Chapitre Huit - M. Zaïdi

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Dans la semaine, Rosalya m'avait relancée pour sa soirée en semaine mais je refusai toujours de lui répondre, furieuse de ses indiscrétions. Comment la considérer comme mon amie alors qu'elle révélait mes secrets ? Surtout à Ambre, sachant bien qu'elle allait le répéter à son frère... Je ne savais pas comment résoudre ce problème ou bien même si j'en avais envie.

Ce midi-là, je quittai la chambre pour rejoindre l'amphithéâtre de cours lorsque je tombait sur Alexy et Morgan.

— Saluuut ! Dis, tu n'es pas venue jeudi soir chez Rosa, m'interpella mon ami de bonne humeur. Est-ce que tu n'aurais pas un problème avec ton téléphone ?
— Non, je n'ai aucun problème avec mon téléphone ! répondis-je en quittant le hall.
— Attends ! Qu'est-ce qui se passe ? me rattrapa l'étudiant en sociologie soudain désarçonné.

Je soupirai et lui fit face.

— Tu savais que Rosalya avait tout raconté à Ambre, sur mon père et les raisons de notre déménagement ?

Alexy soupira et ferma les yeux qu'il massa de son pouce et de son inditex. Il savait... Bien sûr qu'il savait et cela ne fit qu'accentuer ma révolte.

— C'est pas ce que tu crois. C'était à une soirée organisée par la fac pour la rentrée des deuxième année... Rosa avait beaucoup trop bu et Ambre lui posait des questions...
— C'est pourtant pas compliqué de garder un secret ! Comment tu veux que je lui fasse confiance après ça ?
— Milla, Attends !

J'abandonnai mon ami au milieu des escaliers de la résidence et partis rejoindre mon cours. J'étais restée silencieuse mais Chani ne le prit pas personnellement. Comme pour me changer les idées, elle s'empressa de me raconter son explo urbex de la veille avant que M. Zaïdi n'apparaisse dans la salle. Il posa sa sacoche sur le bureau et commença directement le cours sans préambule et sans salutation. Il semblait que son humeur était du même acabit que la mienne.

— Est-ce que quelqu'un peut me dire qui est Paola Epifani ?

Je pinçai les lèvres, le nom ne me disait rien. Aucun étudiant d'ailleurs ne savait qui était cette femme, ni pourquoi son nom nous intéressait aujourd'hui. Chani me jeta un regard étonné, comme d'autres. Nous étions perplexes.

— Personne ? questionna à nouveau le prof.

Son regard se durcit et balaya la foule, sans pour autant s'arrêter sur moi.

— Je ne vous félicite pas. Paola Epifani est mondialement connue sous le nom d'artiste de Rabarama.

À l'évocation de ce pseudo, quasiment toutes les mains se levèrent, dont la mienne et celle de ma voisine. Rabarama était une sculpteuse italienne du 20ème siècle connue pour ces oeuvres gigantesques.

— Pour le prochain cours, je veux que chacun d'entre vous me fasse une biographie complète et un recueil oeuvres d'un sculpteur du 20ème siècle, exigea M. Zaïdi. Et vous me ferez une critique complète d'une de leurs oeuvres. En attendant, profitez de cette heure pour travailler et ne me faite pas perdre mon temps.

Sur cette sentence et sans autre forme de cérémonie, M. Zaïdi prit sa sacoche et quitta l'amphithéâtre. Attendant un revirement soudain, dont le prof avait le secret, les étudiants restèrent silencieux, regardant la porte par laquelle il venait de partir.
Quand enfin, nous comprîmes qu'il ne reviendrait pas, l'amphi fut empli de commentaires désordonnés :

« C'est quoi ce bordel ? », « Il se fout de nous ! », « On a déjà assez de boulot merde... ».

Sur ce, la salle se vida et d'un troupeau d'étudiants se posa dans le hall, allant tous de sa supposition. Mélody nous rejoignit et avoua dans la confidence :

— Je pense que c'est en lien avec sa femme.
— Sa femme ? Il est marié ? m'étonnai-je.

J'étais surprise mais en même temps, c'était un homme brillant, séduisant et drôle. S'il n'était pas marié, c'est que c'était un pervers narcissique en plus.

