À nos amours inavoués

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Kat

— Je déteste la Saint-Valentin.

Et ça fait bientôt un an que je passe mes nuits sur des bancs. Même s'il parait qu'on s'habitue à tout, je ne me suis pas encore habituée à ça. J'ai déjà appris à ne plus faire attention aux regards des gens, ou plutôt à la façon dont on s'efface pour eux. C'est comme si on n'existait pas, on devient des putains de chats noirs qu'il ne vaut mieux pas regarder au risque de finir sur le même trottoir. Comme si ça s'attrapait, la pauvreté. Alors autant dire que voir tous ces panneaux publicitaires, tous ces jolis petits cœurs tout rouges, les boites de chocolat et les sourires béats, ça me fout la gerbe.

— Mais pourquoi ?

Je resserre les pans de ma couverture, qu'est-ce qu'il peut faire froid en février. C'est normal qu'il fasse si froid, franchement ?

— C'est commercial. Et pathétique. Et commercial.

Et quand on vit plus ou moins de la charité des gens, avoir le luxe de participer à ces joyeuses effusions à la con semble compromis. Très compromis. En plus du fait que pour fêter la Saint-Valentin, il en faut déjà un de Valentin. Ou de Valentine, tout dépend des goûts de chacun. Et en tant que SDF, mon super-pouvoir est donc l'invisibilité. Ça peut être pratique, ça l'est moins pour se trouver quelqu'un.

— Dis pas ça. C'est l'occasion de montrer aux gens que tu aimes que tu les aimes, tu ne crois pas ? De faire un geste. T'es pas forcément obligée de débourser des millions pour ton cadeau ça peut être... quelque chose de personnel, tu comprends ?

Je hausse les épaules même si Mirage ne peut pas le voir. Quand elle en parle, ça parait tout de suite moins idiot. Mirage rend tout moins idiot.

— J'aime personne. Excepté moi. Et Gary. Gary est mon meilleur ami et toi t'es pas trop mal classée non plus.

Son rire résonne dans le récepteur et donne envie de la rejoindre dans cette effusion légère et éphémère de joie, mais terriblement vraie. Il n'y a plus grand chose de vrai dans ce monde, mais Mirage l'est. Assurément. Elle ne fait pas semblant avec moi, elle ne me prend pas en pitié, n'a pas arrêté de me parler quand elle a su pour ma situation et ne s'est pas fâchée lorsque j'ai refusé son argent. Elle est mon amie, et ça fait quelques mois maintenant. Et dire que tout ça, c'est arrivé grâce à une erreur. Une simple erreur dans un simple numéro, et ma vie était changée à jamais.

— Tu sais quoi, j'ai une idée.

J'adore Mirage, mais ses idées sont parfois un rien farfelu. Je fronce les sourcils quand elle m'annonce la nouvelle, attend patiemment une suite qui met du temps à venir.

— Tu vas déposer le cadeau que tu aurais aimé recevoir à l'endroit que je t'indiquerai. Un passant le trouvera et tu feras le bonheur de quelqu'un.

Je soupire, lourdement. Je regrette de ne pas avoir autant d'enthousiasme qu'elle sur ce coup-là mais ça me semble tout bonnement irréel.

— Mirage... tu sais que le seul cadeau que j'aimerais pour la Saint-Valentin, c'est te voir toi.

— Trop tard, le défi est validé. T'as deux heures pour trouver. Tic-tac, le temps presse.

Pas croyable. Cette fille n'est pas croyable. Elle raccroche et j'ai maintenant deux heures pour trouver ce que j'aimerais pour la Saint-Valentin et un moyen de me le procurer. Autant dire que j'aurais moins galéré à réaliser n'importe quel autre défi. Foutre le monde en bouteille et transformer la lune en boule de paprika y compris. Fais chier. Je marche sur quelques mètres, mon portable toujours à la main. C'est difficile de dire ce que j'aimerais, même en m'imaginant des fonds inépuisables. Je suppose que c'est plus simple quand on est en couple, on doit avoir des attentes, des idées pour rendre l'autre un peu plus heureux. Dégoûtant. J'essaie de réfléchir à quelqu'un à qui j'aimerais faire plaisir dans l'espoir de glaner quelques idées, pour le moment sans succès. Et puis il y a la voix de Mirage qui s'impose à moi, résonne dans ma tête, fait sonner mes acouphènes. Si je voulais faire plaisir à Mirage, je lui montrerais sûrement ce que la rue a de beau. Elle est laide de bien des manières, mais il peut y avoir de la magie en elle. Parfois. Je retrouve Gary - mon copain clodo - près de notre banc préféré. Il est persuadé de toutes sortes de choses Gary, à moitié bouffé par l'alcool, à moitié par la vie. Mais je l'aime bien, c'est mon clodo à moi.

Stars-Valentin 2021Où les histoires vivent. Découvrez maintenant