Il prend très souvent de mes nouvelles. Il sait que je déprime. J'en joue un peu car il prend soin de moi.

Je sors prendre l'air. J'ai travaillé toute la matinée. J'en ai les mains qui tremblent. Je longe la Seine. Le ciel est clair. L'air est frais. Mes pieds sont gelées. Je marche. Je contemple. Parfois je m'arrête. Je rentre. Je bois. J'avale trois médicaments. Je n'en peux plus. De l'ennui, du froid, de Paris. Il me faut Lazare. Lazare qui est marié. Et qui a des enfants de mon âge. Je le sais pertinemment. Je ne contrôle plus mes sentiments. J'idéalise l'amour et c'est là mon drame. En lisant les romans de George Sand et d'autres je m'en suis fait une idée erronée. Ils se sont bien trouvés avec Musset. Revenons-en aux faits. Le vrai amour n'existe pas. Sont des imbéciles heureux ceux qui affirment le contraire. Lorsque l'on a un brin de jugeotte et quelques névroses bien ancrées, on comprend que l'amour romantique est un leurre. A la place, on se dit deux-trois mots doux avec maladresse. On s'embrasse prosaïquement. On fait l'amour de manière tout aussi automatique. Ca me dégoûte. Je ne veux pas de cela. Je refuse obstinément. J'aimerais que l'on m'écrive des lettres. De belles lettres dans un style impeccable et sans la moindre faute. Des poèmes aussi. Rien ne m'a jamais fait plus rêver que la poésie. En somme, quelqu'un qui ait une belle plume. Je me fiche de baiser. Je veux des regards, des paroles, des écrits. Pas de sexe. Platon aurait été un mari idéal. Soudain, je me retrouve tirée hors de mes rêveries. J'ai la nausée. Horrible sensation qui part de l'estomac et vous brûle le sternum. Mes glandes salivaires s'affolent. J'ai des remontées acides. Ce sont les médicaments. J'en ai trop pris cette fois. La nausée se métamorphose en une atroce douleur qui s'apparente à une colique. Ce n'est pourtant pas ça. J'ai mal. Je souffre. Je me hâte vers les toilettes et y déverse le contenu de mes tripes. Ca fait du bien. Je prends une douche brûlante. Je me couche.

Le lendemain, journée terrible. Dans la soirée je regarde un film d'Hitchcock. Je n'arrive pas à suivre. Mes yeux sont tout embués par l'abondance de mes pleurs. En fin d'après-midi j'ai une drôle de sensation. Je crois que je ne m'étais jamais sentie aussi abattue depuis des années. Le temps est lourd. L'appartement me paraît très étroit. Comme s'il voulait serrer le mobilier dans son étreinte. J'ai dû ramasser des éclats de verre. A quatorze heures, je jette violement mon téléphone contre la table du salon. Elle se brise immédiatement. A treize heures cinquante-neuf, Adrien me quitte. 

Douleur... douleur. Doux leurre ?

Adrien...

Nous ne nous aimions pas. C'est sûr. On s'appréciait quand même. Mince. Pourquoi me quitter ? On ne peut pas dire qu'on se quitte vraiment d'ailleurs mais ça fait mal. On se connait à peine, on se s'aime pas, on s'agace et pourtant j'ai mal. Mine de rien, tes regards me réchauffaient. J'aurais au moins pu te dire: "Va, je ne te hais point". Mais je suis fière. Je crois d'ailleurs que c'est par fierté qu'est né mon ressenti. J'aurais au moins aimé qu'on se voit. Qu'on en discute. Encore un peu...  Me voilà qui souffre. 

Du hast das Ende der veröffentlichten Teile erreicht.

⏰ Letzte Aktualisierung: Jan 06, 2021 ⏰

Füge diese Geschichte zu deiner Bibliothek hinzu, um über neue Kapitel informiert zu werden!

Journal amerWo Geschichten leben. Entdecke jetzt