— Oui, confirma Mélody, toujours à voix basse. Mais elle n'habite pas ici, c'est une marchande d'oeuvres, expliqua l'assistance. Je l'ai déjà croisée l'année dernière à un gala. C'est une femme sublime !

Bien sûre qu'elle devait être belle mais alors pourquoi cette colère ? Est-ce qu'une simple dispute de couple pouvait provoquer ce comportement ? J'aurai pu perdre mon temps à y réfléchir et à parler potin mais Mélody jouait déjà bien ce rôle. M. Zaïdi nous avait donné un devoir supplémentaire et je ne voulais pas procrastiner.

— Je vais à la BU, tu m'accompagnes ? proposai-je à Chani.
— Ok, mais j'ai un truc de prévu à 18 heures.
— Je dois aussi aller au café après.

L'après midi fut studieuse, d'autres étudiants de la promo se mirent au travail. Chani quitta la table un peu avant 17 heures mais je voulais au moins finir la biographe de l'artiste que j'avais choisi.
Concentrée dans ma rédaction, je ne vis pas la silhouette gracile de Rosalya s'approcher de moi.

— Milla ? On peut se parler s'il te plait ?

Mon amie semblait désoeuvrée et elle serrait ses livres comme un naufragé s'accroche à sa bouée. Ce faux air de culpabilité ne lui seyait guère et ne faisait que renforcer mon sentiment de trahison.

— Je suis en train de travailler.
— Je sais mais j'aimerais qu'on discute. Alexy m'a parlé de votre discussion ce midi et j'aimerais vraiment m'expliquer.
— Je ne suis pas prête à écouter tes explications et je n'en ai pas envie, répondis-je en la regardant droit dans les yeux. Maintenant, excuse moi, mais je suis occupée.

Je replongeai mon nez dans ma feuille, ignorant Rosalya. Elle hésita à rester mais elle rendit finalement les armes et repartit.

Un peu avant 18 heures, je quitta la BU pour rejoindre le café. Hyun finit de servir un client et m'accueillit avec un sourire.

— Comment s'est passé ta journée ? questionna-t-il.
— Hm... bizarre je dirais. Et toi ?
— Je suis épuisé ! J'ai travaillé toute la journée parce que Clémence a attrapé la crève...
— Mais, et tes cours ?
— Pour aujourd'hui, un copain va me passer les CM mais est-ce que ça serait possible de s'arranger pour demain ? Je dois absolument être présent à mon TD...
— Bien sûr ! m'exclamai-je.
— Merci Milla !

On sortit nos emplois du temps respectifs et on modifia nos horaires. Clémence pouvait être présente durant quelques heures mais elle avait besoin de repos et son visage enrhumé ne donnait qu'à faire fuire les clients. Puis je le forçai à partir à son tour, il ne restait qu'une heure avant que le café ne ferme et il devait se reposer. Avec beaucoup d'insistance, Hyun accepta de me laisser les clés du café et je finis les mises en place pour le lendemain et le nettoyage des différents appareils.

A peine avais-je fini de remballer les invendus du jour que la clochette de l'entrée sonna. Mon aimable sourire commercial disparut en voyant Castiel qui venait de pénétrer dans le café. Son visage était fermé mais il ne semblait pas surpris de me voir. Savait-il que je travaillais ici ? Venait-il justement pour ça ?

— Bienvenue au Cosy Bear Café, que puis-je vous servir, déclarai-je, forcée.
— Un soda s'il te plaît.
— Je vous propose une sélection de sandwichs ou bien notre soupe du jour : oignons lardons.
— Juste un soda.

Je repris la direction du bar et entrepris avec des gestes emprunts d'une certaine frustration à lui préparer sa commande. Le nez devant son téléphone, je lui déposai la canette, le verre assorti et la note sans ajouter un mot.

— Assieds toi un peu, qu'on discute.

Sa proposition n'était pas un ordre mais il émanait de lui une autorité naturelle, latente à l'époque du lycée mais bien manifeste à présent.

— Je travaille Castiel.

Il balaya la salle des yeux, n'était pas dupe du mensonge que je lui servais.

