notte

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Chet Baker - Almost Blue


       Il erre inconsciemment dans la ville, depuis de longues heures qui ont laissé des brûlures sur sa nuque découverte. Ses pieds le traînent encore, dans les rues flambantes d'un coucher de soleil, noyant l'horizon dans un bain d'or, de pourpre et d'une fraîcheur naissante.

Ses lunettes reposent entre ses mèches épuisées, au travers desquelles il a pu admirer l'ange. Il ne sait toujours pas si il a rêvé. Son rêve s'est dissipé, comme dans un souffle matinal, sans répit pour le sommeil, écrasant toute trace d'une nuit houleuse. Il s'est évaporé comme un mirage disparait de la vue d'un assoiffé accourant vers lui, lui torturant l'esprit d'incompréhension.

La notion du temps lui échappe, son bracelet de montre en cuir semble lui lacérer les chairs, à vif, lui rappelant que les ténèbres le gagneront bientôt, lui, perdu et marchant sans but entre ces bâtisses orangées ou sableuses.

L'astre brûlant a laissé la place à son adversaire, s'effaçant derrière le dernier morceau de terre au loin, laissant la lune scintiller timidement au travers de la brume nocturne.

En flânant, les mains cachées dans les poches, il lève les yeux vers le ciel, le contemplant, admirant ce vide au dessus de sa tête, pourtant immense et débordant de choses à découvrir.

Et ses pensées l'emportent, encore une fois. Il ne comprend pas vraiment comme le soleil et la lune peuvent être si différents, tout en se ressemblant autant.

L'un, dominant toute une galaxie le jour, noyant la terre de lumière et de chaleur, qui illumine le monde pour certains, de manière rassurante. Comme si les anges veillaient sur eux, les protégeant des ombres, alors que l'astre est plus brûlant que l'Enfer.

L'autre, plus douce, dédiée à la nuit, nébuleuse et délicate, changeant de forme à sa guise. Brillante à travers la brume sombre et fraîche, aussi délicate qu'un diamant, et pourtant, créatrice de tous les vices, se délecte des maux nocturnes.

Il ricane doucement, la nuit a raison de lui aussi, et commence à lui faire perdre la tête paisiblement. Il ne mentira pas, la débauche et l'immoralité crépusculaires ne lui déplaisent pas. Au contraire. Il les laisse s'insinuer en eux, presque chaque soir, se cachant dans les effluves enquilosantes de l'alcool, semblable à Bacchus.

Une rue en croisant une autre, un halo de lumière l'attire entre les vieilles roches de petites maisons, couvertes de lierre, peu espacées. Il semble être sûr de devoir rentrer, comme poussé par une force extérieure.

Il pousse la porte en verre épais, ornée d'une poignée rectangulaire en bois laqué, qui laisse à deviner l'ambiance de l'endroit. Et cela ne trompe pas.

La chaleur de l'endroit lui fouette le visage encore frais, faisant rosir ses pommettes. Une ambiance douce et chic l'accueille immédiatement, l'enveloppe comme une étuve pour le corrompre avec bienveillance.

Des murmures font doucement écho dans la pièce, accompagnés d'une mélodie de Chet Baker, délicate et apaisante, lui susurrant depuis la platine du bar à l'oreille de douces paroles d'amour, un air de trompette le réconfortant dans cette nuit sans conviction.

Il ne sait pourquoi, mais son corps est attiré vers une place. Alors il se laisse aller, à travers les serveurs élégants et les âmes, charmeuses et charmées, déjà abandonnées à la nuit. Le marbre sous ses pieds le fait se sentir noble, lui change du touriste qu'il est depuis qu'il est là. Il se sent bien, détendu, ses épaules s'étirent et son coeur semble battre plus rapidement, satisfait.

Son regard se perd entre la fumée qui se dégage des vogues, tenues entre des doigts délicats, ou des cigares étrangers, puants et forts. Le mélange d'odeur lui effleure les narines, amèrement, et pourtant, ces effluves lui conviennent, le poussent à rester.

