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Sous une pluie diluvienne, je sortis du lycée. Les nuages d'un noir menaçant emplissaient le ciel, le soleil n'avait pas percé de toute la journée. Il n'y avait pas de vent, juste la pluie qui s'abattait comme un torrent sur le trottoir. La semelle de mes Converse s'était encore décollée, je manquai de trébucher à chaque pas, mes chaussettes étaient trempées. Les mains dans les poches, la capuche sur la tête, je ralentis néanmoins le pas. Depuis plus d'une semaine, je ne trouvais plus l'envie d'aller aux entraînements. Je sentais comme un creux se former dans mon ventre, dès que j'approchais de la patinoire, ma gorge se nouait. Que m'arrivait-il ? Pourquoi n'avais-je plus la motivation de chausser mes patins ? Malgré mes efforts pour retarder l'entraînement, j'arrivais déjà devant la patinoire. Je pris une profonde inspiration, en essayant de me convaincre que tout irait mieux une fois que je serais sur la glace. En vain. Je m'enfermai dans les vestiaires, les jambes en cotons. Avec des gestes fébriles, j'enfilai mon legging et laçai mes patins. Je ne voulais plus sortir, je ne voulais plus rejoindre Louca. Je ne comprenais pas. M'étais-je trompée de voie ? La danse sur glace avait toujours fait partie de ma vie, je ne pouvais pas croire que ma passion s'était envolée comme ça. Et pourtant j'avais peur d'aller sur cette piste. Je n'y arrivais plus.

- Iris ! Qu'est-ce que tu fais ? On t'attend ! cria Christelle en toquant à la porte des vestiaires.

Je pris une profonde inspiration, me persuadant que tout irait bien. J'ouvris la porte et rejoignis Christelle et Louca qui discutaient de la séance d'aujourd'hui. On allait travailler, pendant ces deux heures entières, sur le programme libre, notamment sur les mouvements de bras, essentiels et d'une importance capitale selon Christelle. Louca se lança sur la glace. Je devais le rejoindre. Tout de suite. Mais j'étais incapable de faire un pas, la piste me donnait des vertiges.

- Iris ! Que fais-tu ? Tu ne crois pas que tu nous as assez fait perdre de temps comme ça ?

Je hochai la tête, m'excusant et mis un pied sur la glace. Tout irait bien. Tout irait bien. Tout irait bien, me répétais-je inlassablement dans ma tête. Je finis par réussir à rejoindre le centre de la piste où mon partenaire m'attendait. Tout irait bien. Je connaissais cette chorégraphie. Je l'avais exécuté des centaines de fois, ce n'était pas quelques mouvements de bras en plus, ni quelques chutes qui allaient m'empêcher de m'entraîner. J'étais déjà tombée tant de fois depuis le premier jour où j'avais mis le pied sur la glace, alors je ne devais pas avoir peur. Tout irait bien. La musique démarra. Me concentrer sur les pas, seulement les gestes techniques, oublier tout le reste et tout se passerait bien.

- N'oubliez pas, dit Christelle. Faîtes des cercles assez larges avec vos patins.

Nous entrâmes bientôt dans la partie que Christelle avait décidé de modifier. Je me concentrai donc davantage sur mes mouvements. Nous approchions du porté qui m'effrayait tant. Les yeux de Louca me transpercèrent, son visage à quelques centimètres du mien. Je pris une puissante impulsion sur le sol et me jetai dans les bras de Louca. Il positionna mon patin sur sa cuisse, mais je ne parvins pas à me lever, j'étais paralysée par la peur. Mes jambes tremblaient, je ne pouvais pas me lever, je n'y arrivais pas. J'étais bloquée, paralysée. Je me crispai, je sentais bien que je serrai trop fort Louca, mais j'avais si peur...Louca ne tiendrait plus très longtemps dans cette position, Christelle hurlait quelque chose et, le souffle court, je parvins à m'élever. Mais ce fut une véritable catastrophe, la seconde d'après, je m'effondrai. Mon épaule frappa de plein fouet la glace, je poussai un cri de douleur. Louca était tombé lui aussi, juste à côté de moi, cependant il réussit à se relever et vint immédiatement à mon secours. Je pleurais sur la piste. Mon corps était agité de tremblements. Je sentais la main de Louca me secouer légèrement :

- Iris ! s'exclama-t-il. Tu m'entends ?