— Il n'y a personne. Tu as bien deux minutes, surtout que c'est pour m'excuser donc je suis bien content qu'on ne soit que deux et je ne me répèterai pas.

Il ajouta ce sourire en coin dont il avait le secret et qu'il m'acheva d'accepter. Je capitulai en m'asseyant en face de lui avec un soupir.

— J'ai croisé Priya hier. Elle m'a expliqué pour ton père... Et donc et même si j'étais en colère contre toi de ne pas m'avoir donné de tes nouvelles pendant trois ans, je m'excuse de la façon dont je t'ai parlé samedi soir, conclut-il.

Je gardai le silence, sans savoir quoi dire. Depuis le concert, j'avais fait une croix sur Castiel, pensant qu'il refuserait de m'adresser la parole. Sans compter que ses mots m'avaient blessée bien qu'ils détenaient une part de vérité.
Mais en quelques minutes, il s'était montré poli, s'était excusé, avait agi avec maturité et courtoisie. Le monde ne tournait décidément plus très rond. Castiel qui se comportait comme un adulte et Nathaniel qui régressait à l'adolescence.

— Tu ne dis rien ? reprit-il dans l'expectative.
— Toi aussi tu as changé en trois ans, je suis impressionnée, concédai-je dans un sourire amusé.
— De quoi tu parles ?
— Ton statut de célébrité locale, rock star en herbe, adulte mature et responsable.
— Arrête, on dirait ma mère, ricana le musicien.
— Tes parents, ça va ?
— Ouais, il ont déménagé à la réunion il y a an an.
— Ils prennent comment le fait que leur fils fasse de la musique ?
— Une légère crise cardiaque, avoua-t-il en sirotant son soda. Mais j'ai eu ma licence en musicologie donc ils sont au moins rassurés.
— Tu es ici à Antéros ?
— Ouais. Pour l'instant on se pose pour le semestre, le temps d'enregistrer un nouvel album. Et toi, histoire de l'art hein ?
— J'ai l'impression que tu en sais plus sur moi. Est-ce que moi aussi j'ai un fanclub et des groupies ? me moquai-je.

Il ne put répondre que la sonnette du café retentit et qu'un habitué pénétra dans le café en compagnie de son petit caniche blanc. Je me dépêchai d'aller à sa rencontre, n'aimant pas donner l'image d'une fainéante.

— Bonjour Milla, me salua-t-il.
— Bonjour Monsieur Baudin, me précipitai-je derrière le comptoir. Ce soir c'est soupe oignon-lardon, je vous mets une barquette à emporter ?
— Avec plaisir et s'il reste un cookie, je vais en prendre un.
— Tout de suite !
— Merci, bonne soirée ma petite Milla.
— Bonne soirée M. Baudin.

Le vieux monsieur quitta le café, laissant la place à une autre cliente. Une fois partie, Castiel se leva et vint régler sa consommation au comptoir.

— Bon, j'imagine qu'on va se recroiser à la face dans ce cas, reprit-il en enfonçant ses mains dans ses poches.
— Merci Castiel, ça compte pour moi tu sais, enfin, que tu sois venu tout ça.

Il gloussa en s'approchant et, comme une vieille habitude persistante, il désordonna mes cheveux d'un coup de main vigoureux sur le crâne.

**

La semaine suivante, j'avais reçu un mail de M.Zaïdi où il me donnait rendez-vous ce lundi concernant mon mémoire. J'étais donc montée dans les étages du campus pour rejoindre son bureau. Nous ne l'avions pas revu depuis son dernier cours duquel il était reparti furieux sans raison apparente, si ce n'est sa femme d'après les dires de Mélody.
Au troisième étage, je suivais les chiffres et les noms sur les portes, le long de ce couloir interminable où chaque enseignant disposait d'un bureau. Ayant enfin trouvé la bonne porte, j'étais prête à y toquer quand Mélody en sortit. Elle referma derrière elle et, m'apercevant, elle leva les yeux au plafond.

— Il est toujours d'une humeur massacrante ! chuchota-t-elle. Tu viens pour quoi ?
— Mon mémoire, répondis-je, laconique.
— Eh bien bon courage !