Il se tient là, bêtement, devant le comptoir en chêne chocolat, bondé de personnes assoiffées, assises devant leur plus grande tentation. Devant lui se dresse fièrement un rayonnage de verre, s'élevant jusqu'au plafond sombre semblant sans fin, où se reflète mille fois la couleur auburn des liqueurs, nuancée par une lumière feutrée qui jaillit discrètement du meuble translucide.

Comme par automatisme, il tire un des tabourets, distraitement, absorbé par les tintements qui résonnent dans le bar, dans une mélodie dissonante, mais s'accordant étrangement aux notes de jazz.

Il se sent comme transparent, étranger et inconnu de ce monde, car c'est bien un autre monde. Il est bloqué dans cet univers luxueux en apparence, luxurieux en transparence. Son verre arrive rapidement, comme tombé du ciel lui aussi.

Contemplant paisiblement son bourbon, il le fait tourner dans le cristal gravé. Les vapeurs d'alcool qu'il hume le menacent, sont signes du danger. Alors il cède, s'enivre et étanche sa soif, en brûlant sa gorge agréablement.

Et d'un coup, il n'entend plus les murmures, les tintements sont sourds, les alentours s'assombrissent. Ses pupilles se fixent sur la silhouette gracile d'un homme, d'une beauté sans pareil, vedette du bar à cet instant même, et lorsqu'il balaye d'un coup de main ses cheveux mi longs de son front, il le reconnaît.

Son coeur se gonfle d'un sentiment qu'il ne saurait expliquer. Un mélange de gratitude, de foi nouvelle et de désir léger. Les dieux sont avec lui, ils lui ont renvoyé son ange.

Sa peau tannée semble encore plus délicieuse sous la lumière chaude du bar, et ses lèvres fines, hautes et charnues, encore plus scandaleuses, emprisonnant le bord de son verre. Et cette nuque, qui l'obsède tant, fruit de ses désirs et pièce d'une œuvre d'art.

La beauté a troqué son apparence d'ange contre celle d'un démon, l'envoûtant davantage, avec cette chemise en satin noir, et cet appel à la tentation qu'il dégage. Un gant du même tissu, glissé sur une seule main, prenant la forme gracile de ses dextres, qu'il désire sentir contre sa joue, pour une raison qu'il ignore. Il en a le souffle coupé, pour lui il n'est qu'époustouflant. Tout simplement una meraviglia.

Et son regard se pose sur lui à son tour.

Comme si il l'avait remarqué bien avant, et n'avait qu'attendu le moment opportun pour lui rendre son œillade.

Et ses yeux, ses yeux brûlants d'une flamme dont il ignore la nature, dansant dans sa direction, lui brûlant l'échine et incendiant son âme. Une douce torture, un supplice exquis que lui fait subir le plus beau des démons, lui annonçant sa future condamnation.

Il est condamné à succomber.

Une main de fer dans un gant de velours. C'est exactement son ange, qui a ôté son gant dans la nuit, pour dominer de toute sa splendeur. Cet échange de regard éternel dont il est sans aucun doute le meneur, dirigeant la danse de ses flammes, ainsi que les battements effrénés de son coeur.

L'ange boit son absinthe, les yeux plongeant dans les siens, sans sciller une seule seconde, alimentant le feu qui brûle en lui.

Et d'un coup, il se lève. Non, il ne peut pas s'enfuir à nouveau. Mais il ne s'enfuit pas, il s'approche de lui, à pas feutrés, dans une démarche élégante mais pourtant simple. Puis il arrive devant lui, penché sur lui. Son coeur palpite. Il est bien réel, debout devant lui, bien plus proche qu'un mirage ne pourrait l'être.

La créature divine le possède, d'un simple regard, elle l'envoûte et le fascine. Ses traits raffinés sont encore plus séduisants d'aussi prêt. Son parfum de pesca lui le fait rosir, une senteur d'été, légère, qui lui plait beaucoup.

Et l'ange lui prend la main, comme un ordre de le suivre, l'attire contre lui, et l'entraîne vers il ne sait où.

Il le sait, les limbes de la nuit le feront tomber.






      

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𝗿𝗲𝗴𝗮𝗿𝗱𝗲-𝗺𝗼𝗶 𝗱𝗮𝗻𝘀 𝗹𝗲𝘀 𝗰𝗶𝗲𝘂𝘅Where stories live. Discover now