Je ne pouvais pas lui répondre. Je me recroquevillai un peu plus sur moi-même, mon visage enfoui au creux de mes genoux.

- Elle n'a rien, Louca, intervint Christelle froidement. Elle a juste peur de ne pas être à la hauteur. Elle a peur des championnats de France. Elle a peur d'Emma.

Je restai bouche bée. Comment osait-elle ? Ma stupéfaction laissa bientôt place à la colère. Elle ne comprenait pas. Elle pensait tout savoir, mais elle ne comprenait rien. Je me relevai brusquement, me tenant l'épaule encore douloureuse.

- Vous ne savez pas de quoi vous parlez ! criai-je.

Christelle descendit sur la glace et nous rejoignit.

- Oh si, je t'assure. Je sais que tu n'as pas le mental pour une telle compétition.

- Christelle ! s'offensa Louca.

- Ce porté a été le déclencheur de tout. J'ai ajouté cette figure comme une épreuve. Et visiblement Iris est incapable de la passer. Tu ne vois donc pas Louca ? Elle n'est pas à ton niveau et elle ne le sera sans doute jamais parce qu'elle a trop peur.

Louca me regarda droit dans les yeux, les sourcils froncés, l'incompréhension sur son visage.

- Iris...C'est vrai ? Tu...tu as peur ?

Les points serrés, les larmes recommencèrent à couler sur mes joues. Mais cette fois, c'étaient des larmes de rage.

- Non, je n'ai pas peur...Je suis terrorisée ! hurlai-je. Je n'ai jamais voulu de cette vie. Il a suffit que tu viennes pour tout bouleverser. J'avais un quotidien comme toutes les jeunes filles de mon âge, j'avais une famille soudée, une meilleure amie que je voyais tous les jours, un avenir ! Tu m'as tout pris. J'ai l'impression d'avoir perdue ma jeunesse et mon temps. Et ça va nous mener où tous ces entraînements ? Réponds-moi. Tu crois vraiment que nous pourrons passer un jour professionnels ?

- Oui, je le crois, murmura-t-il en me dévisageant comme s'il ne me connaissait pas. Ou du moins, je le croyais.

- Alors tu n'es qu'un imbécile. Tu prétends me connaître, mais tu n'as même pas remarqué que depuis des mois, je me rendais malade. Je dois tout le temps courir, je passe ma vie sur la glace. Je voulais juste que ce soit un hobby, pas un calvaire. Je patinais parce que j'en avais envie, maintenant je patine parce que je le dois. Je devais battre Emma, c'était devenu une obsession. Pour qu'elle arrête de m'humilier. Je me suis mise une pression de dingue et tu ne t'es aperçu de rien. Ma mère est partie à l'autre bout de la France, je ne sais même pas si elle me reparlera un jour, et tout ça à cause de vous ! Tu m'as manipulé depuis le début, tu m'as fait croire que nous pourrions aller loin ! Résultat : tu m'as dégoûtée de la danse sur glace et tu as brisé ma vie. Tu n'es qu'un moins que rien Louca ! Tous mes sacrifices ont été inutiles, je ne prends plus de plaisir à patiner. Je te hais. J'ai tout perdu...Je n'aurai jamais souhaité te rencontrer.

Et je les laissai ainsi, m'enfuyant de cette patinoire où j'étouffais. L'air frais de l'extérieur me fit du bien, je pouvais respirer. La pluie avait cessé. La ville semblait déserte. Le ciel était gris, les branches craquaient. Je m'essuyai les yeux avec la manche de mon sweat. Je reviendrais m'entraîner ce soir, mais ce sera pour faire mes adieux, pour rompre le partenariat avec Louca. Je reprendrai le cours de ma vie, je me consacrerai uniquement à mes études et tout ira bien. Ma mère rentrera et avec mon père, ils trouveront une solution pour le restaurant. Tout ira bien.

Un vent glacialWhere stories live. Discover now