Puis l'étudiante quitta le couloir et me laissa seule avec une légère appréhension. J'espérais que mon directeur de mémoire ne descende pas le travail déjà réalisé...
Je toquai et entrai avec son aval. Passant ma tête, je jetai un oeil au professeur posté devant son ordinateur, les lunettes sur le nez et le visage éclairé par l'écran. Il ne m'adressa pas un mot, tout au plus un regard interrogatif.

— Nous avions rendez-vous pour mon mémoire, lui rappelai-je.
— Ah oui, entrez.

Le bureau n'était pas grand mais surtout encombré. Il disposait d'un bureau d'angle avec un ordinateur et une imprimante mais aussi de deux petites armoires de rangement entourées de livres, d'articles et de documents divers aussi bien à l'intérieur qu'à l'extérieur. Quelques cartons comblaient les coins. M Zaïdi fit de la place sur le plateau de son bureau où je posai mon ordinateur portable et pris un fauteuil.

— Je voulais déjà vous rendre ça, commençai-je en sortant des feuilles de mon sac.
— Qu'est-ce que c'est ?
— Les devoirs que nous nous aviez demandés, celui sur les symboles de la peinture hollandaise du 16ème siècle et la biographie, recueil et critique d'oeuvres d'un sculpteur du 20ème.
— Vous aviez encore quelques jours pour les rendre, remarqua-t-il.

Il prit les documents que je lui tendais, y jeta un bref coup d'oeil pendant que mon ordinateur démarrait. Il n'émit aucune critique, fermé comme une huître. Ce n'était décidément pas son humeur habituelle. Je remarquai aussi que ses traits étaient tirés et que son regard vert-gris était plus terne qu'à l'accoutumée.

— Je vous avais envoyé hier soir mes premières hypothèses de travail, vous aviez pu jeter un oeil ?
— Le dimanche, je ne travaille pas Mlle Armand, rétorqua-t-il. J'ai une vie en dehors du travail.
— Oui, pardon.

Je me fis discrète et silencieuse durant le temps qu'il lise le premier jet de mon mémoire.

— L'influence française dans l'architecture contemporaine. C'est un sujet passionnant, commenta-t-il finalement. Je me souviens, lorsque vous m'aviez contacté pour devenir votre directeur, j'avais beaucoup apprécié la partie où vous retraciez l'héritage de l'architecture française, me complimenta-t-il ensuite.
— Merci.

On discuta près une demi-heure durant laquelle je pris quelques notes. L'humeur de mon professeur semblait s'alléger quelque peu et son visage se détendit. Il put même rire à l'une de mes remarques.
Puis, nous fûmes interrompus par quelques coups à la porte qui s'ouvrit sur un visage que je ne connaissais pas.

— Rayan, excuse moi de te déranger, est-ce je peux te parler ?

Le professeur semblait à nouveau irrité et les sourcils froncés, il hocha la tête. Je compris que l'entrevue était terminée et je remballai mes affaires à la hâte. Je m'étais tellement éparpillée que j'eus l'impression de mettre une éternité à tout rassembler.

Quittant rapidement le bureau, je laissai la place à la femme. Elle était élancée et blonde avec une chevelure ondulée sublime. Elle était vêtue avec élégance d'une robe noire dont le dos était visible en semi-transparence avec de la dentelle.

J'avais tout fourré dans mon sac sans ordre et je profitai du couloir pour trier mes affaires, accroupie sur mon sac.

« Tu ne peux pas venir à mon travail dès que tu as quelque chose à me dire ! »
« Ça serait plus facile si tu décrochais quand je t'appelle ! »

Les voix provenaient du bureau de M. Zaïdi et ils ne faisaient pas semblant de se disputer.
Grâce aux ragots de Mélody, je compris que cette femme était l'épouse de mon professeur et je confirmai aussi le fait qu'elle soit très belle.

Après avoir rangé correctement mon sac, je voulus prendre la poudre d'escampette et ne pas assister à la dispute malgré moi. Or, je remarquai que, dans ma précipitation j'avais oublié ma veste dans le bureau et dedans, mon téléphone portable.

Je ne pouvais partir sans le récupérer et je ne voulais pas non plus être indiscrète. En général assez curieuse, je respectais trop la vie privée de ceux que j'appréciais pour écouter aux portes. Je m'éloignai un peu du bureau et pourtant, je pouvais entendre certains éclats de voix.

