Chapitre 03 - Dorian ♛ : Lamia, la métaphore du désespoir.

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Lorsque j’ouvre la porte du rez-de-chaussée, je tombe éternellement sur le dos d’Edgar. Le dos kaki d’Edgar. J’entends des poumons s’égosiller derrière lui, et une fois l’ex-militaire dépassé, je me retrouve face à un ange déchu. C’est la nana qui était postée hier soir devant mon bar. Habillée tout de noir, elle respire la tristesse et la maladie. Peinant à reprendre son souffle, son regard finit par perdre ses repères lorsqu’elle croise le mien. Juste une fragile humaine. Ses yeux bleus-gris sont vides d’émotion. Elle tousse à nouveau en détournant son visage et sa nuque, prise d’une souffrance inouïe. Je n’ai pas envie de sourire, ni même d’avoir des pensées inappropriées, surtout lorsque je vois ce blaireau de Tony en train de tirer son pétard sur le comptoir. Je lâche la demoiselle des yeux avec difficulté avant de traverser l’allée en deux foulées avant d’éclater mon poing sur la tablette, faisant ridiculement sursauter le maigre barman. 

— Casse-toi, Tony.

Mon grognement est tellement acerbe qu’il prend ses jambes à son cou avant de passer le seuil de la porte. 

— Débile d’humain, bordel. 

Le corps bouillant, je fais volte-face vers Edgar mais au lieu de ça, la présence de la demoiselle me frappe à l’œil. Elle s’est rapprochée, intriguée. Elle a beau être souillée par la vie, elle n’en reste pas moins avide de curiosité, visiblement. 

— « Débile d’humain », c’est votre côté misanthrope ? prononce-t-elle, la voix éraillée. 

— On peut dire ça, je lâche d’un rictus sec. On pourrit cette planète de merde jusqu’à la moelle, pas besoin qu’on vienne polluer mon espace vital. 

Ouais, misanthrope est mon second prénom, au même titre qu’Edgar est mon bras droit. Je contourne le bar et prend la place de Tony, de toute évidence toujours aussi stupide. Je l’aime ce gamin, mais j’ai souvent l’envie de lui en coller dans la tronche. Les coudes plaqués contre la tablette en bois, la petite brune à la silhouette élancée bien que maigre s’assied confortablement sur l’un des tabourets de cuir face à moi. 

— Tu peux me tutoyer, on est pas à l’époque de Louis XIV, j’ajoute d’un sourire curieux.

Curieux de savoir ce qu’elle fout encore ici, pourquoi elle traine dans les ténèbres et pourquoi elle semble crever sur place lorsque ses poumons se jouent d’elle. 

— Je te sers quelque chose ?   

— Un Coca Cola, soupire-t-elle en tournant le regard vers Edgar. 

Avec une certaine indiscrétion, j’observe sa nuque se dessiner sous mes yeux. Ses tendons ressortent amèrement sur son cou. Les plis verticaux de sa peau sont la définition même de la maigreur maladive. J’aperçois son visage revenir vers moi, mais mon premier réflexe est de m’enfoncer sous le comptoir afin d’ouvrir le minuscule réfrigérateur contenant les sodas. La lenteur me prend aux tripes lorsque je dois remonter, la canette à la main. Qu’est-ce qui t’arrives, Dorian ? Putain, sa détresse déteint déjà sur moi ! Laborieusement, je dresse ma colonne vertébrale, choppe un verre dans le meuble en bois construit contre le mur dans mon dos, histoire de retarder le moment fatidique où je devrais plonger dans ses pupilles apathiques. Le récipient claque contre le support brun, mon visage reste baissé de peur de finir un pauvre vampire hypersensible avec cette gonzesse. L’odeur de caféine s’échappe de la canette en métal dans laquelle j’enfonce mes doigts un par un. Et pour cause, un sentiment étrange me déstabilise, un sentiment que je n’ai pas côtoyé depuis des décennies. Les bulles crépitent et la mousse du liquide noir fini par se résorber petit à petit. 

— C’est quoi, derrière la porte ? 

Surprenant, comme question. Je fais mine de ne pas avoir été déstabilisé et l’observe attraper son verre avant de l’apporter généreusement à sa bouche galbée.
 
— Rien qui ne te regarde. Dis-moi plutôt pourquoi tes poumons te font défaut ?

Lamia : La Nuit Du Désespoir. {TERMINÉE}Où les histoires vivent. Découvrez maintenant