« C'est toi qui a demandé le divorce, alors signe ces papiers, Alice ! »
« Parce que tu es parti de la maison pour t'installer à l'autre bout du pays... »
« À cause de qui à ton avis ? Vous êtes responsables, toi et lui ! » tonna en dernier mon professeur.

À ce moment-là, la porte s'ouvrit à la volée et la femme, ou la future ex-femme de M. Zaïdi partit, furieuse vers l'autre bout du couloir.

À l'intérieur, j'entendis une injure murmurée et un soupir las. Son fauteuil grinça lorsqu'il s'y assit et je l'imaginais bien se frotter le visage.
Je choisis cet instant pour me montrer embarrassée, et récupérer mes affaires.

— Je suis désolée monsieur... j'ai oublié ma veste.

Ma volonté était vraiment de ne pas me faire remarquer mais l'enseignant posa son regard sur moi et sur mon manteau oublié sur la chaise.

— Vous avez tout entendu ? Je suis désolé que vous ayez assisté à cela, s'excusa-t-il.
— Ce ne sont pas mes affaires...
— Est-ce que je peux compter sur votre discrétion pour ne pas lancer de rumeurs ?

Je hochai la tête et il me remercia silencieusement. Je m'enfuis le plus vite possible pour rejoindre Chani. La jeune femme m'attendait pour manger au réfectoire du campus. Je n'avais pas très faim après avoir assisté à la dispute du couple Zaïdi mais voir mon amie fit lever mon malaise.

— Ça était ton week-end ? demandai-je.
— On a été au salon de la voyance avec ma mère ! m'expliqua-t-elle enthousiaste. C'était trooop bien ! J'ai acheté un talisman qui m'aidera à trouver la motivation pour mes études et puis tiens... j'en ai acheté un pour toi aussi.

Chani sortit de son sac à dos en cuir, une petite pochette en voilage qu'elle me tendit. Le talisman état une pierre plate et ronde, de couleur mauve avec des glypes gravés dessus. Le tout était monté sur un support cabochon pour être porté en pendentif.

— Quand je l'ai vu, j'ai tout de suite pensé à toi, m'avoua-t-elle. Je sais que tu as traversé des épreuves dans ta vie et elle te protégera et te guidera.

J'étais émue du cadeau et du geste. Mes mots semblaient bloqués dans ma gorge alors je pris Chani dans mes bras pour la remercier chaleureusement.

— Merci beaucoup.
— Je sais que ça ne fait pas longtemps qu'on se connaît mais je suis contente de t'avoir rencontrée.
— Moi aussi Cha'. Heureusement que tu es là pour m'aider.
— Tu sais que tu peux te livrer à moi.
— Je sais.

Durant l'heure du déjeuner, j'expliquai alors à Chani ce qui était arrivé à mon père et tout ce que cela avait entraîné, non seulement chez moi mais aussi chez mes amis

— J'en reviens pas qu'ils me pardonnent comme ça, si facilement... pensai-je.
— C'est de bons amis et tu as de la chance de les avoir.
— Tu en fais partie toi aussi.

La réflexion de Chani remit en perspective ma rancune envers Rosalya. Certes, elle avait révélé mes secrets mais elle avait surtout été la première à m'accueillir à bras ouverts lorsque j'étais revenue à Saint-Amour. Elle était vraiment heureuse de me revoir bien que j'avais aussi coupé les ponts avec elle.

**

La semaine était passée rapidement sans que je puisse reparler à Rosalya. Je voulais mettre les choses au clair avec elle mais je voulais bien faire les choses et pas vite fait entre deux cours. Le jeudi soir se terminait avec un TD sur les courants artistiques du 18ème siècle de 17 heures à 19 heures.

Hors cette fois, ce ne fut pas Mlle Siam qui intervint mais M. Zaïdi qui nous expliqua que sa collègue était souffrante. Le groupe d'une dizaine d'étudiants s'installa. Il n'y avait ni Mélody, ni Chani qui étaient dans un autre groupe mais le cours passa rapidement et le thème était intéressant. Il y avait eu un débat auquel je ne participais pas et finalement, je fus surprise lorsque le prof annonça déjà la fin du cours.

Les étudiants rangèrent leurs affaires à coup de trousses qui se ferment et de chaises que l'on traîne.

— Mlle Armand s'il vous plaît.

M. Zaïdi m'interpella discrètement alors que je passai devant lui. Je m'arrêtai tandis que la salle se vidait.

— J'ai eu le temps de corriger les devoirs que vous m'avez rendus en début de semaine. Vu qu'ils comptent pour le semestre, je voulais vous dire que je suis très satisfait de votre travail.
— Merci, souris-je.
— Concernant votre mémoire, je vous ai envoyé un mail avec d'autres pistes à explorer, libre à vous de choisir de les traiter ou non.

Mon attention s'était décrochée de ses paroles pour fixer une peluche de vêtement qui s'était perdue dans les cheveux noirs du professeur. Je dus faire appel à toute ma volonté pour ne pas tendre la main vers elle et la lui retirer. Cela aurait été déplacé.

— Et concernant la dispute avec... avec Alice, je vous remercie de votre discrétion, poursuivit-il.
— Il n'y a pas de souci, lui répondis-je en me focalisant à nouveau sur ce qu'il disait.
— Nous sommes séparés depuis plus d'un an à cause de... peu importe. Et elle refuse toujours d'accepter que notre mariage est terminé, expliqua-il. Si cela peut vous éclairer quant à mon comportement la semaine précédente.

Je me sentais un peu embarrassée que mon directeur de mémoire si livre comme ça. Je n'étais sans doute pas la bonne personne pour en parler ni le lieu pour le faire.

— Enfin, je ne sais pas pourquoi je vous raconte ça.
— J'espère pour vous que votre situation s'arrangera, lui souhaitai-je. Parce que ça retombe sur vos étudiants qui se voient ajouter du travail.

Il sourit et hocha la tête.

— Vous avez raison, me vengez sur vous, ce n'est pas solution.
— Merci, ayez pitié de nous ! ris-je en retour.

L'ambiance s'était allégée et s'était même teintée d'une inconsciente allégresse.

— Je m'excuse, repris-je. Mais ça me perturbe depuis tout à l'heure.

Je fis un pas vers lui et tendis la main vers ses cheveux. Avec le plus de délicatesse possible, je retirai la peluche de ses cheveux sans tirer dessus.

— Désolée, m'excusai-je encore en la lâchant au sol.

En relevant la tête, j'étais très près de lui, trop près sûrement mais son regard vert-gris était hypnotisant et il semblait détailler mon visage avec douceur et bienveillance. La situation n'était pas vraiment adaptée mais un sentiment de bien être naquit en moi. Toutefois, je n'eus aucune envie romantique alors que notre proximité s'y prêtait.

Au même moment, la porte de la salle s'ouvrit sur Mélody qui se figea. Je fis un pas en arrière, Rayan aussi, comme pris en flagrant délit de rien d tout.

— Oui Mlle Lemaire ?
— J'ai imprimé votre fiche pour le CM de la semaine prochaine avec les deuxième année.
— Merci, vous pouvez les déposer dans mon bureau.
— D'a-d'accord.

Son regard alla du professeur à moi dans une mine soucieuse et elle hésita avant de se retirer. J'échangeai un sourire avec mon professeur et nous décidâmes de clore notre entrevue.

— Merci Mlle Armand, passez une bonne soirée.
— Bonne soirée à vous aussi.

Je quitta la salle puis le bâtiment et resserrai ma veste et mon écharpe le temps de traverser la cour éclairée par deux lampadaires. Il y avait un groupe d'étudiants qui fumait près de la grille et deux filles qui sortaient de la BU à peine fermée.

Dans la résidence, il faisait déjà meilleur et je ne rêvais que d'une douche chaude et de monter le chauffage dans la chambre.
Dans le couloir qui la desservait, la silhouette de Mélody apparut. Elle était visiblement furieuse et j'en devinai trop tard la raison.

— Tu n'peux pas t'en empêcher hein ! m'accusa-t-il d'une voix forte. Tu lui tournes autour pour avoir de meilleures notes ou parce que c'est un jeu pour toi ?!
— Mélody, arrête ! Il n'y a absolument rien avec M. Zaïdi ! tentai-je de la raisonner un ton plus bas.

Je ne voulais pas ameuter tous les étudiants de l'étage, ni faire courir des rumeurs infondées. Peut-être que Mélody était arrivée à un moment inopportun mais elle se faisait des illusions sur la relation entre notre prof et moi.

— C'est mon directeur de mémoire, c'est pour ça qu'on discutait, expliquai-je. En plus, il est marié, je te jure que je suis suis pas du tout intéressée !
— Menteuse ! cria-t-elle à présent folle de rage. T'es qu'une sale garce !

La porte de notre chambre s'ouvrit sur Yeleen et d'autres étudiants l'imitèrent, poussés par la curiosité et attirés par le sang.

— Qu'est-ce qui se passe ici ? questionna ma coloc', renfrognée.
— Cette salope veut se faire Zaïdi !
— C'est n'importe quoi ! me défendis-je. T'es qu'une conne jalouse à crever ! Jamais il ne s'intéressera à toi, arrête de rêver !

Mélody m'insulta encore et se jeta sur moi devant une demi-douzaine d'étudiants qui eux, ne bougèrent pas, plutôt amusés de la scène.
Mon ancienne amie me fit tomber et se tenait au dessus de moi, le visage enragé. Elle me griffa le visage, je la rejetai en arrière en poussant sur mes jambes. L'étudiante tomba sur ses fesses mais se redressa plus vite que moi et me gifla en continuant de crier des insultes. Par instinct, ma main trouva ses cheveux que je tirai à pleine poignée. Elle cria et fit de même en me saisissant la tête.

— Ça suffit !

M. Radowski, le responsable administratif, débarqua pour nous séparer, alerté par les cris.

— Qu'est-ce qui se passe ici ! réclama-t-il comme explication.

Ni Mélodie, ni moi n'avouâmes les raisons de notre dispute. Essoufflées, nous nous regardions comme des tigresses en furie, à deux doigts de se jeter nouveau l'une sur l'autre.

— Vous allez tous rejoindre vos chambres, ordonna-t-il d'une voix autoritaire. Vous, mesdemoiselles, vous allez me donner vos noms, cela ne restera pas impuni...
— C'est elle qui a commencé ! me défendis-je outrée.
— Je ne veux pas le savoir ! Vous y avez aussi participé et je n'ai pas le choix de le faire remontrer !

Je levai les yeux au plafond, folle devant cette aberrante injustice. Je ressentais encore plus de colère envers Mélody qui me regardait toujours du coin de l'oeil avec un sourire qu'elle retenait à peine. Elle allait se faire une joie de me descendre en flèche et même prêcher le faux s'il le fallait.

Après un dernier avertissement, le responsable administratif nous raccompagna dans nos chambres respectives. Claquant la porte derrière moi, je m'assis sur le rebord du lit, grimaçante à cause de mon bras douloureux et commençai à retirer mon écharpe et ma veste.
Yeleen assise à son bureau, son ordinateur devant elle, me jeta un regard de travers que je remarquai.

— Elle ment, je n'ai rien dit ou fait pour séduire Zaïdi ! éclaircis-je à son intention.
— Pourquoi elle criait le contraire alors ?
— Parce qu'elle est amoureuse de lui et qu'elle est jalouse comme un pou.
— Beaucoup d'étudiantes tournent autour de lui alors pourquoi croit-elle que tu es davantage une menace ? renchérit ma colocataire.

Son raisonnement me fit tiquer et je compris pourquoi je gardais une cible sur le dos.

— Au lycée, elle flashait sur un garçon avec lequel je suis sortis, avouai-je en me vautrant sur mon lit.

Yeleen sourit, pas peu fière d'avoir mis en exergue d'anciennes rivalités qui justifiaient la parano de Mélody.
Les yeux fixant le plafond, je me morfondai sur mon sort, ma réputation était pas loin d'être foutue si on me considérait comme une opportuniste et en plus de ça, je risquai une sanction pour m'être défendue de l'agression de Mélody... Quelle journée de merde.

[Terminé][Amour Sucré][Nathaniel]TraumaWhere stories live. Discover now